Doctor
John est une
véritable institution. On devrait l’appeler Gran Pa John ! Il couve cinq
décennies de musique, et compte presque autant de printemps que de cordes à son
piano ! Et ce disque, on le doit justement à sa petite fille, qui lui suggère
un jour de rencontrer un groupe « de jeune » qu’elle aime bien, les BLACK
KEYS. Ce duo (plus très duo aujourd’hui…) qui a remis en selle une énième
fois le rock bien calibré et festif, qui plonge dans les racines du blues, vit
aujourd’hui un succès immense, et la moitié du groupe, le guitariste Dan
Auerbach, en profite pour aller produire quelques vieilles gloires, à la
manière d’un Jack White hier, voire d’un Mark Knopfler il y a 20
ans. Passage de témoin, juste retour des choses.
Sauf qu’on se dit, franchement,
qu’est-ce qu’un jeunot comme Dan Auerbach va avoir à apprendre à un vieux singe
comme le Dr John, qui traine ses basques à la Nouvelle Orléans depuis des
lustres, a enregistré son premier disque en 1968, et a joué avec tout le gratin
du rock, du blues comme du jazz. Il était là le soir où THE BAND a tiré sa
révérence, en 1976, il en était quand il s’agissait de rendre hommage au
regretté Stevie Ray Vaughan, et on le retrouve aussi auprès du trompettiste de
jazz Nicholas Payton. Et il fait une apparition sur le dernier Marcus Miller... Ce bon Docteur passe allégrement d’un genre à un autre,
aussi à l’aise dans l’évocation de son maître Duke Ellington à la sauce funk
(DUKE ELEGANT en 1999) dans le swing feutré en big band (IN SENTIMENTAL MOOD en
1989), que dans la soul psychédélique mâtiné de vaudou de ses débuts. Donc les
deux hommes se rencontrent, se jaugent, jament, et Dan Auerbach propose de
concevoir cet album, à Nashville (ben voyons…) aux petits oignons, s’occupant
de tout, et surtout ramenant avec lui les musiciens, qui participent d’ailleurs
tous plus ou moins aux compositions (originales) de ce disque. Et saluons de
suite le batteur Max Weissenfeldt qui prend une large part du fabuleux groove,
et du son de cet album. Dès la chanson d’ouverture, avec ses roulements
réguliers, il imprime une marque.
Bon, à la première écoute, j’ai
cru à un seul morceau de 42 minutes ! Ma seconde impression était que trop de son,
tuait le son. On a affaire au du vintage de chez vintage, pas un son d’orgue,
de guitare qui soit immédiatement identifié et référencé. Doctor John a
ressorti tous ses vieux claviers du grenier, sans même enlevé la poussière
dessus ! Le Vox des Doors !!! Le Rhodes de John Paul Jones pour
« No Quarter » !!! Rajoutez à cela les chœurs féminins bien
60’s, et ça sent un peu le too much. Sauf qu’après plusieurs écoutes, on s’y
sent bien, avec ce son, avec cette ambiance. En plus, tout au début, on entend
les bestioles du bayou qui hurlent, les chouettes, les crapauds, et puis la
basse arrive, des AAAh répétés comme dans une transe vaudou… Le premier titre
« Locked Down » est absolument énorme ! Y fout presque les
jetons ! Les deux suivants sont impeccables, « Révolution » avec
son riff de sax baryton, « Big Shot » ouvert par une boucle de
vieux disques rayé. Mais il y a des morceaux qui ressortent nettement, comme la
cinquième piste « Getaway » qui s’énerve franchement sur la fin, avec
chorus de guitare déchirée. On retombe un peu de haut du coup avec « Kingdom
of izzness », un peu faiblard, comme encore avec « You lie ». « Ellegua »
accroche plus, avec sa montée de B3, re batterie inspirée, sa flûte
traversière, on y retrouve davantage la patte de Dr John. Mais il faut attendre
« My children, my angels » pour avoir de nouveau un grand et beau
morceau, (l’intro à la « No Quarter » dont je parlais…), une belle
envolée pour le refrain, et surtout, on laisse le temps d’installer les choses.
Car je reproche tout de même aux
morceaux d’être un peu courts. Ce genre de musique fonctionne aussi sur la
durée des chansons, et certaines aurait mérité de plus longues plages, qu’on
sente vraiment les picotements nous envahir, les filtres vaudous faire leur
effet, nous laisser planer un peu, plutôt que de nous couper la chique.
Certains titres auraient sans doute mérité aussi quelques développements,
digressions, que ce soit moins calibré, straight. Bref, plus de folie, moins de
contrôle.
Mais LOCKED DOWN a vraiment le
mérite de proposer un ensemble cohérent, il y a une recherche formelle, une
vraie production. Ça sent la naphtaline quand on ouvre l’armoire, et à plein
nez ! D’où cette impression au début de n’avoir qu’un morceau de 40 minutes. Ensuite,
certaines chansons se détachent nettement. Si la composition est bonne, ça
donne de très beaux moments (« Locked Down »,
« Révolution », « Getaway », « My children »,
« God’s so good ») et si elle est un ton en dessous, ça donne une
chanson plus passe-partout, parfois maniérée, là où on aurait eu envie de plus
de simplicité, d’attendre un Dr John chanter seul au clavier, pour pleinement
profiter de sa voix unique, trainante et nasillarde, épicée.
Malgré les réserves formulées,
c’est un album qui devrait faire date, faire découvrir Dr John à un nouveau
public. Et un album qui est dans la droite ligne d’un autre vieux crooner
produit par des jeunes, « SUNNY SIDE UP » de Slow Joe & The
Ginger Accident. (voir l'article de Rockin'JL)
Autre album de Dr John chroniqué sur le DEBLOCNOT : TRIBAL par le docteur Rockin'
Un petit film promo avec le titre "Locked down"
Et cette version live du titre "Getaway", avec le Doc himself à la guitare...
Article écrit conjointement
pour le mag BCR,
dont le n° de juin
vient de sortir.
Un album qui fera date, un nouveau public ?
RépondreSupprimerJ'ai quelques doutes ...
Je ressors à peu près les mêmes titres que toi du lot; j'y rajoute les deux derniers, très Dylan + Band ...