dimanche 15 juillet 2012

BENOIT DELBECQ "CRESCENDO IN DUKE" (2012) par FreddieJazz



Des hommages à Duke Ellington (1899-1974), il y a en eu quelques-uns, mais pas tant que ça finalement (1). L'on pourra toujours se reporter sur le premier d'entre eux, le projet très personnel de Miles Davis, "Get Up With It" (1974) ou encore le duo magique de Steve Lacy avec son vieux complice Mal Waldron dans "Sempre Amore" (1986)... Dans la configuration rutilante du grand orchestre, Claude Bolling et Martial Solal ont chacun à leur manière contribué à perpétuer l'Oeuvre de ce géant que fut le Duke ("Black Brown & Beige" en 1990 pour le premier, "Dodecaband Plays Ellington" en 2004 pour le second). Celui de Benoît Delbecq arrive donc à point nommé (sur le label Nato, 2012). Un album qui pourrait bien faire date, croyez-moi. La pochette sous forme de bande dessinée le présente tel un flâneur parisien, très décontracté, sur les quais de la gare Montparnasse. Mais le pianiste et arrangeur français est avant tout un aventurier du son, de ces créateurs qui font que le jazz est toujours en mouvement. Disons-le sans ambages : ce CRESCENDO IN DUKE dépasse allègrement nos espérances et la surprise est vraiment de taille. Là où l'on aurait pu craindre un hommage formaté avec des reprises bardées de fard, c'est au contraire un cocktail de sons extraordinaires auquel nous avons droit.

Deux sessions, deux lieux. Le premier enregistrement a eu lieu dans le Midwest des Etats-Unis (dans l'État du Minnesota, près des Grands Lacs, à Minneapolis pour être exact), le second dans l'Arrondissement de Boulogne-Billancourt, au sud-ouest de Paris (à Meudon, précisément), avec à chaque fois des musiciens au-dessus de tout soupçon. Le premier d'entre eux auquel je pense, c'est bien sûr Tony Malaby (saxophone ténor remarquable de bout en bout, il suffira d'écouter son solo dans la "Goutelas Suite"). Enfin, grosse surprise, Benoît Delbecq s'offre le luxe d'avoir à ses côtés le batteur de Prince (session de Minneapolis) : le tellurique Michael Bland... Sans oublier cet immense contrebassiste qu'est Jean-Jacques Avenel et puis ces deux vétérans du jazz britannique : Tony Coe (clarinettiste que l'on ne présente plus) et Tony Oxley (batteur impeccable qui se fit remarquer aux côtés de Derek Bailey)...

Projet surprenant et ambitieux donc que celui-ci car l'orchestre de Benoît Delbecq se réapproprie un répertoire peu connu avec des "zicos" de talent. Jouer sur le répertoire de celui qui fut peut-être le plus grand compositeur du XXème siècle (pour ce qui est de la musique afro-américaine), qui fut chef-d'orchestre, mais aussi pianiste, relevait de la gageure. Un répertoire assez large, s'étendant du milieu des années 50 au début des années 70 (les albums "Far East Suite", "Blues in Orbit", "New Orleans Suite"). Sacré pari mais projet totalement assumé et réussi, parce que franchement, il fallait oser s'attaquer à de pareilles oeuvres où l'on a tous encore le souvenir assez vif de ces solos d'anthologie de Johnny Hodges ou d'Harry Carney. Ainsi "Blue Pepper" ne tombe pas dans la redite, et encore moins dans la parodie (la pièce est tirée de cet album qu'est Far East Suite). Et que dire de ces magnifiques portraits ("Portrait of Wellman Braud" et "Portrait of Mahalia Jackson", deux chef-d'oeuvres de lyrisme et de raffinement, tous deux extraits de New Orleans Suite (Atlantic, 1970) ? Autre intérêt: la diversité des formations entre octet cuivré enregistré à Minneapolis et sextette européen en session à Meudon, en passant par le duo et le solo. Qualité des intervenants, lesquels sont tous impliqués dans le projet (écouter "Diminuendo and Crescendo in Blue", chef-d'oeuvre de construction harmonique, chef-d'oeuvre d'improvisation). Le batteur anglais Steve Argüelles que l'on trouve dans la session de Meudon (Steve est bien connu des amateurs de Benoît Delbecq et du jazz en général, il est aussi le frère de Julian Argüelles, saxophoniste redoutable). Troisième intérêt : la qualité des arrangements, telle un écrin ou encore de la soie de premier choix, lesquels arrangements sont tous vus par Benoît Delbecq et Michael Nelson (écouter "Whirlpool"). Les couleurs orchestrales sont à ce point fascinantes. Si l'atmosphère entre les deux sessions varie (un peu de faiblesse dans l'interprétation de "Blue Pepper", je trouve, l'ensemble reste tout de même passionnant et s'incarne en un peu plus d'une heure de bonheur, après cette magnifique conclusion du pianiste en solo absolu sur "Fontainebleau Forest".



Personnel :
Benoît Delbecq : piano, piano préparé, bass-station
Sessions de Meudon : Steve Argüelles : batterie, timbales, percussions, électroniques ; Jean-Jacques Avenel : contrebasse ; Tony Coe : clarinette, saxophone soprano ; Antonin-Tri Hoang : clarinette basse, saxophone alto ; Tony Malaby : saxophone ténor, saxophone soprano (photo ci-contre) ;
Sessions de Minneapolis : Michael Bland : batterie ; Yohannes Tona : basse ; The Hornheads = Michael Nelson : trombone ; Steve Strand : bugle ; Dave Jensen : bugle ; Kenni Holmen : saxophone ténor ; Kathy Jensen : saxophone baryton, clarinette.

(1) Bien sûr, de son vivant, Duke Ellington n'a pas manqué d'être célébré, que soit par Thelonious Monk (Monk plays Ellington), John Coltrane (Coltrane Meets Ellington), etc...




Clip promo très intéressant :

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