LA MUSIQUE NOUS MENE EN BATEAU par Claude Toon

Ah le Normandie, le France ! Qui dit mer dit bateau, et qui dit bateau dit légende et parfois même tragédie. Affronter sur un "frêle esquif" ou un paquebot la mer, sa beauté, ses périls et ses Dieux fascinent les voyageurs depuis la nuit des temps. Les poètes et écrivains nous ont émerveillés, d'Homère à Joseph Conrad, ou encore Ernest Hemingway avec son "Viel Homme et la Mer", pécheur abandonné sur une barque fatiguée face à un espadon géant. Les musiciens, peintres et cinéastes seuls ou ensembles ont abordé (c'est le cas de le dire), le sujet et je vous propose une petite croisière musicale en navigant dans tous les genres : du classique à la Pop, en passant par la chanson et le cinéma…

- Tu me chantes "il était un petiiiit navire" ?

- Pas maintenant Wolfi, j'écris pour les grands ! Va demander à Sonia mon gros bêta …

Cinéma, naufrage, corsaires et pirates…

Ce n'est pas très gai de commencer par les naufrages. Mais force est de constater que littérateurs, historiens et cinéastes n'ont pas attendu Les Croisières Costa pour s'emparer de ce sujet. Le naufrage exacerbe l'action et les réactions humaines : le courage ou la couardise. Des mésaventures de Jason et Ulysse dans les années 60, nous arrivons au Poséidon en 1972 et 2005, et surtout au Blockbuster Titanic en 1997. James Cameron se fait cinéaste et historien en reconstituant minute par minute la course à l'abîme du géant des mers et de ses passagers. Cameron dissocie les amours tumultueux de Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, de la catastrophe en elle-même. Il évite ainsi d'inventer des héros bidons réalisant des prouesses techniques et sportives inconcevables. On aime ou on n'aime pas, mais ce n'était quand même pas une daube.

Le réalisateur s'assure de la participation de James Horner, une pointure de musiques de film (Alien, le nom de la Rose, Légendes d'automne, des dizaines de B.O. réussies). On retrouve les accents irlandais chers au compositeur dans ces mélodies. Un chœur féminin psalmodie un chant qui peut rappeler celui des sirènes. Je n'ai pas retenu dans mes extraits le tube planétaire  My Heart Will Go On chanté par Céline Dion, je lui trouve une brillance outrancière trop décalée du climat romantique et dramatique du film (une belle voix "classique" gâchée par le star system).

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Les aventuriers et explorateurs ne sont pas oubliés. Christophe Colomb a inspiré au moins cinq longs métrages dont Christophe Colomb 1492 de Ridley Scott en 1992, cinqième centenaire oblige. Mais la légende du cinéma d'aventure maritime reste attachée aux Révoltés du Bounty en 1935 avec le duo mythique Clark Gable et Charles Laughton : Christian Fletcher vs Capitaine William Bligh. Le film reste à mon sens inégalé par la violence de l'affrontement viril des deux hommes. En 1962, un bon remake de Lewis Milestone, en Technicolor, voit s'affronter Marlon Brando et Trevor Howard. Brando campe bien entendu un personnage de Christian complexe voire shakespearien. Les musiques sont signées dans l'ordre par Herbert Stothart (Le Grand passage, un des premiers grands films en couleur de King Vidor en 1940) et Bronislau Kaper (Marqués par la haine). Des compositeurs très prolixes de l'histoire de la B.O. mais un peu oubliés… J'ai trouvé un extrait de la B.O. de Bronislau Kaper, surprenant… pour un film de fureur !! (C'est un enregistrement récent, les reprises des B.O. Hollywoodiennes sont en vogue - sans jeu de mots).

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Et puis finissons aux mains des pirates et corsaires. L'Aigle des mers de Michael Curtiz avec Errol Flynn (1940) et Le Corsaire rouge de Robert Siodmak avec Burt Lancaster (1952) ont marqué le genre qui comporte pas moins de 250 films. Le genre coule un peu à pic dans les années 70 et refait surface avec cocasserie grâce à la série un peu surfaite Pirates des Caraïbes, et avec brio en 2003 grâce à Master and Commander de Peter Weir. Russell Crowe s'acharne à poursuive un vaisseau français en pleine guerres Napoléoniennes. Réalisme, fidélité historique et souci de montrer les navigateurs scientifiques (superbe escale aux Iles Galápagos) enrichissent ce film magnifique. La musique confiée à trois compositeurs et arrangeurs, mélange écriture originale contemporaine et "classique", une synthèse plutôt réussie.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Dans l'ordre : Hymn to the sea de Titanic de James Horner ; Générique des Révoltés du Bounty de 1962 et enfin extraite de la B.O de Master et commander : Fantaisie sur un thème de Tallis du compositeur anglais Ralph Vaughan-Williams, une page orchestrale de 1910 pouvant évoquer l'immensité de l'océan et la puissance des flots (direction : Neville Marriner)

X XXXX

Bateaux en chansons

De la mer d'Iroise bordant le Finistère jusqu'à San Francisco, Hugues Auffray se lance à l'aventure sur le Santiano. Et oui, nos chanteurs français aiment la mer et les bateaux. Oh ils ne sont pas les seuls comme on va le voir…

En 1961, le chanteur adapte cette chanson de marins anglaise. Elle fera un succès planétaire, les gosses la chantent dans les chorales. Elle ne s'est jamais démodée. Renaud y fait un hommage dans Dès que le vent soufflera et Laurent Voulzy l'a reprise en 2006 dans son album Septième Vague. Il adopte un tempo plus lent et j'avoue préférer le souffle tempétueux d'Hugues Auffray.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Pour les poètes et chanteurs, le bateau est souvent un compagnon d'aventure, un ami. À ses débuts Georges Brassens chante Le petit bateau de pêche qui ne sera enregistré qu'en 1980.

Pat Slade nous a tout dit sur le groupe Tri Yann. Ils ont consacré une chanson à une tragédie de la mer mal connue. La catastrophe du Titanic a frappé les esprits pour longtemps. Pourtant, la mer comme Neptune dévorant ses enfants, s'est montrée cruelle en ce jour du 17 juin 1940 au large de Saint-Nazaire. La France est envahie. 6 à 9000 civils et soldats fuient l'invasion allemande en s'entassant sur le Lancastria, un vieux bateau de croisière british. Quatre avions allemands attaquent le navire, une bombe tombe dans sa cheminée. Il coule en 20 minutes, il n'y a que 2477 rescapés face à l'embouchure de la Loire. Faites le compte : 3 à 6000 victimes. Pour ne pas démoraliser les alliés, on étouffe l'affaire. À la libération, on préfère penser à autre chose…

Les trois bretons n'ont pas oublié le drame et ont écrit un texte d'une rare puissance dans le répertoire actuel :

…Licorne, d'où viens-tu d'où l'on ne revient pas ?

De tes chairs déchirées gicle un sang noir, pourquoi ?

J'ai vu noire la mer dévorant les noyés,

Les poumons mazoutés, le chant noir des soldats,

Les os noirs des brûlés dans les vagues jetés,

Noire la cloche du glas sur le Lancastria…

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Il faut finir le chapitre "Chansons", avec plus de gaieté et de fantaisie. Dans la marine Nationale, un sous-marin s'appelle non pas un navire ou un vaisseau mais un bateau. Si si ! Donc nous sommes bien dans le sujet en se souvenant ému de ce joli dessin animé pop et psychédélique "Yellow submarine" tourné en 1968. La chanson date de 1966 et a été écrite par Ringo Starr et supervisée par les autres membres des Beatles. Bon, tout le monde connaît cette chanson "pour enfant". 
On écoute dans l'ordre : Hughes Aufray, Tri Yann et nos amis anglais…

X X

Les compositeurs "classiques" prennent la mer…

Les bateaux ont-ils inspiré nos compositeurs classiques ? Oui bien entendu !

Felix Mendelssohn n'a pas encore eu sa place dans le blog... encore un peu de temps. Bien que le compositeur allemand soit mort prématurément à 38 ans, en 1847, il a bourlingué sans relâche entre l'Allemagne et le Royaume-Unis. Certains de ses oratorios comme Helias ont même été composés en bilingue. Ses voyages lui ont inspiré aux moins deux œuvres orchestrales assez connues : l'Ouverture des Nouvelles-Hébrides, et une seconde ouverture intitulée Mer Calme et Heureux Voyage. Par ses dimensions (12'), on peut parler de petit poème symphonique avant l'heure, avec une première partie paisible et un développement qui suggère la joie de l'arrivée au port. Écrit en 1828, ce morceau s'appuie sur un poème de Goethe qui évoque une traversée maritime. Mendelssohn aura-t-il eu l'occasion de naviguer sur l'un de ces premiers paquebots à vapeur ? Bonne question.

C'est l'Academy of st martin in the fields et son chef Neville Marriner qui nous l'interprètent.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Maurice Ravel était un compositeur de ballets, un amateur du mouvement. Une barque sur l'océan fait partie initialement d'un recueil de cinq pièces pour le piano intitulé Miroirs. Deux pièces seront orchestrées ultérieurement : celle qui nous concerne et Alborada del gracioso. La musique très impressionniste fait songer à une barque voguant sur une mer frémissante, ni calme, ni agitée. La musique ondule au gré du vent et d'une sourde inquiétude. Un chef d'œuvre !

Ici, nous l'écouterons sous la baguette de Riccardo Muti dirigeant l'Orchestre de Philadelphie.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Richard Wagner s'est passionné par la légende du hollandais volant. C'est d'ailleurs sous ce titre qu'il a composé l'un de ses opéras les plus populaires. Curieusement en Français, le titre a été traduit par Le Vaisseau Fantôme. Bizarre ! Enfin on reste dans le contexte. L'ouverture commence par des rafales symphoniques suggérant des borrasques déchaînées qui malmènent la nef maudite. Cette thématique tempétueuse sera reprise dans toute l'ouverture après un court intermède destiné à exposer les autres thèmes principaux de l'ouvrage.

C'est Marek Janowski qui dirige le tumulte avec l'Orchestre de la Radio de Berlin.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

X X