- Hi hi hi, Monsieur
Claude ! Pourquoi vous avez mis un bonnet de Père Noël à Jean-Sébastien Bach ?
- Eh bien Sonia parce
que c'est Noël, et que je vais justement vous parler de son Oratorio de Noël…
- Houlà, ce sont des
gros coffrets, un oratorio très long semble-t-il ?
- Oui et non ! Il s'agit
d'une suite de six cantates de 20-25 minutes chacune jouées une à une entre le
jour de Noël et l'Epiphanie…
- Ah, je vois. Mais… il
me semblait que vous n'aimiez pas ce chef… Nini… Nikolaus Harnoncourt,
- C'est vrai que ses
enregistrements récents me laissent un peu de marbre, mais pas ceux de l'époque
où il "dégraissait" le baroque. Et puis, je n'ai pas à imposer mes
goûts personnels à nos lecteurs. Vous connaissez le dicton Sonia : "il n'y
a que les morts et les imbéciles qui ne changent pas d'avis"…
Nikolaus Harnoncourt,
pionnier du baroque authentique
Le
comte (rien que ça) Nikolaus Harnoncourt est né à Berlin en 1929. Il
commence sa carrière musicale comme
violoncelliste dans l'orchestre Symphonique de
Vienne. C'est Herbert von
Karajan qui l'a engagé, nous sommes en 1952. Le jeune artiste s'ennuie-t-il face à l'académisme de bien
des interprétations de l'époque ?
En
1953, il a 24 ans, il fonde avec Alice Hoffelner, son épouse, le Concentus Musicus de Vienne. Son objectif
: retrouver l'authenticité de l'exécution des œuvres en les replaçant dans les
contextes sonores et stylistiques de leur époque. Cela concerne d'abord les
instruments : violons à cordes en boyau, flûte à bec, viole, cuivres naturels
sans pistons, diapason différent, etc. Pour les voix, même chose : plus de
femmes dans l'interprétation baroque (ce n'est pas de la misogynie mais de la
musicologie), des contreténors et contraltos masculins (proche des castrats aux
tessitures redécouvertes par Alfred Deller),
et des chœurs de garçons qui remplacent les sopranos et altos féminins. Les
effectifs se réduisent pour retrouver les couleurs noyées dans la masse des grandes
phalanges romantiques.
Les
puristes hurlent !! "Ça sonne faux "(à cause du diapason ! Tu
parles, il n'y a pas deux orchestres allemands de renom qui utilisent le même),
"c'est
trop rapide, des contraltos féminins chantent parfois des rôles masculins,
c'est…" Bref, le pavé est dans la mare, les pours et les
contres se déchaînent ! On ne s'interroge pas par passion musicale sur la
démarche. Non, on s'invective sur la forme. J'ai 20 ans en 1971. Assez mystique de nature, je n'adhère pas trop à la sévérité
luthérienne, aux gosses qui chantent un peu faux, au minimalisme orchestral. Je
reste, à l'époque, attaché à la spiritualité d'un Jochum
ou d'un Mausberger.
Mais, petit à petit, mon oreille a été conquise grâce aux musiciens qui ont
suivi le pas d'Harnoncourt en cherchant une
véritable osmose entre la reconstitution historique et l'émotion.
Dans
ces années-là, des artistes visionnaires envoyaient "valser" les
interprétations "romantiques" recourant à des effectifs brucknériens
et épais, et rejetaient les conceptions sulpiciennes. En effet, Harnoncourt a été bien suivi par une
génération de baroqueux, et seules quelques interprétations spirituellement
habitées des chefs de l'ancienne garde ont survécu dans les discographies.
Nikolaus n'est pas seul, il rejoint Gustav
Leonhardt (clic) dans ce mouvement. Les deux hommes vont graver
l'intégrale des cantates de Bach
connues (environ 200, 60 CDs toujours au catalogue). Sacrée entreprise où un
jeunot, Philip Herrewege (clic),
participe à l'aventure en préparant les chœurs. On connait quelle carrière
fabuleuse attend ce jeune disciple...
50
ans plus tard, on n'imagine plus jouer le baroque avec 300 interprètes. Le
radicalisme de Harnoncourt a muri vers une approche plus chaleureuse. Les
chanteuses formées au chant détimbré ont fait leur retour. René
Jacobs, Frans Brüggen,
Paul Mc Creesh et tant d'autres ont
magnifié le style avec plus de chaleur et d'émotion. Curieusement, chez Harnoncourt, ce même virage ne réjouit pas
toujours autant que l'enthousiasme fougueux des années 60-70.
Je
considère Nikolaus Harnoncourt comme le
Pierre Boulez du baroque. Les deux hommes
partagent ce souci scrupuleux du respect musicologique et de ne pas
s'approprier la partition pour y appliquer une vision trop personnelle. Il en
résulte à mon sens chez Harnoncourt
une certaine froideur dans ses exécutions au cordeau. Ayant une nature émotive,
je n'arrive pas souvent à entrer dans ce monde presque aseptisé. Cela dit, Harnoncourt a de nombreux fans qui
admirent justement cette fidélité au texte, cette recherche de l'authenticité.
Il est important de conclure que dans ses enregistrements des années 60-70 il
proposait une lecture allégée dans lesquels toutes les subtilités des
partitions reprenaient vie, une démarche courageuse face à l'opprobre des critiques
officiels ancrés dans la tradition (les Goléa
et Cie). Je me dois de préciser que certains critiques de l'époque ont
largement tourné leurs vestes, quitte à traiter désormais Otto
Klemperer de pachyderme dans Bach (sic) !
Depuis
une vingtaine d'années, Nikolaus
Harnoncourt s'est tourné vers une carrière de chef plus
classique. Dirigeant les meilleurs orchestres à Vienne ou Amsterdam, il
revisite toujours avec une infinie précision dans la lettre le répertoire
classique et romantique. Il continue de diviser les mélomanes. A mon sens ses
interprétations de Bruckner n'apportent rien de nouveau, mais ses symphonies de
Schumann bénéficient du dépoussiérage cher au maestro.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Bach : Oratorio de Noël,
Harnoncourt 1973
L'oratorio de Noël est en réalité une compilation de six
cantates destinées à être jouées du jour de Noël à l'Epiphanie, six jours
différents au gré du calendrier :
-
3 jours de la fête de Noël (à l'époque) : La naissance, l'annonce aux bergers,
l'arrivée des bergers.
-
Nouvel an, et fête de la circoncision
-
Premier dimanche de l'année
- Epiphanie (fêtes des
rois pour ceux qui ne pensent qu'à la galette)
Il
s'agit vraisemblablement d'une commande puisque l'œuvre a été jouée dès 1734 dans les églises de Leipzig dont Bach
en était le Cantor. Bach avait une vingtaine de
gosses à nourrir et cette œuvre fait assez largement appel au principe de la
parodie. La parodie en musique permet de gagner du temps donc des sous ! Il
s'agit de réutiliser en partie ou in extenso des morceaux musicaux existants
dans d'autres œuvres. Dans le cas de cet oratorio, Bach
a puisé dans les cantates profanes BWV 213 et 214
et sans doute une passion selon Saint Marc qui
a été perdue en grande partie. Cela dit, de nombreux airs, récitatifs, chœurs
et même la sinfonia instrumentale sont
nouvelles pour personnaliser le sujet religieux. L'ensemble est pourtant d'une
remarquable cohérence. On peut écouter dans la continuité ou cantate par cantate
suivant l'humeur du jour…
On
retrouve souvent chez Bach, dont la production se devait d'être abondante du fait de ses charges, ce recours
à la parodie. L'exemple le plus connu est celui de la Messe
en si. Nota : les textes sont en allemand pour l'oratorio, extraits des Évangiles voire
d'auteurs inconnus.
Pour
cet enregistrement (Teldec – [2H36']), nous avons une des plus belles
distributions de l'époque, totalement masculine comme il était d'usage au XVIIIème
siècle :
Peter
Jelosits
(membre du Wiener
Sängerknaben) : Soprano - Paul Esswood : Alto - Kurt Equiluz : Ténor - Siegmund
Nimsgern : Basse
Wiener
Sängerknaben
& Chorus
Viennensis – chef de chœur : Hans Gillesberger
Concentus
musicus
de Vienne dirigé par Nikolaus Harnoncourt
Bon, nous allons
explorer les 65 airs, récitatifs et chœurs… tous assez courts… je commence,
Cantate 1, Chœur 1…
- Non mais t'es
complètement cinglé, avec 10 lignes par morceau, ce n'est plus un article,
c'est une thèse ! Pauvre abruti…
- Heuu tu crois… oui Rockin'… t'as sans doute raison, je vais commenter
juste une petite sélection alors….
Hummm
pardon mes chers lecteurs… Pôv abruti ! Quand même… il y va fort… Bon… revenons
à nos moutons…
D'ailleurs,
il y a toujours des moutons dans une crèche de Noël, avec le bœuf et l'âne. Qui
dit moutons dit bergers, et justement Bach nous les présentent lesdits bergers
dans le début de la seconde cantate. Ils ne
chantent pas. Non, ils arrivent au son d'une de ces délicieuses sinfonia dont Bach
avait le secret, une ode pastorale purement instrumentale. Harnoncourt
avec un tempo vif et une belle articulation élude la métaphysique extatique de
l'adoration pour une joie simple et chantante. Les bois dialoguent avec
complicité avec les cordes, c'est très en place, joyeux mais sans débordement…
Je vous propose l'extrait, clic :
Chœur initial de la cantate 1 (plage 1) : Les
timbales et les cuivres accueillent en fanfare le jeune Messie. Des cuivres
râpeux, à la limite nasillards et approximatifs au niveau de la justesse. Des
petites timbales très sèches. Les voix des hommes et des gamins sont bien
différenciées de par l'effectif restreint. Les chanteurs prononcent ainsi un
texte bien compréhensible par nous, auditeurs du récit. Et c'est merveilleux,
car tout cela sonne de façon rustique et pourtant parfaitement cadencé. Le
petit peuple et tous les acteurs de cette naissance à Bethléem sortent de la
salle de concert pour redevenir humbles et heureux. Le discours est transparent
et spontané. J'ai décidé de laisser parler la musique, clic…
Cantate 2 Air 10 (plage 19) : Un air pour Alto qui a vocation de
berceuse "Dors,
mon doux enfants". Paul Esswood
(né en 1942) fait partie de cette génération de chanteur qui redécouvrait le
timbre des castrats. On peut aussi imaginer que c'était un enfant alto qui
assurait cette partie, mais l'air est difficile pour un gamin... On parle indifféremment
de contre-ténor ou d'alto. Pour cet air, la voix se fait sensuel et sereine
mais sans vocalise précieuse. La ligne de chant reste pure et dynamique. Les
générations suivantes nous apporteront des voix encore plus magiques : Andreas Scholl ou Philippe
Jarousky. Mais la simplicité, la sincérité d'Esswood
sont bien appropriées au texte sacré. L'accompagnement orchestral est coloré
mais laisse la voix s'épanouir. Clic
Cantate 3 Air 6 (plage 29) : Il s'agit d'un duo Soprano – Basse et
orchestre sans soutien du chœur. Un chant de louange qui n'a pas un lien
particulier avec le contexte de la Nativité. Il s'agit d'un texte repris de la
cantate BWV 213, un air magnifique. Nikolaus
Harnoncourt poursuit sa logique en prenant tous les risques :
faire chanter la partie de Soprano par l'un des garçons du chœur, risqué, surtout
dans cet air de près de 8'. J'ai l'ouïe fine, et je suis toujours inquiet et
préparé par expérience à entendre un chant à la justesse approximative, défaut quasiment
inévitable chez les jeunes garçons pour des raisons anatomiques… Bref, ici le
jeune Peter Jelosits dialogue
divinement en complicité avec la basse Siegmund
Nimsgern, chanteur très chevronné. Les aigus de cet
enfant sont séraphiques, sa voix d'une souplesse exceptionnelle, une voix
d'ange même si en fin d'air le chant de gorge réapparait, mais si peu. On pourra
penser ce que l'on veut de ses choix musicologiques, mais le chef est un perfectionniste
dans le bon sens du terme. Le continuo des bois seuls caracole dans ce
passage magnifique de gaieté. Je vous laisse écouter, clic...
La
conclusion s'impose vite. Ces disques de 1973 (même époque que ceux de Jochum) n'ont pas pris une ride et
prouvent le bien-fondé des recherches d'Harnoncourt.
On ressent une jubilation dans cette interprétation radieuse, sans grandeur
métaphysique hors de propos en ces jours festifs. Les couleurs chamarrés des
instruments anciens, l'alacrité du chœur, l'engagement des solistes, tout est
réuni pour une réussite absolue dans la discographie de cet oratorio. Je ne me
suis pas attardé mais Kurt Equiluz
est parfait en évangéliste, évidement.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Discographie alternative
La
discographie de ce cycle de 6 cantates est abondante. Parmi les belles
réussites, celles que l'on peut écouter sans se dire à un moment donné
"Dieu que c'est long", en voici trois. Elles figurent à coté de
celles d'Harnoncourt sur mes rayonnages, donc je suis en terrain connu.
Dans
les années 60, Philips confia au chef allemand et mystique Eugen
Jochum (clic) l'enregistrement des deux passions, de la messe en
si et de cet oratorio en 1973. Nous sommes dans une approche à l'ancienne : des
chanteurs lyriques, mais quels chanteurs : Elly Ameling,
Brigitte Fassbaender, Horst
R. Laubenthal et Hermann Prey.
L'orchestre est celui de la Radiodiffusion bavaroise créé par le chef en 1969.
C'est immense, priant et empreint d'une grande piété. Mais l'art de Jochum reposait
sur la douceur du trait, la finesse des couleurs instrumentales. Les tempos
sont identiques à ceux des baroqueux. Quelle beauté plastique du dialogue voix
orchestre ! Ces disques rares (marché d'occasion) trouveront leur place chez
les amateurs des voix sublimes de cette époque et de spiritualité (6/6 Philips
– [2H44']).
Philip Herrewege a enregistré en 1989 une version qui, comme à l'accoutumée, trouve un bel équilibre
entre le baroque radical et la spiritualité. Il dirige son ensemble du
Collegium Vocale de Gand et son équipe de chanteur favorite avec notamment Barbara Slick (soprano) et Peter Koy (basse). Une interprétation
festive et d'une vitalité en accord avec le thème biblique de la Nativité (6/6
Virgin- Veritas – [2H30']).
Autre
belle version baroque, plus proche des options d'Harnoncourt, celle de René
Jacobs de 1997. L'Académie für Alte Musik Berlin brille de tous ses
feux. A noter la présence radieuse d'Andreas Scholl
pour la partie d'Alto. Une direction vivifiante pour ceux qui cherchent un peu plus
de poésie que chez Harnoncourt (5/6 Harmonia
Mundi – [2H31']).
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Vidéos
Les
six cantates en continu dans cette interprétation d'Harnoncourt de 1973… NON ! Je ne mettrai pas le
minutage des 65 parties ! Écoutez soit en entier, soit en piochant, prenez des
notes sur le timing, bref à chacun son truc…
Allez
! En voiture… Non, en traineau, c'est Noël !!!!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire