Le
Serial Killer fascine. Les films consacrés au "monstre" sont nés avec
le cinéma parlant. Qui ne se rappelle pas de Peter Lorre pétrifié, les yeux fous, devant la vitrine du marchand
de couteaux dans "M le maudit" de Fritz Lang, à l'aube du parlant en 1931 ? Certains films s'inspirent de faits divers réels résolus
comme dans "Monster" de Patty Jenkins chroniqué par Vincent ou, à l'inverse, évoquent des
mystères irrésolus, plongeant le spectateur dans l'impasse comme "Zodiac", également de David Fincher.
Bien
entendu, la fiction s'est emparé du thème et fait recette malgré
l'interrogation qui se pose quant à l'intérêt que nous éprouvons face à des histoires
aussi macabres. Serions-nous des voyeurs qui déléguons aux cinéastes le droit
de mettre en scène le reflet de notre hyper violence inconsciente ? Allo M.
Freud… Les SS n'étaient-ils pas autre
chose que des Serial Killer sataniques munis d'une carte professionnelle ?
Il
y a des fictions qui innovent avec des scénarios diaboliques comme dans "le silence des
agneaux" de Jonathan
Demme d'après le roman de Thomas
Harris. Et puis il y a le film glauque de service qui se vendra bien, et je
pense à "Le
collectionneur", petit film oubliable tourné par Garry Fleder deux ans après Seven, avec encore Morgan Freeman dans le rôle principal.
Enfin,
on assiste à la prolifération de films plus horrifiques que policiers, gores
voire vomitifs, tournés à la hâte pour les ados en mal de sensations fortes et cherchant
tous les moyens pour "réconforter" la copine qui frissonne. Je cite
en vrac : l'incontournable "Massacre à la tronçonneuse" de Tob Hopper vaguement sauvé par
l'humour, et les imbécilités racoleuses et malsaines de la veine de "Hostel".
SEVEN est le film
qui abandonne le spectateur en plein champ (comme les protagonistes), sans
réponse sur l'éternelle question de la définition du bien et du mal absolu, en
équilibre instable sur ce fil tenu qui se nomme moral.
David Fincher, un regard sans espoir ?
SEVEN est le second
film de David Fincher. Le cinéaste a
alors 33 ans. Il a déjà tourné
l'excellent Alien
3 et s'apprête à réaliser en 1999
un film qui ferra débat : Fight Club. (Entre temps, Il mettra en scène The game
en 1997.) Il y a de fortes
similitudes d'inspiration entre les trois films. L'univers de Fincher est déjà
en place dès le troisième opus de la saga Alien. Sur une planète hostile, des
taulards sans gardiens ont recréé une forme de religion sectaire qui permet à
la communauté de survivre. Des thématiques analogues structurent les trois
films : l'affrontement du bien et du mal, le pouvoir des prédicateurs
autoproclamés, et l'intrusion dévastatrice d'une entité démoniaque dans un
fragile équilibre social. Il n'y a qu'un pas pour considérer dans SEVEN
le tueur inspiré par les sept péchés capitaux comme un nouvel alien
déshumanisé, un prédateur qui bouleverse les codes moraux acceptés comme une
loi intangible pour la collectivité, mais inappliqués par la multitude. Pour
Fincher, ces contradictions psychologiques destructrices sont vraies, tant dans
la microsociété carcérale perdue aux confins du cosmos que dans la jungle urbaine
d'une mégalopole sinistre qui, dans SEVEN, ne porte pas de nom.
Dans
Fight Club,
la violence de l'individu érigée en dogme par un aventurier messianique, à la
frontière du démon incarné, conduira également une milice sous influence à renier
ses codes vertueux, à évoluer vers l'implosion des personnalités. Dans une
société consumériste et faussement démocratique, les individus vivent leur
identité déterminée par l'éducation comme des automates. Tyler Durden (Brad Pitt) est
encore un "alien" qui fait sauter les verrous des refoulements pour
dévier les conflits intérieurs vers des violences physiques pures et… désirées.
Certains ont cru voir dans Fight Club une apologie de la bestialité et le
film a déplu. Traité comme un conte morbide, Fight Club est à mon sens un
reflet effrayant des mécanismes de suggestion des masses qui conduisent à tous
les fanatismes aveugles.
7 péchés capitaux, 7 victimes, 7 jours …
Le
scénario de SEVEN est linéaire et habile. William Somerset, un inspecteur à quelques jours de la retraite va devoir
faire équipe avec un jeune chien fou, inspecteur lui aussi, David Mills. Ils doivent enquêter d'abord séparément
sur deux meurtres assez horribles. Un obèse végétant dans un infâme gourbi a
été obligé sous la menace d'une arme de s'empiffrer de spaghettis jusqu'à
l'explosion fatale. Un avocat parvenu, défenseur des pires fripouilles et plein aux as, est
mort saigné à blanc après avoir dû se découper ses poignées d'amour, lui aussi contraint
de se mutiler sous menace de mort ! Quand les deux flics découvrent les
graffitis "Gourmandise"
et "Avarice"
sur les scènes de crime, la présence en ville d'un serial killer obsédé par
l'éradication des péchés capitaux est évidente. Curieusement le monstre laisse volontiers des indices qui vont conduire nos deux hommes rapidement à la troisième victime,
"la
paresse". Ils font désormais équipe. Il semblerait même que
l'homme cherche à être démasqué. Il est identifié sous le nom de Jonathan Doe. Par provocation, Il
attire les policiers et glisse plusieurs fois entre les doigts de Somerset et
David…
Je
ne déflore pas les secrets de l'enquête. Jour après jour, les deux hommes
tentent l'impossible pour enrayer la machinerie. Les victimes se succèdent,
"La
luxure", puis "l'orgueil".
Et puis John Doe se constitue prisonnier après avoir eu "Envie"(*)
de partager un moment de vie avec Tracy,
la jeune épouse de David, et commit ainsi son propre péché. Face à l'indicible,
David ne peut que céder à la "colère" et dans un final d'Apocalypse
abattre Doe.
(*) Pour St Thomas d'Aquin, "l'envie" est un désir compulsif et incontrôlable de nuire, de jalouser, etc..
Personnages en quête
d'identité
Somerset (Morgan Freeman) a le sentiment d'atteindre le
crépuscule d'un destin inabouti. Il vit seul dans un appartement défraichi
paraissant trop grand car exempt de vie. Seul au milieu d'un lit trop large, il
écoute les yeux dans le vague un obsédant métronome, symbole du décompte d'une
vie de droiture et d'obéissance aux règles. La chasse de John Doe aura raison
de cette apparente placidité quand Somerset brisera de rage ce témoin pendulaire
d'une vie gâchée, d'une vie sans compagne ni enfant. La force de la mise en
scène de Fincher est de montrer que John Doe corrompt les certitudes de
Somerset à travers ses crimes et les milliers de cahiers d'écrits
pseudo-théologiques trouvés dans sa tanière.
Quand
Tracy Mills (Gwyneth
Paltrow), cachant sa grossesse à David demande conseil à Somerset sur
l'opportunité d'avoir un enfant ou d'avorter, celui-ci replonge dans la
lointaine souffrance d'avoir refusé un jour de devenir père dans un monde
inhumain. Il ne sait que la troubler, l'abandonner face au choix paradoxal
entre le bonheur d'enfanter et la responsabilité d'amener un enfant à se
débattre dans un enfer urbain et décadent. Somerset devient lui-même un
moralisateur de l'obscur, opposant à égalité la destruction d'un innocent
encore invisible et insouciant, au courage de combattre, de tenter de
construire un être adulte aimant et droit.
Comme
John Doe, Somerset ne résout pas l'inéquation bien vs mal car il a perdu les
repères qui délimitent ce concept, que ces repères renvoient à des références
éthiques ou religieuses ou soient plus naturellement acquis par des choix
justes, guidés par sa propre humanité.
Contrairement
à Somerset, David (Brad Pitt)
croit encore que tout est permis pour arrêter un criminel. Il essaye au mieux de
suivre la ligne droite, et de consolider un couple malmené par son métier. Un
couple qui pourrait se lézarder en même temps que l'esprit du jeune inspecteur est
gagné par la rage, car confronté à l'indicible, et que s'accumulent ses écarts
par rapport au règlement pour gagner du temps. Il va être broyé par son
enquête, obligé de l'intellectualiser en épluchant les lectures de Doe, de
l'Enfer de Dante aux gravures ténébreuses de Gustave Doré en passant par Saint Thomas d'Aquin qui a définit les 7 péchés capitaux. La ville et ses
lieux de perditions, et même le métro qui fait trembler sans fin son
appartement, se liguent pour le déséquilibrer. Et pourtant, c'est ce côté
ingérable qui lui permet de découvrir l'antre de la folie de Doe et d'y
pénétrer sans mandat. La nécessité justifie-t-elle l'entorse à la loi ? Encore
une interrogation décochée par Fincher.
Dans le générique, Fincher omet
volontairement le nom de l'acteur interprétant Johnathan Doe pour ne pas nous imposer un visage avant l'avancée de
l'enquête. Lors de la poursuite avec David, on ne voit qu'une silhouette, une
paire de chaussures et un flingue. Kevin
Spacey apparait tard, au moment de sa reddition. En 1995, l'acteur est déjà célèbre.
Et là où le spectateur est en droit d'attendre une brute tatouée ou un
Raspoutine imberbe au regard halluciné, il se trouve face au visage rond, bon enfant,
au regard doux et imperturbable d'un type banal à l'apparence de père de famille. On ne saura
rien sur lui, l'homme n'acceptera que de conduire la police à l'endroit où il
aurait enfoui les deux derniers corps, piège suprême (voir le résumé). Il ne se
défend pas, soliloque sur ses sincères motivations tandis que la voiture file
vers l'endroit prévu, bref un type certain de son bon droit de justicier, de
garant des lois divines.
Là
est la contradiction volontaire du récit et de la personnalité du tueur,
l'originalité du scénario. Tuer n'est pas un péché capital au sens strict, et
John Doe justifie ses crimes comme un début d'élimination sociale de ceux qui à
ses yeux commettent ces sept péchés, péchés qui sont les causes de la décadence
qu'il vomit ? Il a raison si on considère que succomber à l'un, ou plusieurs
des péchés dits capitaux, peut conduire au meurtre qui devient alors une simple
conséquence, un regrettable effet collatéral. Imprégné de sa théologie aberrante du
mal, Doe ne peut donc échapper à sa logique en se réservant une violation
morale parmi sept à laquelle il ne doit pas survivre.
Une caméra dans
l'obscurité
Le film adopte une trame à contre-courant des schémas usuels des
thrillers Hollywoodiens. SEVEN se veut un film d'action, un polar hyper
réaliste. Pourtant, pas de course de bagnoles et de destructions
pyrotechniques. Le suspense et le frisson naissent du sentiment d'impuissance et
de haine des deux flics face à une montagne de faits, de preuves, de témoins
laissés en état de choc ("La luxure"). Seul David tentera une
incursion dans la bravoure en poursuivant le suspect, pour ne récolter hélas que
plaies et bosses, englué sous la pluie entre un tas d'ordure et la benne venue
les ramasser, un canon d'automatique sur la tempe. Ah, si Bruce Willis voyait
cela !
Le
film recourt à une unité dans les lieux et les lumières. On parcourt des
intérieurs minables, rupins ou encore des bordels clandestins où la fureur de
la musique anesthésie toute pensée. Il fait toujours nuit ou presque et il
pleut en permanence, une pluie qui détrempe les corps et moisit les taudis. Un
des rares moments de sage réflexion a lieu dans une bibliothèque chichement
éclairée par des lampes de bureau d'un vert criard. Les rouges (hormis celui du
sang) et les jaunes sont quasiment absents des choix du chef opérateur Darius
Khondji.
David
Fincher décide d'échapper à ce cloaque pour la dernière partie en entraînant
Somerset, David et Doe à l'extérieur de la ville surpeuplée. Un champ pelé,
immense, sans fin et hérissé de pilonnes haute-tension pour nous rappeler que
même en fuyant, la ville n'est jamais loin. C'est en ce lieu faussement isolé,
qu'à la façon d'une tragédie antique, va se jouer pour David le dernier acte,
choisir entre la colère et la clémence, utiliser son droit légitime de punir de
mort Doe pour venger Tracy, ou sauver son âme.
Les
derniers plans débouchent-ils sur le néant ? John Doe a-t-il gagné ou perdu ?
Il est mort victime de lui-même, d'avoir commis le péché "d'envie".
Somerset se retrouve à soutenir l'épave de David, un homme encore jeune, atone
sur un siège de voiture, sur lequel il doit veiller comme sur le fils qu'il n'a
pas voulu avoir. "Prenez-bien soin de lui" répète-t-il en
boucle aux policiers. C'est peut-être cet unique lueur d'affection qui réfute
tout crédit à la quête de justice morale de John Doe. Elle n'est pas celle d'un ange
exterminateur, mais celle d'un envoyé de l'enfer. Somerset, à travers la
tragédie, va devoir assumer l'une des plus belles et difficiles des missions,
celle de la paternité même temporaire. Somerset sait qu'il ne peut pas, n'a pas
le droit de se dérober.
Vidéos
Générique et bande annonce (en VO)
Réalisation : David Fincher (1995) sur un scénario d'Andrew
Kevin Walker (127 min)
Brad Pitt (David Mills), Morgan Freeman (William Somerset),
Kevin Spacey (John Doe), Gwyneth Paltrow (Tracy Mills).
Musique : excellente B.O. alliant deux suites d'Howard Shore
(complice de toujours de David Cronenberg et auteur de la musique du Seigneur
des Anneaux) plus des standards plus ou moins nostalgiques de Bach, Marvin Gaye, Billie Holiday, Charlie Parker, Thelonious
Monk, et des morceaux plus hard de Gravity Kill, etc…
Oui, OK avec ta dernière phrase. En même temps, il n'a plus que ça à foutre...Ce qui n'enlève rien à la difficulté...
RépondreSupprimerMerci Juan.
SupprimerDans une scène "alternative" non tournée et présentée en Story Board dans les bonus, c'est Somerset qui abat Doe avec ce dialogue :
- Qu'est-ce qu tu fais ? (David)
- Je prend ma retraite..... (Somerset) et le film se termine là.
C'est moins éprouvant, mais Fincher a du penser que ce film se terminerait ainsi en style "Western" d'une manière illogique et avec un ton trop sarcastique franchement décalé.
C'est une chronique sur un film,mais ce pourrait être aussi un mémoire ou une thèse pour une école de cinéma ! Quelle présence ( prestance ?) dans le détail. Des scènes au personnages en passant par l'éclairage ! Je crois que le journal "Première" n'aurait pas fait mieux.
RépondreSupprimerUn vieux policier presque en retraite et un jeune flic chien fou ,ça me rappel un peut "L'arme fatal",mais la s'arrête la ressemblance! Dans certaine scène ,l'accessoiriste a du dévaliser un stock de boite de spaghetti de chez E.D ou LIDL; Comme pour la paresse un magasin de Norauto a du être vidé de son rayon de sapin odorant !!
Mais "Seven" est un film qui a marqué les esprits par son coté glauque et un peut morbide comme le "silence des agneaux" !
Et tous ceci donne une envie de le revoir !
Tu as enfreint une règle essentielle...
RépondreSupprimer"On ne doit pas parler du Fight Club"...
Aïe, aïe, aïe...