Ils ne sont pas
nombreux les réalisateurs français dont les noms sont associés au Film Noir. Il
y a les maîtres, comme Jean Pierre Melville, Réné Clément, voire Gilles
Grangier, puis Jacques Deray, George Lautner (dans un genre souvent parodique),
aujourd’hui Guillaume Nicloux (auteur inégal)… Mais quand on parle de polar et
de cinéma français, le premier qui vient à l’esprit c’est bien Alain Corneau. Entre POLICE PYTHON 357 (1975), LA MENACE (1977) et LE CHOIX DES ARMES
(1981) tous trois avec Yves Montand, Alain Corneau réalise son chef
d’œuvre : SERIE NOIRE (1979).
Par respect pour
ce grand metteur en scène, nous oublierons LE COUSIN (1997), LE DEUXIEME
SOUFFLE (2007), et CRIME D'AMOUR (2010), certes pas déshonorants, mais très en
deçà des films pré-cités…
Le film est
adapté d’un roman de Jim Thompson, le chouchou des scénaristes, dont plusieurs
romans ont été adaptés, par Sam Pekimpah (GUET APENS, deux versions), Bertrand
Tavernier (COUP DE TORCHON - cliquer ici pour relire la chronique -), Michael Winterbottom (THE KILLER INSIDE ME).
Notons que Thompson a aussi participé aux scénarios de L’ULTIME RAZZIA et LES
SENTIERS DE LA GLOIRE de Stanley Kubrick.
Jusqu’à l’arrivée
de Corneau, le Film Noir à la française restait très ancré dans le cinéma
américain. Seul Jean Pierre Melville avait réussi à créer son propre style, une vision presque poétique du polar, dont on perçoit encore aujourd'hui l'influence. Si Corneau garde de Melville les intrigues bien lisibles, un rythme assez lent, un univers graphique, urbain, il revisite le genre lui insufflant une
dimension psychologique. Un mix
de JP Melville et Claude Sautet !
L’intrigue est
relativement simple. Franck Poupard gagne sa vie en faisant du porte à porte,
transportant dans sa grosse valise un tas de trucs en toc qu'il cherche à
refourguer. Ce soir-là, il vend une robe de chambre molletonnée à une vieille.
Plutôt que de payer en espèce, la vieille paie en nature… offrant sa
petite-fille Mona, une ado, au colporteur. Poupard refuse l’offre. Mais cette
petite lui tape dans l’œil, et quand elle lui raconte que sa grand-mère dort
sur quelques millions en billet sous son matelas, ça lui donne des idées…
Parlons du décor.
Dès le premier plan, on se trouve dans l’environnement qu’Alain Corneau
affectionne, les déserts urbains, la banlieue près de Créteil, les barres
d’immeubles au loin, les terrains vagues, les parkings bétonnés. Et les maisons
en meulière, typiques de cette banlieue. Corneau ne filme pas la nuit, mais
plutôt la grisaille humide des petits matins. Un décor qui renvoie à Melville
(souvenez-vous du garage dans LE SAMOURAÏ, le pavillon de receleur dans LE DOULOS)
qui renvoie aussi aux films d’avant-guerre, Renoir, Duvivier, Carné. Chez
Corneau, et dans SERIE NOIRE en particulier, le décor est vide de vie. Un no
man’s land. Pas une boutique (juste une scène dans un troquet), pas de voiture,
de train, de passant, rien, juste une étendue cafardeuse et trois péquins qui
se débattent pour en sortir. Décor magnifié par la superbe photo, blafarde, de Pierre-William
Glenn. Notez que la maison de Poupard est elle aussi une coquille vide, des
papiers peints colorés, mais peu de meubles, et un frigo ouvert en guise de
bibliothèque !
Il n’y a même pas
de musique dans ce film, c’est dire la sécheresse omniprésente ! Les seuls
morceaux de musique viennent de postes de radio, et on entend vaguement du
Claude François, du Sheila, du Lenorman, du Sacha Distel… Corneau, grand
amateur de jazz devant l’éternel, aurait pu demander une bande son à tous les
musiciens jazz de la terre. Il a préféré cette solution, qui renforce le côté
populo et français de son film.
SERIE NOIRE obéit
donc au genre, avec ce désert social, un avenir bouché, et un héros qui pour se
dépêtrer de cette misérable vie, va sombrer dans une spirale incontrôlable. Lorsque
Mona annonce à Poupard que sa grand-mère a un magot, il faut voir de suite son œil
briller. Mais aussitôt il refreine ses pulsions. Il se débat avec ce qu’il lui
reste de morale. Et même si sur plusieurs scènes il semble encore hésiter, on
sait que Poupard va faire le coup, et qu’évidemment, il en ressortira lessivé ! C’est une caractéristique du Film et du Roman
Noir.
Il y a un élément
qui rend SERIE NOIRE totalement passionnant, et qui le distingue des autres. Ce
personnage de Franck Poupard, et son interprète : Patrick Dewaere. Il est
éblouissant, trouve sans doute là le rôle de sa (courte) vie, Corneau
travaillant à plusieurs caméras pour ne pas brider son comédien, et ne rien
perdre de sa fougue. Dewaere compose son personnage comme un gamin. Poupard est
menteur, mythomane, colérique, capricieux. Il imite sans cesse des bruits de
moteur de voiture, vroum vroum, de dérapage, il trépigne, tape des pieds, frappe les murs.
Comme un enfant. D’ailleurs, sur le générique, on le voit en train de dégainer,
comme un cowboy, faire son Bruce Lee de pacotille, dans son terrain vague. Ce terrain où il se réfugie pour réfléchir,
comme les enfants ont un p’tit coin à eux, où personne ne viendra les déranger.
Et visuellement, je trouve que Poupard, avec son énorme valise, qu'il peine à trimballer, qui se cogne partout, ressemble à un gamin maladroit.
Il y a de la folie dans ce film, des scènes cocasses (l’écrivain George Perec a participé à l’adaptation, et signe les dialogues), entre Poupard et sa femme (Myriam Boyer) entre Poupard et Tikidès, un brave type dont Poupard fera son complice, en le manipulant.
Il y a de la folie dans ce film, des scènes cocasses (l’écrivain George Perec a participé à l’adaptation, et signe les dialogues), entre Poupard et sa femme (Myriam Boyer) entre Poupard et Tikidès, un brave type dont Poupard fera son complice, en le manipulant.
Face à lui, dans
le rôle du patron, Bernard Blier est prodigieux, en raclure, en escroc,
fielleux et combinard. On ne pourra regretter qu’une chose, que Blier et Dewaere
n’aient pas plus de scènes en commun. Il y a aussi Myriam Boyer, magnifique,
fragile, avec ses faux airs de Miou-Miou, Jeanne Herviale, fabuleuse en horrible harpie
proxénète, et Marie Trintignant dans le rôle de Mona. La fille adoptive
de Corneau, n’avait alors que 17 ans, et il est difficile d’oublier sa mine
boudeuse, son regard triste, et cette première scène où elle apparaît nue. Ce n'est pas encore une actrice, mais une présence.
Poupard est englué
dans ses mensonges. Quand il tente d’expliquer à sa femme d’où vient le tas de
fric qu’il a planqué dans sa valise, il lui dit : « Je sais que c’est
le genre d’histoire que personne ne croit… mais c’est vrai ! Cet argent,
je l’ai trouvée ! ». Tout le monde sait que c’est faux. Poupard,
personne ne le croit, ni Tikidès (à qui pourtant il avoue son véritable plan !!),
ni sa femme, ni son patron, tout le monde lit en lui. Il ment et s’enfonce,
jusqu’à la dernière scène, le dernier plan du film.
SERIE NOIRE est
sans doute un des films les plus noirs qui soit, par son atmosphère, sa misère,
sa sécheresse, ses personnages dont aucun ne rattrape l’autre, sa mécanique
tragique, sa vision de l’humanité comme pouvait en filmer HG Clouzot, comme
pouvait l’écrire LF Céline. La force de Corneau est justement d’avoir recours à
l’humour, au potache, pour pointer du doigt le sordide des situations. Traversé
par des éclats de violence (le meurtre chez la vieille est un moment de tension
inouïe), et dominé par un acteur au sommet de son art, SERIE NOIRE, par son
romantisme, sa mélancolie, son humour aussi, domine le polar français de toute
sa noirceur. On ne pourra que l’imiter, le copier, mais il sera difficile de l’égaler.
Bravo Luc pour cette chronique que j'aurais tant aimé écrire… L'un des films de ma vie comme on dit…
RépondreSupprimerAlain Corneau a adapté le roman "Des cliques et des Cloaques" de Jim Thompson paru dans la célèbre collection "Série Noire" chez Gallimard en 1954… d'où ce titre sans doute…
Pour le Jazz, on voit souvent Poupard, "mon petit Franck", comme le dit de manière pateline Blier, mimer un joueur de trompette avec en fond sonore Moonlight fiesta de Duke Ellington et Juan Tizol…
http://www.youtube.com/watch?v=CL2lyTek7zI
un grand film effectivement, et quelle chronique M'sieur Luc! Là je mesure bien le chemin qu'il me reste à parcourir. de mon coup de torchon à votre série noire,il est long le sentier de la gloire. Va falloir que je peaufine le choix des armes et que j'trouve un deuxieme souffle!
RépondreSupprimerTHE film de Patrick Dewaere avec une belle chronique bien tapé ! Des scènes tragicomique, des costumes d'été en lambeaux, des robes de chambres molletonnées,un boxeur manipulé,un film à voir et à revoir !
RépondreSupprimerAh ben voilà tu l'as faite ta chronique du meilleur film dont on parlait j'sais plus quand!
RépondreSupprimerDans l'entretient parmi les bonus du dvd, Corneau dit avoir été inspiré par Un après midi de chien et avoir employé la musique du décor habituel des gens, comme dans Mean Sreets qui était le précurseur.
Jeanne: J'suis pas ta mère, moi!
Franck: Et tu t'en vantes?!...
Inégalable, en effet!