vendredi 26 octobre 2012

DANS LA MAISON de François Ozon (2012) par Luc B.



On se souvient du grand succès de François Ozon, en 2001, HUIT FEMMES, divertissement policier en forme de cluedo rose bonbon qui cachait en réalité des abîmes de perversité et de noirceur. L’action, très théâtrale, se déroulait exclusivement dans une maison, dont les habitants étaient auscultés par le metteur en scène, et donc aussi, le spectateur.

10 ans plus tard, Ozon remet sa caméra dans une maison. Mais cette fois, il ne s’y passe pas grand-chose. Car le point de vue a changé. Ce ne sont plus les habitants de la maison qui nous intéressent, nous intriguent, mais celui qui les regarde vivre, les observe, les espionne.   

L’histoire : Au lycée Gustave Flaubert, Germain, prof de français, est intrigué par le talent d’un de ses élèves, Claude. Ce dernier lui rend des rédactions dans lesquelles il décrit avec cynisme et méchanceté, ce qui se passe dans la famille de son copain Rapha. Rédactions qui se terminent invariablement par la mention « à suivre ». Germain aimerait condamner ces exercices de voyeurisme, mais en même temps, il les dévore, les fait partager à sa femme, et attend chaque nouvel épisode avec régal. Germain prend son élève en cours particulier, pour le faire progresser dans son écriture, son investigation, poussant Claude à s’immiscer toujours plus dans l’intimité des Rapha.

Premier plan. Germain, assis sur un banc, croise une collègue, et ensemble se rendent à la réunion de pré-rentrée. Plan large, espace vide, vitré, silencieux, gris. Et dans les mains de Germain, une chemise cartonnée rouge. Ce point rouge focalise tous les regards. Par cet artifice de couleur, François Ozon attire notre regard. Qu'y a-t-il dans cette pochette ?! Il y a le sujet de son film !! Un film sur l’écrit, la littérature, le pouvoir de la narration. Germain est prof de français, on lit avec lui les textes de ses élèves, la voix-off de Claude mène le récit, qui se développe à chaque nouveau devoir de français. François Ozon est à son aise dans ce genre de situation. Il va pouvoir manipuler son spectateur, comme Claude manipule son prof. C'est un film sur les rapports fiction/réalité, où est le vrai, comment fabrique-ton le faux ? Où qu'est-y, où qu'est-y ? Jeu de dupes. Car ce qu’on sait de la famille Rapha, c’est Claude qui nous le dit, ce qu'il en écrit. Mais qui nous prouve qu’il dit vrai ? Qui nous prouve qu’il n’invente pas au fur et à mesure, pour satisfaire l’esprit voyeur de son unique lecteur ? 

Voilà toutes les questions que pose ce film, intriguant et ludique à souhait. Intriguant, car Ozon superpose les points de vue, la vision objective de ce qui se passe chez les Rapha, mais aussi le point de vue de Claude, par le filtre de ses rédactions. Exemple : quand Rapha (le fils) embrasse Claude sur la bouche. Est-ce vraiment arrivé, où Claude l’a-t-il juste imaginé et écrit ? Pour faire plaisir à son professeur, pour égayer son récit, inventer un rebondissement, ou provoquer Germain, le rendre jaloux ? Parce que se pose la question au bout d’un moment : ce prof et cet élève, au physique d’ange, de quel ordre sont leur relations ? Germain a la conscience tranquille, comme il le dit à sa femme : « mais c’est un gamin, et puis tu sais bien que je préfère les femmes… ».  Mais au lycée, ça commence à jaser… Le film est ludique aussi, car François Ozon filme des scènes dans la maison, avec Germain qui intervient (mais sans exister aux yeux des Rapha, seulement de Claude) pour commenter et corriger sa façon de faire !

DANS LA MAISON est aussi un film grinçant, le portrait de la famille Rapha (le père et le fils, très copains, ont le même prénom) n’est pas très aimable… Le père se débat avec ses soucis professionnels, le fils avec ses problèmes de maths, et ensemble vont suer sur les terrains de basket. La mère Esther passe ses journées le nez plongé dans Marie Claire Déco, persuadée que sa grande œuvre dans la vie sera de bien choisir la couleur des rideaux. Dans ses rédacs, Claude la définit toujours de une femme de la classe moyenne... Mais Ozon ne snobe pas ses personnages, aucun mépris dans sa démarche. Et le couple Germain a droit aussi à quelques coups de griffes, notamment Jeanne, la femme, galeriste, très impliquée dans son exposition d’art contemporain hideuse, dont tout le monde se contrefout. Et Germain lui même, sermonné par Rapha père, pour avoir manqué à ses responsabilités élémentaires, avoir laissé une situation s'envenimer. On peut être cultivé, et pas très malin...

Le cinéma de François Ozon est toujours très référencé. L’hommage à Woody Allen est ici appuyé. Les Germain sont des intellos, lui prof de français, elle, galeriste, appartement feutré, lumière beige et chaude. La manière dont Ozon les filme, à table buvant du vin, ou elle assise sur son canapé, renvoie au clarinettiste New-yorkais. Quand la femme de Germain est vêtue d’un gilet et d’une cravate, là, c'est Diane Keaton de ANNIE HALL. Et quand le couple va au cinéma, ils vont voir MATCH POINT… Et à la manière de THEOREME, de Pier Paolo Pasolini, Claude, ange maléfique, finira par séduire cette mère de famille, comme il séduit le fils, et d’une certaine manière, le père. Comme il séduit son professeur, et même sa femme. On peut aussi parler de THE SERVANT de Joseph Losey, dans la manière dont l'élève finit par mener le maître à la baguette. J'ai lu qu'on parlait aussi de l’Hitchcock de FENETRE SUR COUR… Pas d’accord. On ne va pas invoquer Sir Alfred à chaque fois qu’on filme un immeuble (le plan en question renvoie bien davantage au Jacques Tati de PLAYTIME). Par contre, un parfum de VERTIGO pour le thème de la fascination, jeu de masques...

Un des atouts de ce film, avec la mise en scène élégante, précise et réfléchie de François Ozon, ce sont les interprètes. Un prof de français amateur de la Fontaine joué par Fabrice Luchini, on ne peut pas rêver mieux ! Il est d’une sobriété exemplaire (par rapport à son rôle dans POTICHE). Sa femme Jeanne est jouée par Kristin Scott Thomas, d’une élégance rare, qui tourne de plus en plus chez nous et c’est tant mieux. Une Emmanuelle Seigner déboussolée joue la mère de Rapha, lasse, presque usée. Son mari prend les traits de Denis Ménochet, robuste et sanguin. Et le jeune Claude est joué par Ernst Umhauer, tour à tour séducteur, intrigant, glaçant. Et on croise l’impeccable Jean François Balmer, et deux Yolande Moreau pour les prix d’une !

DANS LA MAISON est un film sournois, parce qu’il ne s’y passe pas grand-chose, en apparence, et pourtant le spectateur est aspiré, captivé, comme Germain devient accro à cette famille qu’il découvre par le prisme des devoirs de son élève. Parler de thriller est un bien grand mot, mais il s’y distille effectivement un certain suspens. Le jeune Claude, esprit brillant, mais sans doute dérangé, bon camarade (mais n'est-ce qu'une façade ?) finit par semer discorde et désolation autour de lui. Il vient de nulle part, n'a pas d'attache, aucune existence propre, il ne vit qu'aux yeux des Rapha et des Germain. Comme le cavalier solitaire des western d'Easwood !... D'ailleurs, il y a un étrange aspect américain qui traine, notamment avec le style de la maison de Rapha, totalement anachronique, et qui rajoute un sentiment d'étrangeté à l'ensemble.

Mais à mon avis (et au contraire de madame Luc B. qui a adoré) le dernier quart du film déçoit légèrement. On était en pleine montée, et ça se tasse. On décroche. L'ensemble reste quand même assez froid, distant. Ozon semble hésiter à plonger vers le thriller pur, le drame criminel, voire le fantastique. Et puis de nouveau, l’intérêt revient quand Claude sonne à la porte de son prof, et que sa femme Jeanne lui ouvre. Mais quand tout se délite, s’effondre dans ce couple, les dommages collatéraux ne nous touchent pas, parce qu'ils sont trop abstraits, on n’a pas eu le temps de les voir venir, de les appréhender. En fait, on a presque l'impression qu'il manque une bobine, l'avant dernière !

 ATTENTION : SPOILER !!!   (autrement dit, faites gaffe, je raconte la fin !)
C'est quoi cette histoire de fausse couche qui arrive comme un cheveu sur la soupe ? Pourquoi ce couple dont rien ne laisse deviner la fragilité, se sépare tout à coup ? Quel est le plan de Claude ? Détruire le couple Germain/Jeanne après celui des Rapha, où était-ce le but premier, les rédactions ne servant que d'hameçon ? Et pourquoi s'en prendre à eux ?  

Ces réserves faites, DANS LA MAISON reste une histoire prenante et très originale, servie par des acteurs impeccables, et un rythme toujours soutenu. 

DANS LA MAISON (2012) sc et réal François Ozon
Couleurs  -  1h45  -  format 1:85





8 commentaires:

  1. Sonia de Guéméné26/10/12 18:22

    J'avais déjà très envie de voir ce film, maintenant je brûle d'impatience! Ozon, Luchini, Christin Scott Thomas, Yolande Moreau, ça me faisait 4 bonnes raisons de le voir, avec la chronique de M'sieur Luc ça en fait une 5e.

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  2. je peux aller avec vous Sonia, je vous paierai une glace à l'entracte...comment? y'a plus d'entracte? pfff tout se perd...y'a longtemps que j'ai pas été au cinéma moi.....

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    1. Sonia de Guéméné26/10/12 20:00

      désolée M'sieur Rockin, mais je me suis déjà engagée auprès de Vincent. Et il ne s'est pas contenté d'un esquimau, il m'invite au resto, lui!!!

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    2. quoi? avec ce qu'on le paie?! va falloir qu'on revoie son contrat......

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    3. Sonia de Guéméné26/10/12 21:49

      oui, justement. il va avoir quelques frais là, faudrait prévoir un petit supplément.

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  3. C'est gentil, Sonia... Mais méfiez-vous de M'sieur Rockin', il a déjà fait le coup de la salle obscure et de l'esquimau à pas mal de stagiaires...

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    1. Sonia de Guéméné26/10/12 20:07

      merci du conseil M'sieur Luc, mais depuis que j'ai lu, et compris l'excellent " CADRES NOIRS", va falloir autre chose qu'un esquimau pour me convaincre...

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  4. ... 'dis rien moi, mais je n'en pense pas moins.

    Pendant ce temps (dans ma maison):

    "Ouiii Soniiia j'arrive ! Te rejoint tout de suite (trouve plus mes clefs moi mince !)".

    "J'arrive Sonia... J'ariiiiiiive !!!!" Pchit, Pchiiiiiiit...

    ANONYME (oui je préfère).

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