Quel plaisir, quelle joie, quel bonheur que ce magnifique polar signé par l'obscur Bretaigne Windust mais réalisé en grande partie par Raoul Walsh (où l'on devine d'emblée que pour les scènes à suspense, celles dans les ruelles, les scènes avec ses poursuites et ses coups de feu, autrement dit quasiment toutes, c'est le réalisateur de GENTLEMAN JIM et de WHITE HEAT (L'enfer est à Lui) qui est derrière la caméra...).
Le critique Luc Villevieille fait justement remarquer que Walsh avait été mis sur la liste noire lors de l'affaire McCarthy de sinistre mémoire. Il réalise La femme à abattre et Bretaigne Windust a prêté son nom pour contourner l'interdiction de travailler qui frappait Walsh. Il faut remarquer d'ailleurs que ceux qui participent à ce film (Mostel, Bogart, Sloan...) s'étaient insurgés contre la commission McCarthy. Par ailleurs, il n'est pas faux de voir LA FEMME A ABATTRE comme un film politique. Dans ces conditions, il se déroule comme une tragédie grecque, où le fatum pèse de tout son poids. Le happy end qui a été choisi par la production, masque assez mal l'inexorabilité des progrès du "mal". De fait, il serait logique que la conquête du pouvoir par la Mafia (car c'est de cela qu'il s'agit) aille à son terme, et que le "justicier" Bogart échoue dans sa tentative de résistance".
Quel bonheur aussi de retrouver dans ce joyau du septième art, une maîtrise absolue des acteurs qui ne nous sont pas inconnus : outre Humphrey Bogart qu'il est inutile de présenter, l'on retrouvera l'immense Ted De Corsia (souvenez-vous de son rôle dans LA DAME DE SHANGHAÏ, film magistral d'Orson Welles, ou encore dans le rôle de ce flic véreux et inoubliable dans THE KILLING de Stanley Kubrick). On le verra également dans un autre grand film noir, CRIME WAVE (Chasse au gang) d'André de Toth. Bref, un grand acteur, complet et d'une stature incroyable. Et quel bonheur de cinéphilie encore, quand on voit l'irremplaçable Everett Sloane (autre complice d'Orson Welles dans l'émission radiophonique qui s'intitulait "la guerre des mondes" et qui avait foutu une frousse pas possible au public américain, et acteur brillant dans CITIZEN KANE et surtout LA DAME DE SHANGHAÏ). Casting de rêve donc.
Robert Burks, le directeur de la photographie fait lui-aussi un travail remarquable (en intérieur comme en extérieur : ombres, clairs obscurs, même les rues nappées de brouillard sont d'une beauté à couper le souffle). Ce technicien qui a surtout œuvré dans les films d'Alfred Hitchcock (à partir de L'INCONNU DU NORD EXPRESS) n'est pas très connu finalement, sauf peut-être pour ceux qui ont vu THE FOUNTAINE HEAD (Le Rebelle) et BEYOND THE FOREST (La Garce), deux films de King Vidor, un technicien efficace mais moins connu en tout cas que Bert Glennon et surtout Sidney Hickox (LE photographe de la Warner de cette époque - ce dernier travaillera longtemps aux côtés de Raoul Walsh et de Howard Hawks). Mais ne gâchons pas notre plaisir, Burks contribue amplement à la réussite de ce fleuron du film noir ou plutôt du polar... polar assez surprenant d'ailleurs (notamment dans son dénouement final...), où l'on aurait pu s'attendre à quelque chose de plus noir encore...
Enfin, l'on comprend que des auteurs comme Martin Scorsese, pour ce qui est du style nerveux de la narration, se soient inspirés de cinéastes comme Raoul Walsh. Sur une musique grondante et presque tapageuse, s'ouvre ainsi le film. La nuit, une ville (ce pourrait être n'importe quelle ville), un fourgon de police conduit un criminel dans une prison. Le criminel semble être extrêmement dangereux puisque à son arrivée une ribambelle de flics armés jusqu'aux dents surveille... Quand on revoit le film, on comprend mieux la crainte qui se lit alors sur le visage de Rico (Ted de Corsia). En se donnant aux flics en vue de dénoncer son ancien compagnon et patron, le caïd de la pègre incarné par Everett Sloane (qu'on ne verra que dans deux scènes, au cours des flash-back), sa tête est forcément mise à prix. Durant l'interrogatoire mené par le Procureur général incarné par Humphrey Bogart, Rico craque, panique, sait très bien qu'il risque de se faire buter. Et l'on prend alors toute la mesure du drame qui est en train de se jouer. La noirceur de ce polar est à ce point incroyable, tant par le style narratif (montage judicieux, ambiance à la limite du supportable) que par la mise en scène des acteurs (tous brillantissimes). En effet, la nuit même, deux hommes d'Everett guettent Rico et quand celui-ci apparaît clairement dans l'embrasure d'une fenêtre, le coup fatal n'est pas loin de se produire... Everett est partout, connaît tout, devine tout... Je ne raconterai pas la suite, mais malgré une copie assez banale (cela dit, je trouve que les clairs obscurs sont très bien rendus, et que même si ça grésille parfois au niveau du son, comme sur un vieux 78 tours, cela n'enlève rien au charme, bien au contraire..). Un film poisseux et précieux à la fois, à voir et à revoir!!!!
La Femme à abattre (The Enforcer) 1951
Noir et blanc - 1h30 - ratio 1:37
La bande annonce, rugueuse et en VO :
La Femme à abattre (The Enforcer) 1951
Noir et blanc - 1h30 - ratio 1:37
La bande annonce, rugueuse et en VO :
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