jeudi 22 décembre 2011

SCHÜTZ : Histoire de la Nativité – René Jacobs - par Claude Toon


Ah la la ! Difficile de passer Noël dans l'univers classique sans aborder à un moment ou à un autre la naissance du petit Jésus, la crèche musicale. Je vais surprendre mon lecteur assidu en précisant que les œuvres remarquables célébrant cet évènement majeur de la chrétienté ne sont pas si abondantes que cela. En cherchant mon sujet, j'ai bien pensé à l'Oratorio de Noël de Bach, une somptueuse suite de six Cantates (de la Nativité à l'Epiphanie). Mais la durée du monument qui s'étend sur 2 voire 3 CDs et l'austérité spirituelle de l'écriture du Cantor m'ont paru bien arides en ces jours de fêtes.

J'ai donc choisi cette œuvre de Schütz, aérienne et colorée, assez courte (35'), d'une tendresse qui pourrait de nos jours évoquer un conte. Eh oui, Heinrich Schütz, réputé (à tort) pour une certaine sévérité s'est penché avec de l'affection, avec des accents musicaux lumineux et féériques, sur l'Enfant dans sa mangeoire et sa Famille.

Heinrich Schütz

Heinrich Schütz a bénéficié d'une longévité exceptionnelle pour son temps. Né en 1585 en Thuringe à la fin de la renaissance, il quittera ce monde à Dresde en 1672, à l'âge canonique de 87 ans, 13 ans avant la naissance de Jean-Sébastien Bach en 1685, donc en pleine période classique, celle de l'apogée du style baroque.
Schütz est moins célèbre que Bach sans doute du fait que son inspiration et ses compositions sont essentiellement religieuses. Par ailleurs, nous nous trouvons face à deux compositeurs en un seul créateur. Je m'explique.
De 1609 à 1612, Schütz sera l'élève, à Venise, de Gabrieli puis plus tard, de Claudio Monteverdi. Heinrich va hériter de ces deux maîtres le goût pour une polyphonie généreuse et optimiste et le souci de recourir à un accompagnement instrumental allègre. Il ne faut pas oublier que les deux génies italiens, auteurs d'une musique flamboyante gorgée de la lumière de l'Italie, étaient compositeurs de musiques de fêtes à Saint Marc, pour le premier, et de l'enchanteur Orfeo et de madrigaux pour le second (le premier opéra de l'histoire en 1600).
Il tourne le dos au plain-chant a cappella traditionnel des siècles précédents. De cette époque et de cet enseignement, on retiendra les 26 psaumes de David. Ce cycle plein de verve pour chœur et instruments est d'une inventivité et d'une vitalité caractérisée par une généreuse polyphonie (polychoralité), et une luxuriante instrumentation. L'imagination et la liberté de l'écriture n'ont rien à envier à Bach ou Haendel. (J'irais jusqu'à dire que l'on y trouve plus de couleur et de chaleur.) N'étant pas certain d'écrire souvent une chronique autour de Schütz, je propose quelques disques incontournables en fin page.
Le second style semble épouser la gravité des temps de la guerre de trente ans, ce conflit nourri des rivalités entre états catholiques et protestants qui déchireront l'Europe de 1618 à 1648. Schütz composera  de manière plus austère, un choix délibéré en regard des difficultés matérielles liées aux conflits et peu propices à des créations de grandes ampleurs. De confession protestante, il devra même fuir un moment à Copenhague. Et pourtant des chefs-d'œuvre comme les sept paroles du Christ en croixMusikalische Exequiem (un requiem) marqueront cette époque. Schütz était aussi un grand organiste mais à l'évidence, les partitions ont été perdues. ou
Pour Noël, histoire de la nativité composée tardivement en 1664 se rapproche de la première manière, joyeuse et colorée, voici une partition festive.


René Jacobs et le Concerto Vocale
Heinrich Schütz est sans doute l'un des compositeurs qui a le mieux bénéficié de la révolution des enregistrements sur instruments d'époque et des recherches d'authenticité depuis les années 60-70 à l'initiative de Nikolaus Harnoncourt et Gutav Leonhardt. J'ai découvert Schütz avec les enregistrements, certes empreints de spiritualité, des frères Mauesberger à Lepzig, mais le recours aux vocalises et sonorités modernes alourdissaient cette musique délicate.
Né en 1946, le contre-ténor et chef d'orchestre René Jacobs est l'une des figures les plus remarquables de ce renouveau de l'interprétation "à l'ancienne" de la musique baroque. Évitant le piège des ensembles minimalistes qui amaigrissent la riche texture sonore des œuvres, René Jacobs, comme Philippe Herreweghe, nous a apporté une relecture surprenante du répertoire avec ses nombreux enregistrements. Il a fondé en 1977 l'ensemble Concerto Vocale. Je citerai outre ses disques consacrés à Schütz, les vêpres de la Vierge de Monteverdi, Orphée et Eurydice de Gluck ou encore l'oratorio de Noël de Bach. Enfin il chante la partie d'alto dans l'enregistrement légendaire de la Passion selon Saint Matthieu de Bach dirigée par Gustav Leonhardt en 1989.


Histoire de la nativité
L'histoire de la nativité suit le récit des Écritures que vous connaissez tous : la naissance de Jésus à Bethléem pendant le recensement des juifs (plus de place dans les auberges), la visite des bergers, l'ange annonçant le danger de l'intérêt que porte Hérode au Bébé annoncé comme roi, la visite des mages une semaine après la naissance (non, ils ne sont pas arrivés la nuit même en TGV), et enfin la fuite en Egypte. Ce petit oratorio d'une louable simplicité comprend 19 pièces. Dans la distribution vocale on distinguera Andreas Scholl dans les rôles d'un berger et d'un ange. L'orchestration comprend quelques cordes, des trombones et cornets naturels aux timbres chaleureux, un orgue positif, des flûtes à bec, un luth et un dulcian (ancêtre du basson).
[1] Une courte sinfonia instrumentale, pastorale et nocturne, plante le décor de cette nuit d'enfantement. [2] Dans le début du premier récit de l'évangéliste, seul un orgue positif à la sonorité chambriste l'accompagne, intimité qui sied au passage évoquant l'édit de recensement et la quête émue mais confiante de Joseph et Marie pour trouver un logis. Les autres instruments soulignent le récit de la naissance. Schütz souhaite leur donner un rôle de témoins discrets et émerveillés de la venue au monde de Jésus. Ces quelques lignes illustrent au mieux l'art de Schütz : aucun effet lyrique et encore moins extatique. Dans les Écritures, le fils de Dieu se veut humble. Schütz participe à la naissance en homme, en père plutôt qu'en compositeur. Et ainsi, il ne veut en aucune manière sacrifier l'Enfant à des artifices artistiques dramatiques qui le mettraient en avant comme musicien et personnage principal. On se plonge dans un discours musical d'une tendresse infinie, aux couleurs féériques du luth, du petit orgue cristallin et des cornets qui jouent pianissimo. [3] à [6] Airs et chœurs de reconnaissance se succèdent. Le chant adopte une polyphonie joyeuse et claire. René Jacobs retrouve-t-il ses yeux d'enfants qui s'émerveillaient des lumières de la nuit un peu secrète de noël.
[7] Voici nos amis les bergers annoncés par les flûtes à bec : peut-il exister une crèche sans la tradition des moutons et des flutiaux ? Le chant des solides campagnards se rythme vigoureusement de bonhomie. Les solos des flûtes sont fringants. [9] Au son patelin du dulcian, les mages arrivent à petits pas avec leurs présents et en papotant. Si si, Schütz dépeint nos trois mages avec un soupçon de facétie. [11] Dans un climat de gravité souligné par les trombones, les prêtes et scribes se rengorgent doctement. [15] L'ange annonce le danger à Joseph et l'invite à fuir en Egypte. Dans ce passage, Jacobs requiert une voix féminine au lieu d'une voix de garçon dont la justesse est toujours incertaine. [16] Martin Hummel adopte un ton dramatique et plaintif, mais sans pathétisme de mauvais aloi, pour raconter le massacre des innocents et la mort d'Hérode. Un chant de gloire sans ostentation conclut l'ouvrage.
Heinrich Schütz a composé une œuvre populaire et dénué de tout mysticisme savant. Il nous replonge dans l'univers des "mystères" joués au moyen-Âge devant les cathédrales.
La douce simplicité de cette Nativité s'adresse à tous les publics. On peut tout aussi bien l'écouter livret en main pour s'imprégner du génie de Schütz illustrant le récit évangélique, que se laisser bercer par la mélodie au pied du sapin. Franchement, on s'affranchit assez vite de l'allemand et ça a une autre gueule que Douce nuit, Mon Beau Sapin, ou Petiiiit Papa Noël quand tu descendras du ciel, n'oublie pas de sortir les poubelles (heuuu… ce n'est pas ça ?). Et puis certes si ces rengaines traditionnelles font encore recette, pourquoi pas, … un peu de nouveauté que Diable (qu'est-ce qu'il vient faire ici celui-là ?)

L'album est complété par cinq motets dans le même style et également inspirés par les temps de l'avent et de Noël.

Discographie, pour aller plus loin...



















Vidéo
L'histoire de la Nativité par René Jacobs.

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2 commentaires:

  1. Très louable page sur un compositeur de génie et une petite merveille d'oeuvre !
    Il serait "peut-être" souhaitable de vérifier quelques point de "détail" !!! :
    - les dates de J.S. Bach
    - l'utilisation du mot "classique" ...

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  2. Avec dix ans de retard lors d'une campagne de "maintenance"
    Bach est né en 1685... Où avais-je la tête.
    Oui classique... disons baroque intermédiaire et Bach : baroque tardif..
    Merci d'avoir lu ma prose...

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