dimanche 19 août 2012

Le "Classique" fait son cinéma par Claude Toon



Comme l'expliquait si bien Pat Slade dans son article paru il y a quelques semaines, la musique Classique a souvent fait le bonheur du cinéma et de la publicité. Loin d'être honteuse, cette appropriation libère ladite musique de son cantonnement soi-disant élitiste. Il existe ainsi tout un répertoire d'airs devenus "immortels" grâce à leur complicité avec l'ambiance particulière de quelques plans dans un film, ou encore leur association à but lucratif avec un clip particulièrement réussi vantant les mérites d'une lessive, de serviettes intimes, d'un paquet de nouilles ou d'une compagnie d'assurance…
Pour continuer dans l'esprit de l'été au Deblocnot', voici les classiques du classique au cinéma…


Kubrick et les grands classiques historiques



Stanley Kubrick a été l'un des réalisateurs les plus friands de l'illustration sonore classique dans ses films. Ses choix ont porté sur des œuvres connues des mélomanes (R. et J. Strauss, Beethoven, Berlioz, etc.) et le maître n'a pas hésité à nous faire flipper à coup de passages glaçants empruntés aux contemporains (Penderecki et Bartok dans Shinning).
Les musiques sont parfois "arrangées" par des ingénieurs du son soucieux d'apporter une petite note d'étrangeté à l'utilisation décalée de morceaux célébrissimes. La sarabande d'Haendel se voit ainsi orchestrée et l'Ode à la joie de la 9ème de Beethoven reçoit un petit traitement électronique sarcastique. Et que dire de la symphonie fantastique de Berlioz manipulée pour accentuer encore plus son climat sardonique dans le générique de Shinning.
Ah, j'oubliais les anachronismes. La bande originale de Barry Lyndon recourt au Trio N°2 de Schubert à plusieurs reprises. Un trio pour piano, violon et violoncelle qui a été écrit en 1827 au crépuscule de la vie du compositeur autrichien ! Or la tragédie peinte avec tant de magie par Kubrick se situe au milieu du XVIIIème siècle (vers 1763 je crois, Luc va surement chipoter). Par ailleurs, c'est le son d'un piano moderne. Mais cet andante nostalgique est devenu indissociable de nombreuses scènes du chef-d'œuvre, Kubrick est donc beaucoup pardonné.

Quant à l'introduction titanesque et métaphysique du poème symphonique "Ainsi parla Zarathoustra" de Richard Strauss, utilisée au début et à la fin de 2001, c'est tellement célèbre que je n'en dis rien. La sombre et puissante vibration initiale, dans l'extrême grave (peu audible sur un PC certes), est une combinaison d'une note tenue au contrebasson, de roulements ténus de grosse caisse avec deux percussionnistes et de trémolos des contrebasses ; orchestrateur de génie le Richard. C'est Karl Böhm qui dirige la Philharmonie de Berlin.

 



Place aux "classiques" contemporains


Attention de ne pas imaginer qu'une B.O. gorgée de musique classique répond à un snobisme esthétique ou, de manière encore plus pingre, à des soucis d'économie, bref au désir de ne pas passer commande à un groupe de rock (ou à plusieurs) ou à un spécialiste du genre d'une musique dite "originale". Il existe d'éminents compositeurs de musiques de film qui souvent sont d'une qualité qui les rend autonomes, que l'on ait vu le film ou pas ; liste vite faite et non exhaustive : Jerry Goldsmith, John Barry, Elmer Bernstein et pour ne pas parler que des défunts : James Newton Howard, Danny Elfman (pote de Tim Burton) ou Howard Shore (complice de David Cronenberg) qui flirte entre B.O. et musique Classique ("La Mouche" est devenu un opéra en 2010).
On ne peut pas parler de chacun dans cette petite chronique, on verra une autre fois. Il est fait souvent appel à des compositeurs estampillés "classiques". Ils sont essentiellement américains et adorent échapper à leurs recherches acoustiques pointues pour nous concocter des B.O. de rêve. Donc, place aux compositeurs contemporains et aux papes de la musique répétitive : Michael Nyman et Philip Glass très sollicités par les cinéastes.
En 1993, à Cannes, la palme d'or et celle d'interprétation féminine sont attribuées à un magnifique mélodrame de Jane Campion : La leçon de piano. Une jeune anglaise fille-mère muette (Holly Hunter) se "marrie" avec un pionnier butor (Sam Neil) de la jungle humide de la Nouvelle-Zélande. Elle débarque sur une plage avec son piano et sa fille. Le piano irrite le mari qui le refile à son voisin (Harvey Keitel). Celui-ci décide de restituer le piano à la jeune femme note par note contre un "moment d'amour" par note. Ce qui semble odieux est en fait une conquête amoureuse par piano interposé. Il faut être bref, ce film est une splendeur d'émotion… Faudra faire une p'tite chronique…
La BO est confiée à Michael Nyman qui joue sur les ombres, les faux semblants, l'obsession de la jeune femme à protéger son instrument. Obsession, répétition des motifs, le monde de Jane Campion en osmose avec le style de Nyman.
J'avais déjà parlé de Philip Glass dans le blog. Glass s'est illustré dans de nombreux films y compris expérimentaux. Pour ceux qui n'ont pas vu le film The Hours, il s'agit de l'évocation d'une journée cruciale pour trois femmes : Virginia Woolf (Nicole Kidman), Laura Brown (Julianne Moore) et Clarissa Vaughan (Meryl Streep). Il n'y a aucun lien de narration entre les trois récits. Inspiré du roman de Michael Cunningham, les destins s'entremêlent : le temps qui s'écoule, la mort, le choix ou non de son destin. Trois vies, des instants et émotions qui se répètent. Glass joue de sa maîtrise du mode répétitif et minimaliste pour tisser une partition intime et mélancolique
La leçon de piano : "The promise" (la fiancée), puis  "I'm Going to Make a Cake" extrait de The Hours :

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Opéra et "Must" incontournables


L'opéra est souvent intégré dans les films, en insistant sur la magie de la voix (Diva de Jean-Jacques Beineix). Dans le Cinquième élément de Luc Besson, la Diva extra-terrestre "Plavalaguna" (Maïwenn le Besco) interprète l'air de "La folie" de Donizetti (enfin… chanté par la soprano Inva Mula) pendant que les coups fourrés et les coups tout court pleuvent en coulisse. Cela n'aurait pas déplu au compositeur qui raffolait des drames et des rebondissements… Par contre il n'avait pas prévu des variations conclusives et insolites pour cet air de son opéra Lucia di Lamermoor, variations écrites par Eric Serra… Et pourquoi pas ?
Et puis enfin, il y a les "must", les musiques que l'on rencontre partout. Dans l'article consacré au ballet "Blanche Neige" d'Angelin Preljocaj, on voyait tout le travail musical que le chorégraphe avait effectué sur des extraits des symphonies de Gustav Mahler. Un des clous de ce spectacle magique était la danse du réveil de la princesse, un pas de deux de 10' entièrement dansé sur l'allegretto de la 5ème symphonie.
Un passage languissant, mélancolique et tendre que Visconti avait déjà utilisé comme leitmotiv de Mort à Venise, palme d'or à Cannes en 1971. Les liens entre le personnage vieillissant (Dirk Bogarde) et la vie du compositeur obsédé lui aussi par la beauté, l'enfance et la mort, ne pouvaient inspirer un autre choix au cinéaste !

2 commentaires:

  1. pat slade19/8/12 17:21

    "West Side Story" écrit avant le film mais en 1957 pour le spectacle de Broadway par Léonard Bernstein, peut il être considéré comme un oeuvre classique ? Je pense que le sujet demanderais a être plus approfondis , si tu vois ce que je veux dire !!!^^

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  2. Oui car West Side Story est de forme "opéra comique" si tant est que ce terme puisse s'appliquer au sujet.
    Classique aussi dans le fait que la partition est autonome (pas liée fortement à la personnalité des premiers interprètes) et peut être "montée" à tout moment dans la programmation d'un opéra. C'est immortel et donc c'est classique.

    Bien entendu, le fond musical est très influencé par les rythmes latino... Mais c'est cela la magie de la "grande musique" US, c'est de dépasser les frontières entre les genres. Et de citer : Copland, Barber, Hanson, Gershwin, Glass et j'en passe....

    La meilleure version est de loin celle enregistrée à Broadway en 1957....

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