Quelle merveille ! Franchement c’est la grande classe, un générique à faire frissonner : Stanley Donen à la caméra, Henri Mancini à la musique, Cary Grant et Audrey Hepburn à l’écran, Marc Behm au scénario, et Paris comme décor… Et tiens, puisqu’on parle de générique, celui du film est signé Maurice Binder, graphiste découvert par Stanley Donen, et qui sera célèbre pour ses créations sur la série des James Bond (l’espion vu par le canon du pistolet, c’est lui !), une animation colorée et géométrique, entre puzzle et labyrinthe, qui résume si bien ce film : CHARADE. Un générique qui rappelle ceux dessinés par Saul Bass pour Otto Preminger (AUTOPSIE D’UN MEURTRE) ou Alfred Hitchcock (VERTIGO LA MORT AUX TROUSSES). Et la comparaison avec Hitchcock ne s’arrête pas là, la présence de Cary Grant, et certaines scènes renvoient évidemment vers le Maître du suspens, CHARADE étant un quasi hommage de Donen à Hitchcock.
Mais, Stanley Donen, il est connu pour quoi ? Avant tout, son nom est associé à celui de Gene Kelly, et à CHANTONS SOUS LA PLUIE, donc à la comédie musicale (MARIAGE ROYAL, UN JOUR A NEW YORK), à l’élégance. Il tourne d’ailleurs avec Audrey Hepburn dans DROLE DE FRIMOUSSE (1957) et VOYAGE A DEUX (1967) et avec Cary Grant dans INDISCRET (1958) ou AILLEURS L’HERBE EST PLUS GRASSE (1960). Dans le cas de CHARADE, il donne dans la comédie policière et romantique.
Allez, je vous raconte le premier plan : nous sommes à Megève, station chic de ski, panoramique au-dessus des pistes, puis recadrage sur une terrasse de restaurant, avec des parasols jaunes, une riche clientèle, et parmi elle, une femme assise à une table (Régina Lampert), lunette de soleil sur les yeux. La caméra poursuit son pano jusqu’au canon d’un revolver qui surgit de derrière un parasol, vise Régina. Le doigt du tireur se crispe sur la gâchette, et PAN : la jeune femme reçoit un jet d’eau en pleine poire, hurle, et le garnement au pistolet, s’enfuit, heureux de son coup ! Tout est dit : on est là pour frémir, mais c’est pour rire.
Régina croise Peter, lui parle de son futur divorce, puis remonte à Paris, où elle découvre son appartement vidé, jusqu’au moindre tiroir. L’inspecteur Grandpierre est là, et lui apprend la mort suspecte de son mari, éjecté d’un train. Régina est seul à Paris, sans toit, est approchée par trois types louches, en cheville avec feu le mari, et qui lui réclament méchamment 250 000 dollars. Et pour la seconde fois, elle croise Peter…
Et c’est parti pour près de deux heures de suspens, de surprises, de rebondissements, et de charme. Stanley Donen déploie tout son savoir-faire, s’amuse à détourner un genre, pour le transvaser dans un autre. Un schéma de film policier, de thriller, avec un couple de comédie romantique, des situations comiques parfois proche du burlesque, le tout filmé avec l’élégance qui convient. Et le sens du rythme, car tout s’enchaîne merveilleusement, l’intrigue évolue sans cesse. Régina va de surprises en surprises, les hommes tournent autour d’elle, avides, intéressés, et la pauvre doit pratiquement comprendre tout d’elle-même. Rapidement un climat de suspicion s’instaure. Qui est réellement ce Peter, chevalier servant très opportunément présent quand il le faut. Qui sont ces trois types dangereux, c’est quoi cette histoire de hold-up, de guerre, de butin ? Et ce gratte papier de la CIA qui s’emmêle, lui promet les pires soucis, mais semble attendre d’elle qu’elle fasse tout le boulot ? Ça papillonne dur autour de la belle ! Pas sûr que ce soit toujours pour des raisons avouables…
Alors il y a de grandes scènes dans ce film, la fameuse arrivée à l’hôtel (c’était l’extrait qu’on voyait à La séquence du spectateur… je vous parle d’un temps que le moins de vingt ans…) et l’attaque dans la chambre, la scène surréaliste de l’enterrement, les trois types surgissant et allant vérifier dans le cercueil que le cadavre est bien mort ! Et la dernière séquence, dans le théâtre, une vraie de suspens, admirablement réglée. Et la bagarre sur les toits de Paris, hommage direct à VERTIGO mais aussi à LA MORT AUX TROUSSES. Et la présence de Cary Grant à l’écran accentue évidement cette impression. Il y est comme l’antithèse de son personnage chez Hitchcock. Il y avait aussi dans LA MORT AUX TROUSSES des histoires de secret, d’espion, de complot, mais Cary Grant en était la victime, le jouet. Dans CHARADE, il est davantage ambigu, il en sait beaucoup plus qu’il ne veut le dire… On pourrait dire que Cary Grant joue reprend le rôle d’Eva Marie Saint ! Il y a un autre joli clin d’œil, lorsque Régina et Peter se promènent sur les quais de la scène, et que l’un dit à l’autre : « n’est-ce pas ici qu’a tourné Gene Kelly dans Un Américain à Paris ? ». Référence au tandem Donen-Kelly bien sûr, et aussi à Vincente Minnelli.
Mais qu’est ce qui fait tout le sel de ce film ? Les comédiens, of course ! A-t-on vu Audrey Hepburn aussi drôle et pétillante (le film n’a pas la gravité de DUO SUR CANAPE) ailleurs ? Elle est lumineuse, ses grands yeux éberlués de tous ces malfaisants en orbite autour de sa frimousse. Et Cary Grant est fidèle à lui-même, la classe, mais aussi parfois la noirceur dans le regard, un voile étrange et menaçant. Et des moments de folie-douce, avec la scène de la douche, que Cary Grant prend tout habillé ! Un festival de grimace dans la scène de l’orange (le jeu qui consiste à passer une orange à un partenaire, sans y mettre les mains, juste avec le menton !)Le mec de la CIA, c’est l’acteur Walter Matthau, le pif énorme, goguenard, que l’on verra souvent aux côtés de Jack Lemmon. Et la brochette de tueurs, avec notamment un George Kennedy particulièrement odieux, violent, avec sa prothèse métallique en guise de main droite. Une carrure de brute qui tranche avec celle de James Coburn, plus fin, plus malin, mais le regard de fou dangereux, comme lorsqu’il jette des allumettes allumées sur Audrey Hepburn, coincée dans une cabine téléphonique. Et n’oublions pas Jacques Marin qui joue l’inspecteur Grandpierre, second rôle de premier ordre, qui devait être un des rares acteurs français à bien parler anglais, parce qu’on le retrouve dans d’innombrables films américains !
Les dialogues fusent, débités à la mitraillette, notamment entre Audrey Hepburn et Cary Grant, lorsqu’ils se rencontrent à Megève. Un échange d’anthologie, où chaque réplique est acérée. Le fait que Stanley Donen opte pour le champs/contre-champs, accentue l'idée de ping-pong verbal entre les personnages. Le suspens tient jusqu’au bout, différentes pistes nous sont offertes, des faux-semblants, des traquenards, le spectateur finit par soupçonner tout le monde, quand on pense avoir compris, un rebondissement surgit et nous relance dans l’expectative ! C’est rythmé, ça pétille, c’est coloré, c’est admirablement bien filmé, le mouvement qu’il faut quand il le faut. A noter cette transition rigolote quand l'employé de la morgue referme le tiroir à cadavre, la caméra est avec le cadavre, l'employé le regarde (donc nous regarde). L'écran devient noir une fois le tiroir fermé, et se rallume sur la tête de l'inspecteur Grandpierre, à son bureau, qui ouvre son tiroir. La caméra adoptant une fois de plus le point de vue du tiroir ! Et puis, il y a la grosse boulette qui le rend encore plus attachant ! Les parisiens remarqueront dans une scène de poursuite dans le métro, des panneaux indiquant les directions de « Vincennes » et « Pont de Neuilly », alors que sur le quai, le nom de la station est « Saint Jacques ». Or, la ligne qui passe là ne va ni à Neuilly, ni à Vincennes !
Les dialogues fusent, débités à la mitraillette, notamment entre Audrey Hepburn et Cary Grant, lorsqu’ils se rencontrent à Megève. Un échange d’anthologie, où chaque réplique est acérée. Le fait que Stanley Donen opte pour le champs/contre-champs, accentue l'idée de ping-pong verbal entre les personnages. Le suspens tient jusqu’au bout, différentes pistes nous sont offertes, des faux-semblants, des traquenards, le spectateur finit par soupçonner tout le monde, quand on pense avoir compris, un rebondissement surgit et nous relance dans l’expectative ! C’est rythmé, ça pétille, c’est coloré, c’est admirablement bien filmé, le mouvement qu’il faut quand il le faut. A noter cette transition rigolote quand l'employé de la morgue referme le tiroir à cadavre, la caméra est avec le cadavre, l'employé le regarde (donc nous regarde). L'écran devient noir une fois le tiroir fermé, et se rallume sur la tête de l'inspecteur Grandpierre, à son bureau, qui ouvre son tiroir. La caméra adoptant une fois de plus le point de vue du tiroir ! Et puis, il y a la grosse boulette qui le rend encore plus attachant ! Les parisiens remarqueront dans une scène de poursuite dans le métro, des panneaux indiquant les directions de « Vincennes » et « Pont de Neuilly », alors que sur le quai, le nom de la station est « Saint Jacques ». Or, la ligne qui passe là ne va ni à Neuilly, ni à Vincennes !
CHARADE est un véritablement enchantement. Le film qu’on garde à côté de soi, au cas où. Comme si Hitchcock, Vincente Minnelli, George Cukor, Howard Hawks et Black Edwards s’étaient fondus en un seul réalisateur !
Premier extrait, dans le registre de la comédie. Cary Grant veut prendre une douche, Audrey Hepburn ne veut pas rester seule dans sa chambre... Vous remarquez l'air que chantonne Cary Grant, qui rappelle les premières notes de "Singin'in the rain"
Autre extrait, drôle aussi, mais davantage dans la parodie, humour macabre, inquiétant. Assis au fond de l'église, l'acteur français Jacques Marin. Je sais ce que vous vous dites : ah oui, j'connais sa tête !
L'amie de Régine lui dit : "ton mari n'avait pas plus d'ami que ça?"... puis regardant vers le fond, lorsqu'on voit l'inspecteur le regard baissé, respectueux, elle dit : "au moins celui-là il sait se tenir en pareilles circonstances...". Puis les copains du défunt arrivent... Pour le premier visiteur, l'amie de Régine dit : "ce devait être un ami proche de ton mari, il devait bien le connaître..." - "pourquoi dis-tu ça ?" - "il est allergique !"
Et le générique signé Maurice Binder, sur une superbe partition d'Henri Mancini.
CHARADE (1963)
Produit et réalisé par Stanley Donen
Sc : Peter Stone et Marc Behm
Couleur - 1h55 - format 1:85
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