Comme
l'expliquait si bien Pat Slade dans son article paru il y a quelques semaines,
la musique Classique a souvent fait le bonheur du cinéma et de la publicité.
Loin d'être honteuse, cette appropriation libère ladite musique de son
cantonnement soi-disant élitiste. Il existe ainsi tout un répertoire d'airs
devenus "immortels" grâce à leur complicité avec l'ambiance
particulière de quelques plans dans un film, ou encore leur association à but
lucratif avec un clip particulièrement réussi vantant les mérites d'une
lessive, de serviettes intimes, d'un paquet de nouilles ou d'une compagnie
d'assurance…
Pour
continuer dans l'esprit de l'été au Deblocnot', voici les classiques du
classique au cinéma…
Kubrick et les grands
classiques historiques
Stanley
Kubrick a été l'un des réalisateurs les plus friands de l'illustration sonore
classique dans ses films. Ses choix ont porté sur des œuvres connues des
mélomanes (R. et J. Strauss, Beethoven, Berlioz, etc.) et le maître n'a
pas hésité à nous faire flipper à coup de passages glaçants empruntés aux
contemporains (Penderecki
et Bartok
dans Shinning).
Les
musiques sont parfois "arrangées" par des ingénieurs du son soucieux
d'apporter une petite note d'étrangeté à l'utilisation décalée de morceaux
célébrissimes. La sarabande d'Haendel se voit ainsi orchestrée et l'Ode à
la joie de la 9ème
de Beethoven
reçoit un petit traitement électronique sarcastique. Et que dire de la symphonie
fantastique de Berlioz manipulée pour accentuer encore plus
son climat sardonique dans le générique de Shinning.
Ah,
j'oubliais les anachronismes. La bande originale de Barry Lyndon recourt au Trio N°2 de Schubert à plusieurs reprises.
Un trio pour piano, violon et violoncelle qui a été écrit en 1827 au crépuscule
de la vie du compositeur autrichien ! Or la tragédie peinte avec tant de magie
par Kubrick se situe au milieu du XVIIIème siècle (vers 1763 je crois, Luc va
surement chipoter). Par ailleurs, c'est le son d'un piano moderne. Mais cet andante
nostalgique est devenu indissociable de nombreuses scènes du chef-d'œuvre, Kubrick
est donc beaucoup pardonné.
Quant
à l'introduction titanesque et métaphysique du poème symphonique "Ainsi parla Zarathoustra" de Richard Strauss,
utilisée au début et à la fin de 2001, c'est tellement célèbre que je n'en dis
rien. La sombre et puissante vibration initiale, dans l'extrême grave (peu
audible sur un PC certes), est une combinaison d'une note tenue au contrebasson,
de roulements ténus de grosse caisse avec deux percussionnistes et de trémolos
des contrebasses ; orchestrateur de génie le Richard. C'est Karl Böhm
qui dirige la Philharmonie de Berlin.
Place aux
"classiques" contemporains
Attention
de ne pas imaginer qu'une B.O. gorgée de musique classique répond à un snobisme
esthétique ou, de manière encore plus pingre, à des soucis d'économie, bref au
désir de ne pas passer commande à un groupe de rock (ou à plusieurs) ou à un
spécialiste du genre d'une musique dite "originale". Il existe
d'éminents compositeurs de musiques de film qui souvent sont d'une qualité qui
les rend autonomes, que l'on ait vu le film ou pas ; liste vite faite et non
exhaustive : Jerry
Goldsmith, John Barry, Elmer Bernstein et pour ne pas
parler que des défunts : James Newton Howard, Danny Elfman (pote de Tim
Burton) ou Howard
Shore (complice de David Cronenberg) qui flirte entre B.O. et
musique Classique ("La Mouche"
est devenu un opéra en 2010).
On
ne peut pas parler de chacun dans cette petite chronique, on verra une autre
fois. Il est fait souvent appel à des compositeurs estampillés
"classiques". Ils sont essentiellement américains et adorent échapper
à leurs recherches acoustiques pointues pour nous concocter des B.O. de rêve.
Donc, place aux compositeurs contemporains et aux papes de la musique
répétitive : Michael
Nyman et Philip Glass très sollicités par les cinéastes.
En
1993, à Cannes, la palme d'or et
celle d'interprétation féminine sont attribuées à un magnifique mélodrame de Jane Campion : La
leçon de piano. Une jeune anglaise fille-mère muette (Holly Hunter) se "marrie" avec
un pionnier butor (Sam Neil) de la
jungle humide de la Nouvelle-Zélande. Elle débarque sur une plage avec son
piano et sa fille. Le piano irrite le mari qui le refile à son voisin (Harvey Keitel). Celui-ci décide de
restituer le piano à la jeune femme note par note contre un "moment
d'amour" par note. Ce qui semble odieux est en fait une conquête amoureuse
par piano interposé. Il faut être bref, ce film est une splendeur d'émotion…
Faudra faire une p'tite chronique…
La
BO est confiée à Michael Nyman qui joue sur les ombres, les faux semblants,
l'obsession de la jeune femme à protéger son instrument. Obsession, répétition
des motifs, le monde de Jane Campion en
osmose avec le style de Nyman.
J'avais
déjà parlé de Philip Glass dans le blog. Glass s'est illustré dans de nombreux films y
compris expérimentaux. Pour ceux qui n'ont pas vu le film The Hours, il s'agit de
l'évocation d'une journée cruciale pour trois femmes : Virginia Woolf (Nicole Kidman), Laura Brown (Julianne
Moore) et Clarissa Vaughan (Meryl Streep). Il n'y a aucun
lien de narration entre les trois récits. Inspiré du roman de Michael
Cunningham, les destins s'entremêlent : le temps qui s'écoule, la mort, le
choix ou non de son destin. Trois vies, des instants et émotions qui se
répètent. Glass
joue de sa maîtrise du mode répétitif et minimaliste pour tisser une partition
intime et mélancolique
La leçon de piano : "The promise" (la fiancée), puis "I'm
Going to Make a Cake" extrait de The Hours :
XX
Opéra et
"Must" incontournables
L'opéra
est souvent intégré dans les films, en insistant sur la magie de la voix (Diva
de Jean-Jacques
Beineix). Dans
le Cinquième
élément de Luc Besson, la
Diva extra-terrestre "Plavalaguna" (Maïwenn le Besco) interprète l'air de "La
folie" de Donizetti (enfin… chanté par la soprano Inva Mula) pendant que les coups
fourrés et les coups tout court pleuvent en coulisse. Cela n'aurait pas déplu
au compositeur qui raffolait des drames et des rebondissements… Par contre il
n'avait pas prévu des variations conclusives et insolites pour cet air de son
opéra Lucia di Lamermoor,
variations écrites par Eric Serra… Et pourquoi pas ?
Et
puis enfin, il y a les "must", les musiques que l'on rencontre
partout. Dans l'article consacré au ballet "Blanche
Neige" d'Angelin
Preljocaj, on voyait tout le travail musical que le chorégraphe avait
effectué sur des extraits des symphonies de Gustav Mahler. Un des clous de ce
spectacle magique était la danse du réveil de la princesse, un pas de deux de
10' entièrement dansé sur l'allegretto de la 5ème
symphonie.
Un
passage languissant, mélancolique et tendre que Visconti avait déjà utilisé
comme leitmotiv de Mort à Venise, palme d'or à Cannes en 1971. Les liens entre le personnage
vieillissant (Dirk Bogarde) et la
vie du compositeur obsédé lui aussi par la beauté, l'enfance et la mort, ne pouvaient
inspirer un autre choix au cinéaste !
"West Side Story" écrit avant le film mais en 1957 pour le spectacle de Broadway par Léonard Bernstein, peut il être considéré comme un oeuvre classique ? Je pense que le sujet demanderais a être plus approfondis , si tu vois ce que je veux dire !!!^^
RépondreSupprimerOui car West Side Story est de forme "opéra comique" si tant est que ce terme puisse s'appliquer au sujet.
RépondreSupprimerClassique aussi dans le fait que la partition est autonome (pas liée fortement à la personnalité des premiers interprètes) et peut être "montée" à tout moment dans la programmation d'un opéra. C'est immortel et donc c'est classique.
Bien entendu, le fond musical est très influencé par les rythmes latino... Mais c'est cela la magie de la "grande musique" US, c'est de dépasser les frontières entre les genres. Et de citer : Copland, Barber, Hanson, Gershwin, Glass et j'en passe....
La meilleure version est de loin celle enregistrée à Broadway en 1957....