- C'est la fontaine de
Trevi sur la jaquette criarde M'sieur Claude ? Ca-se-lla, tiens encore l'Italie,
un inconnu, baroque ou moderne ?
- Disons... début XXème
siècle Sonia, assez injustement oublié…
- Vous devez me trouver ignare
M'sieur Claude ?
- Ha ha, pas du tout chère
Sonia, il y a un an je n'en avais jamais entendu parler. Naxos a réalisé les premiers
enregistrements et fait de la pub'…
- Si je suis bien vos
articles, il est un peu le contemporain de Bela Bartók voire Ottorino Respighi
?
- Absolument mon petit,
mais moins moderniste, un admirateur, presque "imitateur" de Mahler,
une musique énergisante…
- Ça tombe bien, de
l'énergie en cette saison glaciale…
Alfredo Casella
Alfredo Casella fait partie de ce groupe de
compositeurs italiens nés à la fin du XIXème
siècle ayant peu écrit pour la voix. Il est évident que la suprématie du Bel Canto et des opéras géniaux de Puccini et Verdi,
musiciens des générations précédentes, a éclipsé en Italie les autres genres
que sont la musique symphonique, le piano ou la musique de chambre. Si Ottorino Respighi, comme nous l'avions vu
dans la chronique consacrée à son triptyque romain, a connu une certaine
reconnaissance dans les salles de concert et au disque, ce n'est pas du tout le
cas de Casella.
Alfredo Casella voit le jour à Turin en 1883. Son grand père violoncelliste était
un ami de Paganini. Il débute le piano
avec sa mère. Il est admis au conservatoire de Paris en 1896 et étudie la composition avec Gabriel
Fauré. Il partage l'enseignement avec Enesco,
Ravel et rencontre des génies comme Stravinski, de
Falla, Debussy…
puis Richard Strauss et surtout Gustav Mahler qui vont influencer le style
postromantique du jeune compositeur. Dès le début de sa carrière, Casella défend la musique de Mahler en France.
La
première Guerre Mondiale éclate et le ramène en Italie. Il est devenu un
pianiste virtuose et compose.
Après
le conflit mondial, l'Italie va s'enfoncer dans le fascisme. Deux personnalités
sont politiquement à l'origine de cette tragédie : l'écrivain Gabriele d'Annunzio et Mussolini. Casella
ne n'intéresse qu'à l'excentrique écrivain et fonde avec lui et Francesco Malipiero une société de
promotion de la musique italienne. De cette initiative et avec l'aide
du poète Ezra Pound renaîtra Vivaldi alors complètement oublié.
Cette
collaboration avec d'Annunzio sera
fatale à la postérité de Casella.
Gabriele d'Annunzio reste un sujet
de controverse. Rival extravagant et idéologique de Mussolini, son nationalisme et son irrédentisme (équivalent italien
du pangermanisme) le conduit à nourrir la doctrine fasciste. Pourtant le
bonhomme tourne le dos à Mussolini
dès 1923, déteste Hitler et s'oppose au rapprochement dans
l'Axe avec l'Allemagne. De la collaboration artistique avec le personnage
sulfureux, Casella restera étiqueté fasciste,
alors qu'il n'a fait que traverser comme beaucoup la tourmente en poursuivant
son travail de compositeur. Ainsi, depuis sa mort en 1947, le compositeur reste méprisé pour son manque d'engagement
contre le fascisme italien et son relatif désintérêt envers les formes plus
modernes comme le "tout sérialisme" en vogue après-guerre. C'est
dommage et peu justifié !
Son
œuvre s'oriente vers tous les genres : concertos,
un opéra, des pièces
pour piano. Ce sont ses trois symphonies
qui impressionnent par leur ambition. La première est écrite de 1905 à 1908. La troisième sera créée en 1940 à Chicago. Naxos a
entrepris d'enregistrer en première mondiale le cycle symphonique. Pour la 3ème
très "mahlérienne", il existait déjà un enregistrement chez CPO que je proposerai en vidéo. Son ballet La
Giara écrit en 1924 sur
un argument de Pirandello sera son
plus grand succès.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Naxos et Francesco La
Vecchia
Dans
les chroniques "classiques", les labels les plus fréquemment rencontrés
sont Dgg,
EMI,
DECCA
et parfois Philips
quand celui-ci daigne éditer ou rééditer son patrimoine légendaire. Les disques
de ces labels sont des références mais coûtent chers lors de leur parution.
C'est un plaisir de commenter aujourd'hui un CD Naxos. Cette firme anglaise
s'est faite une belle réputation depuis des années à innover, explorer des
univers musicaux oubliés, bref prendre des risques. Et important, chaque
album coûte 6,95 € ! Ah oui, bien entendu, ce ne sont pas les stars du
classique qui y gravent leurs enregistrements, mais les bonnes surprises sont
fréquentes de la part d'artistes motivés. Un seul regret, des livrets
uniquement en anglais.
Casella
n'avait jamais connu l'honneur du studio. Naxos depuis quelques années a confié au chef
italien Francesco La Vecchia
l'enregistrement des œuvres symphoniques avec son orchestre symphonique de
Rome. Ce chef né en 1954 n'est pas
un second couteau du pupitre. En parallèle d'une carrière internationale
commencé à… 9 ans, il est très actif pour créer de nouveaux ensembles comme en 2001 le Respighi
Youth Orchestra. Il suit ainsi les traces d'un Claudio Abbado, lui aussi fondateur et
animateur d'orchestres de jeunes musiciens. Il a été nommé en 2009 premier chef invité de l'orchestre symphonique de Berlin. Ce chef,
également pédagogue, se passionne pour la musique italienne, Casella bien sûr mais également Guseppe Martucci ou encore Franco Ferrara. Il dirige l'Orchestra Symphonica di Roma depuis 2002.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Symphonie N° 3 de
Casella
En
complément de la 3ème symphonie, le CD
propose l'Élégie héroïque écrite en 1916, une œuvre de déploration sur les
horreurs de la guerre et ses victimes. Cette précision prend son sens en regard
de la thématique de l'album puisque la 3ème symphonie
sera écrite et créée alors que le second conflit mondial a déjà commencé, que
l'Italie a été se perdre en Ethiopie.
La
symphonie N°3 (qui suit de trois décennies la seconde) a été commandée en 1939 par Frederick
Stock pour le cinquantenaire de l'orchestre
Symphonique de Chicago. Stock
dirige l'orchestre depuis 35 ans. Il quittera son poste en 1942.
De
prime abord, on pourrait penser que Casella
n'a pas un style personnel. À l'écoute on pense à Mahler
bien entendu, mais aussi à Stravinsky
pour la rythmique et même à Chostakovitch
ou Prokofiev pour l'orchestration. Qu'en
conclure ? Casella est-il un habile
spécialiste du plagiat ? Non, Casella
s'inscrit de manière très cohérente à la croisée des chemins des nouveaux
styles de composition qui agitent le début du XXème siècle musical.
Il est préférable de souscrire à de telles influences que de se complaire dans
des innovations vaines à cent lieues des attentes des mélomanes.
À
l'instar des grands noms cités, Casella
adopte une orchestration riche, le nombre de cuivres et la variété des
percussions ne sont plus ceux de l'ère romantique.
1 – Allegro mosso : un solo de
hautbois soutenu par des bois introduit la symphonie. Un air élégiaque repris
par les cordes, une atmosphère étrange qui évolue rapidement vers le dramatisme
à travers un choral de cuivres. La musique ne se développe pas, elle s'épanouit
comme les pétales d'une grande fleur aux couleurs sombres. La thématique n'est
pas clairement définie et le discours semble échapper à la forme sonate usuelle
: ses expositions et reprises. Nous n'écoutons pas une musique cadrée dans les
structures du passé romantique. Il y a une force souterraine et pathétique qui
se dégage de ce flux sonore. La mélodie est extrêmement vivante, les climats
alternent sans relâche, l'orchestration est riche mais jamais boursouflée. Y a-t-il
un programme ou une obsession sous-jacente pour articuler la conception ? A
priori non, est-ce le drame (la guerre ?) qui semble guider l'inspiration par
l'opposition de blocs sonores violents avec des phrases mélancoliques ? On
pourrait espérer plus de clarté de la part de l'orchestre symphonique de Rome,
mais son chef équilibre bien les motifs qui s'entrechoquent. Dans cette
symphonie on retrouve les interrogations des compositeurs de cette époque
troublée (comme dans la 4ème de Ralph Vaughan-Williams).
Quelques notes ironiques terminent le mouvement.
2 – Andante molto
moderato, quasi adagio : La clarinette basse, quelques bois et un solo
frémissant de violon annoncent un long et sublime adagio. Par vagues poétiques et
dans l'ambiguïté d'une volupté qui se veut mélancolique, la musique nous
enveloppe. Certains évoquent Mahler dans cette longue complainte. Mouais… les
immenses adagios de Mahler de ses dernières symphonies
sont souvent funèbres, obsédés par le trépas. Certes dans la partie centrale, on
retrouve cette façon de scander la mélodie propre au compositeur autrichien,
mais aussi à Chostakovitch. Cela dit, il
n'y a pas d'emprunt direct. Et je pense bien connaître l'intégralité des cycles
symphoniques de ces deux immenses compositeurs. Le style Casella
n'est pas très idiomatique en lui-même. On ne l'identifie pas
immédiatement, a contrario de Mahler,
mais le chant orchestral est très personnel. Quelques rayons de soleil percent de-ci
de-là et conduisent le mouvement vers une conclusion sereine.
3 – Scherzo : Ah là, par
contre, c'est bien net ! On a vraiment l'impression d'écouter un mixe des
scherzos et rondos des 5ème et 6ème symphonies de Mahler
réorchestrés par Chostakovitch. Un thème
violent, inexorable, rythmé aux cordes, avec des trilles démoniaques aux
cuivres, nous fait songer immanquablement aux symphonies du compositeur russe.
De cette musique âpre, guillerette et ironique, jaillit une marche goguenarde
de soldats de plomb. Dans le trio central, la présence du piano comme
instrument percussif se situe en droite ligne des inventions orchestrales de Chostakovitch ou d'une illustre cinquième de Prokofiev
à venir (1945). Tout le mouvement,
très alerte, conserve de bout en bout son esprit sarcastique. Un grand moment
de délice orchestral.
4 – Rondo Finale : Après les sourdes angoisses que
l'on peut discerner dans les mouvements initiaux, Casella
offre une conclusion jubilatoire. Une musique brillante qui semble partir dans
tous les sens lors d'une écoute peu attentive. Nous traversons ici un paysage
sonore et festif que nous offraient déjà Stravinski
dans Petrouchka, ou encore Mahler
dans le final loufoque de sa 7ème symphonie.
Casella professe un espoir et une joie triviale dans un déluge symphonique très
coloré et rythmé. La coda [9'25"] nous ramène dans un premier temps vers
quelques affres, vers des réminiscences de l'adagio. Changement brutal de
climat : les ultimes mesures achèvent cette belle et grande symphonie (45') par
une radieuse furie orchestrale de fête villageoise, de libération... (Petite
parenté avec le final de la 5ème symphonie
de Mahler, le maître tant admiré.)
L'enregistrement
de Francesco La
Vecchia a le mérite de nous faire découvrir l'ouvrage. On peut
cependant rêver d'une version avec un orchestre plus discipliné sous la
baguette d'un maestro confirmé. L'Orchestre
symphonique de Chicago dirigé par son directeur actuel,
l'italien Riccardo Mutti, pourrait
exacerber les tensions dramatiques de cette œuvre. On peut rêver… Par ailleurs,
la prise de son n'est pas très aérée, c'est un peu le problème Naxos. On ne
peut pas tout avoir et franchement ce disque a beaucoup d'atouts…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Discographie alternative et diverse
Pour
la troisième symphonie, il existe un enregistrement édité par le label CPO.
L'orchestre de la Radio de Cologne est dirigé
par Alun Francis. Il est très bon mais difficile
à trouver. C'est précisément parce qu'il était disponible sur YouTube que j'ai
entrepris cette chronique. Parler de l'inconnu sans proposer une écoute
simultanée me paraît un peu vain…
Les
deux autres symphonies ont également été enregistrées par Francesco
La Vecchia chez Naxos.
Elles pourront paraître plus originales bien qu'antérieures à celle
commentée aujourd'hui. Le cycle est d'une constante qualité. Il existe
également deux autres albums de concertos et pièces symphoniques diverses.
Vidéo
Le
son de cette vidéo est excellent, mais je conseille d'utiliser un casque. Au-delà
de la bonne technique sonore, je trouve la direction d'Alun
Francis très dynamique et claire, une concurrence redoutable
face au trait plus élégiaque de Francesco La
Vecchia.
Ne
me demandez absolument pas pourquoi cette dame plantureuse (genre odalisque) sert d'illustration…
Je n'en sais fichtre rien…
[0']
Allegro mosso - [10'55"] Andante molto
moderato, quasi adagio - [24'06"] Scherzo
- [31'40"] Rondo Finale
Encore une rencontre, et j'adore, tu dit "Imitateur" de Malher ? Je sens du César Franck dans ce que j'entend, mais il faudrait que j'approfondisse ma connaissance de cette auteur trop peut connu et aussi trop peut reconnu
RépondreSupprimer