vendredi 20 janvier 2012

LE PARRAIN de Francis Ford Coppola (1972) par Luc B.

"I'll make him an offer, he couldn't refuse..."

Francis Ford Coppola n’est plus un débutant lorsqu’il est choisi par la Paramout pour diriger l’adaptation du roman de Mario Puzo, LE PARRAIN. Il a commencé comme assistant réalisateur auprès de Roger Corman, le pape de la série Z. Pour son premier film, DEMENTIA 13 (1963), il a d’ailleurs utilisé les décors et les acteurs d'un tournage de Corman, chacun tournant donc en parallèle son propre projet, et ce pour des raisons d’économie. Pas bête ! Avec LA VALLEE DU BONHEUR (1968) Coppola donne dans la comédie musicale boursoufflée et fait tourner Fred Astaire dans son dernier film, et en 1969 il réalise LES GENS DE LA PLUIE, film typique du style Nouvel Hollywood, avec déjà James Caan et Robert Duvall. Tous ses films sont des bides. On dit de lui qu’il fait des films d’auteur, comme en Europe. Beurk ! Môôssieur veut être un artiste ! Je ne sais plus quel mauvais camarade disait de lui : "s'il pouvait filmer une pomme posée sur un rocher en plein désert, pendant deux heures, il serait ravi !". Celui qui rêve d’être le nouveau Godard, le nouveau Fellini, qui doit 300 000 dollars à la Warner, est plutôt mal vu. Coppola gagne sa croute en écrivant des scénarios (REFLETS DANS UN ŒIL D’OR de Huston, PARIS BRULE-T-IL de René Clément, PATTON de JF Schaffner) et il crée sa société ZOETROPE avec son pote Georges Lucas, sorte de coopérative où tout le monde finance tout monde, et se retrouve endetté jusqu'au cou ! Ensemble ils produisent le premier film de Lucas, THX 1138. C’est un bide, et Coppola, doit renoncer à ses rêves d’indépendance et revenir dans le giron des studios, comme l’ouvrier qui pointe à l’usine. 

Dès 1968, Mario Puzo avait proposé un développement de 150 pages sur la mafia au studio Paramout. Un film s'était fait sur ce thème, LES FRERES SICILIENS avec Kirk Douglas. Un bide. La mafia n’intéresse personne de ce côté-ci de l’Atlantique. On file du fric à Puzo, l’écrivain italien a quelques dettes à régler au pays, et on lui demande de retravailler à son bouquin. Deux ans plus tard, rebaptisé LE PARRAIN, le livre sort aux Etats Unis, c’est un immense succès, et bien sûr, les studios se jettent dessus. Bob Evans, de la Paramout, qui avait déjà une option dessus, se dit que finalement, le projet doit avoir de l’avenir. On le propose à Sergio Leone, qui refuse, à Peter Bogdanovich qui vient de signer deux succès, qui décline aussi. Un italien ferait mieux l’affaire (sic!), et Coppola en hérite. Il commence par refuser (trop commercial !) mais comme il doit du fric à tout le monde, son entourage lui conseille d’accepter. Les producteurs se méfient de sa manière de travailler, de son caractère. Le réalisateur sera sous haute surveillance. Pour Bob Evans, ponte de la Paramout qui venait de toucher le jackpot avec le lacrymal LOVE STORY, LE PARRAIN se devait être un film de studio, un film de producteur tout puissant, le réalisateur n’étant qu’un salarié comme un autre. Les idées subversives françaises sur le statut d’auteur ne passeraient pas ! Chaque jour ou presque on menaçait de l’évincer du tournage, et ses choix sur la distribution ont été âprement discutés. Il faut dire que, à l’instar d’AUTANT EN EMPORTE LE VENT 30 ans plus tôt, le tout Hollywood se bousculait pour apparaître dans le film, déjà annoncé comme un futur succès. C’était the place to be ! The movie to play ! Coppola souhaite imposer Marlon Brando pour le rôle de Vito Corleone, mais les producteurs s’étranglent ! Trop instable, trop cher ! Coppola filme alors Brando en vidéo, pour un essai. L’acteur se bourre la mâchoire de kleenex, se lisse les cheveux au cirage, change sa voix, et quasi méconnaissable, trompe son monde. Mais devra se contenter de 50 000 dollars, et des dividendes sur les bénéfices finaux. Bonne pioche ! Brando se remplira les poches, et recevra l’oscar. Enfin presque, puisqu’il le refusera, pour protester contre le traitement des nations indiennes, son grand dada du moment. Tout ce qu’Hollywood compte de Nicholson, Redford, Beatty auditionnera pour le rôle de Michael Corleone, mais Coppola insiste pour engager un jeune type au teint italien : Al Pacino. Bonne pioche bis !

29 mars 1971, le tournage commence. Coppola s’est finalement passionné pour cette histoire, s’investit, et commence à tout bouleverser. Il change les acteurs, répète au lieu de tourner, réécrit le script et les dialogues la nuit pour le matin, demande à son directeur photo de sous exposer l’image. L’idée était de ne pas voir les yeux, que tous ces hommes soient mystérieux, qu’on ne devine pas leurs pensées. Et il choisit quasiment un par un les figurants au lieu de puiser dans le vivier des studios. Bref, tout l’inverse du b.a.-ba hollywoodien ! Le budget explose, mais Coppola tient bon, et en septembre 1971, le tournage terminé, il persuade Bob Evans de faire le montage chez lui, à San Francisco. Là encore, il était plutôt rare qu’un réalisateur monte ses films à domicile ! Ce qui suit reste incertain, les avis et témoignages divergent. Bob Evans aurait dit : "si le film dépasse 2h25, je te le supprime, et je recommence le montage". Coppola était arrivé à une durée de 2h20. A la première projection interne, Evans hurla : "où sont toutes les scènes sublimes dont on m’a parlé ?!" Coppola réintégra à contre cœur les scènes en question, et le film passa à 2h50… Autre version, celle de Coppola, une sorte de coup de poker. Il aurait raccourci volontairement son film, à 2h20, pour provoquer l’hystérie de son producteur devant un résultat incohérent, pour revenir ensuite en sauveur, avec la version rallongée. A qui doit-on LE PARRAIN tel que nous le connaissons ? A son réalisateur mégalo, ou son tyrannique producteur ?  

Alors que Coppola se morfond à Paris, LE PARRAIN sort sur les écrans, dans toutes les salles, en même temps, procédé nouveau par rapport au système des exclusivités. C'est simple : vous voulez LE PARRAIN dans votre salle ? C'est 80 000 dollars. Cash. A ce tarif, le film pulvérise tous les records. C’est le plus gros succès du cinéma américain. Coppola est un héros, comme il le souhaitait, mais ne le digère pourtant pas. Pour lui, ce n’est qu’histoire de compromis. Lui qui rêvait de films d’auteur, intimistes et novateurs, il avait réalisé un film de studio, classique, limite réac, comme le seront tous les grands succès à venir, des Spielberg ou Lucas, tous les blockbusters calibrés pour ramener du pognon. Et pourtant, quand on y regarde de près, LE PARRAIN est bel et bien à film d’auteur…

Quand la famille Corleone vous propose de vous ramener en voiture, choisissez de prendre le bus ! Admirez la composition du cadre, la statue de la Liberté à l'arrière plan, et la main du tueur, assis à l'arrière...
Oui, le PARRAIN contre toute attente, est un film classique, académique. Le mode de narration est linéaire, les cadres sont le plus souvent fixes, peu de prouesses de caméra. Il a été voulu ainsi. Et c’est un film qui met en avant les valeurs familiales, conservatrices. On est à cent lieues d’EASY RIDER et du souffle sulfureux des années 68. Mais cette famille Corleone, ne ressemble pas à toutes les autres, c’est une famille mafieuse, de truands, de tueurs. Et ça, c’est novateur. C’est incorrect. Le bon papi Corleone qui joue avec son petit fils, est un odieux gangster, les mains pleines de sang. Dans BONNIE AND CLYDE, les héros étaient aussi des tueurs, mais on leur donnait des circonstances atténuantes, et ils se faisaient tuer par les autorités. Tout rentrait dans l’ordre. Dans LE PARRAIN, les flics sont corrompus, les malfrats se flinguent entre eux, et le public prend fait et cause pour la famille Corleone et son patriarche. Pas si académique que ça. Et puis il y a cette lumière sublime de Gordon Willis, ces ocres, ces bruns, et ses ombres, qui s’opposent à la lumière du jour, lors de la première scène du mariage. Cela renforce cette idée de secret, de tabou. On cherche à savoir, on se laisse griser, on est fasciné par ce monde du crime. Ce premier plan de Bonasera qui vient réclamer vengeance à Corleone après le viol de sa fille… Admirable ! Aucune exposition des faits ni des personnages, pas même de générique, le film commence quasiment au milieu d’une phrase, sur un visage qui supplie, le cadre s’élargit, on découvre le second interlocuteur. Lorsque, plus tard dans l’intrigue, Michael Corleone (Al Pacino) est planqué en Sicile, on entend la phrase : « tu ne peux pas rentrer pour le moment, il faut que l’affaire se tasse ». Plan suivant, on voit son ex (Diane Keaton) qui croise Michael dans la rue, et demande ce qu’il devenait. Michael répond : « je suis rentré il y a un an ». Paf !  C’est pas de la transition express, ça ?!


Les scènes d’anthologies se bousculent évidemment, l’attentat contre Vito Corleone, les tueurs qui surgissent, armes en avant (visez la précision du cadre, du mouvement) la rue filmée du dessus, les oranges qui tombent… La scène de la tête de cheval, qu’un producteur de cinéma retissant à faire tourner un acteur minable retrouve au fond de son lit… La scène à l’hôpital, où Michael et une infirmière doivent déménager Vito Corleone avant que des tueurs ne débarquent. La scène où Michael descend le caïd Sollozzo et le flic McCluskey dans un p’tit restau. Acte fondateur, dépucelage, basculement du fils aimé dans la violence, et une séquence d’une intensité rare. Il faut signaler aussi la superbe séquence en montage alterné du baptême et du massacre, la vie, la mort, mêlées, indissociables. C’est aussi pour des raisons de timing que Coppola a opté pour cette solution, plutôt que de développer les deux séquences distinctes. Mais à l’écran, on ne doute pas que ce fût la meilleure décision à prendre !
Dans toutes ces séquences inoubliables, il n’y a pas une image en trop, le timing est parfait. Ce qui m’épate toujours, à vrai dire, alors qu’on sait que 1) le film dure longtemps 2) est relativement lent 3) voit son personnage principal se faire descendre au bout de 30 minutes (mais le vrai personnage central de cette saga est Michael, Al Pacino, pas Brando), 4) montre le plus souvent des types qui parlent assis dans des fauteuils... ce qui m'épate, c’est cette manière dont le spectateur est happé. Par cette vie incroyable de la première scène du mariage (il y aura aussi un enterrement et un baptême…) la joie, l’effervescence qui s'en dégage, opposée à ce qui se trame dans l'ombre du bureau de Don Corleone, et comment tout sera submergée par la violence et la mort. On reste subjugué par la maîtrise absolue du récit, de la narration, par la force et la tension qui règne, par l’effet attractif, addictif de ce film. La distribution y est pour quelque chose : Brando, Pacino, Duvall, Caan, mais aussi John Cazale (UN APRES MIDI DE CHIEN) Diane Keaton (vue chez Woody Allen) Richard Conte, Sterling Hayden (vu chez Kubrick)... et toute une ribambelle de seconds rôles dont les trognes nous sont familières. Il faut aussi saluer le thème musical de Nino Rota, véritable tube, à la fois empreint de nostalgie, de souvenir d'Italie, d'amertume et de violence rampante. LE PARRAIN se hisse au Panthéon des grandes tragédies. C'est un film sur le pouvoir, sur la famille, et Francis Coppola en fait évidemment quelque chose de très personnel. C’est le fil conducteur de son œuvre jusqu’au récent et magnifique TETRO (à l’instar de Scorsese) et il est difficile de ne pas penser à son père en voyant le patriarche Vito Corleone régner sur la vie de ses fils, être le point central de leur admiration, et la manière dont chaque héritier tient à poursuivre son oeuvre. On peut aussi avancer que la manière dont Michael Corleone reprend et gère les affaires, face au conservatisme de son père (sa décision de flinguer McCluskey), est une allusion non déguisée aux démêlés de Coppola face au producteur Bob Evans, et au système hollywoodien.

LE PARRAIN recevra l’Oscar du meilleur film en 1973, mais Coppola ne sera personnellement couronné que pour le PARRAIN 2, en 1975. Ce film est devenu la référence absolu du néo-film de gangster tendance Cosa Nostra (car n’oublions pas les années trente avec quelques chefs d’œuvres fondateurs, en cliquant ici...), dont l’héritier le plus proche me semble être James Gray réalisateur de THE YARDS (avec James Caan justement…) ou LA NUIT NOUS APPARTIENT (avec Robert Duvall justement…). Mais c’est toute une génération de cinéastes qui ont béni Francis Coppola d’avoir su travailler sous la contrainte des studios en réussissant une œuvre personnel, et sans y perdre son âme. Il est devenu le héros de cette nouvelle génération, les Scorsese, de Palma, Friedkin, Lucas, Spielberg… Lui qui se rêvait en artiste maudit, venait de pondre le hit cosmique du box office ! Le Nouvel Ordre Hollywoodien de Dennis Hopper ou Bob Raffelson s’effondrait. Les studios allaient reprendre la main sur les affaires.

Le roman de Mario Puzo était suffisamment dense pour être la matière à deux films. Ce sera chose faite deux plus tard, puisque le PARRAIN 2 reviendra sur la genèse de la famille, et le règne de Michael Corleone. Mais... DRRIIINNN... Excusez-moi, on me parle dans l'oreillette...
- Oui, Rockin' ?... 
- gzzzzz ggzzz gzzzzzzzzzz
- Euh là, je suis en train de causer dans le poste, ça ne peut pas attendre ? C'est justement pourquoi tu appelles ?...
- gzzzzzzzzzzzz gzzzzzzzzzz gzzz gzzzzzzz
- Quoi Le Parrain 2 ? Pas maintenant ? Je suis déjà trop long ? Fallait s'y attendre... Pffff... 
DONC, à suivre... en cliquant sur ce lien, ici...

Jeu concours : Pourquoi le "Ford" de Francis Ford Coppola ???  
Un poster dédicacé de Foxy Lady faisant du surf à Malibu à gagner...









LE PARRAIN (1972) de Francis Ford Coppola
Sc : Francis Coppola et Mario Puza
Prod : Albert S. Ruddy et Gray Frederickson
Décor : Dean Tavoularis
Photo : Gordon Willis
Couleur - 2h48 - format 1:85

Nous avions déjà évoqué l'univers de Coppola avec ce livre écrit par sa femme
et avec son autre chef d'oeuvre Apocalypse Now, le film

8 commentaires:

  1. Merci Luc !!
    On m'a offert a noël la trilogie en Blue Ray remasterisée par Coppola himself d'après la mention sur la boîte...
    La chronique qui tombe à pic.
    J'avais lu le bouquin à sa sortie. Puzzo décrivait Sonny (James Caan) comme un Rocco Siffredi en puissance (c'est le cas de le dire) avec scène d'action à l'appui. Dans le film, il n'y a qu'un aperçu de cette boulimie du fils ainé quand, pendant la noce, Tom cherche Sonny et lâche l'affaire vu le raffut derrière une porte... Chaste le cinéma en ces années-là.

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  2. moi M'sieur, j'veux l'poster!!! Y roulait en Ford !! ou alors en hommage à John Ford ? j'ai gagné, dis,j'ai gagné?!

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  3. Il roulait en Ford : Y'a de ça, Rockin', y'a un peu de ça... mais pas assez précis pour gagner le poster... Réponse vendredi prochain.

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  4. Coppola est né à Detroit, où Henry Ford a fondé la Ford Motor Company pour asseoir un peu plus son statut de capitale mondiale de l'automobile. Son papa Carmine a voulu marquer le coup...

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  5. Ça m'agace ces horaires fantaisistes qui s'affichent...

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  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  7. Peter... c'est mieux, on se rapproche, y'a de la bagnole Ford, son père Carmine, et une histoire de naissance... Reste à trouver le lien entre ces trois éléments... Allez, allez, j'ai le poster devant moi, ouffff, c'est chaud chaud !

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  8. Car mine...ma bagnole?...Il est né dans une Ford? Pas le temps d'arriver à l'hosto?

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