Ah la la ! Difficile de passer Noël dans l'univers classique sans aborder
à un moment ou à un autre la naissance du petit Jésus, la crèche musicale.
Je vais surprendre mon lecteur assidu en précisant que les œuvres
remarquables célébrant cet évènement majeur de la chrétienté ne sont pas
si abondantes que cela. En cherchant mon sujet, j'ai bien pensé à
l'Oratorio de Noël de Bach, une somptueuse suite de six Cantates (de la
Nativité à l'Epiphanie). Mais la durée du monument qui s'étend sur 2 voire
3 CDs et l'austérité spirituelle de l'écriture du Cantor m'ont paru bien
arides en ces jours de fêtes.
J'ai donc choisi cette œuvre de Schütz, aérienne et colorée, assez courte (35'), d'une tendresse qui pourrait de nos jours évoquer un conte. Eh oui, Heinrich Schütz, réputé (à tort) pour une certaine sévérité s'est penché avec de l'affection, avec des accents musicaux lumineux et féériques, sur l'Enfant dans sa mangeoire et sa Famille.
J'ai donc choisi cette œuvre de Schütz, aérienne et colorée, assez courte (35'), d'une tendresse qui pourrait de nos jours évoquer un conte. Eh oui, Heinrich Schütz, réputé (à tort) pour une certaine sévérité s'est penché avec de l'affection, avec des accents musicaux lumineux et féériques, sur l'Enfant dans sa mangeoire et sa Famille.
Heinrich Schütz
Heinrich Schütz a bénéficié d'une longévité exceptionnelle pour son
temps. Né en 1585 en Thuringe à la fin de la renaissance, il
quittera ce monde à Dresde en 1672, à l'âge canonique de
87 ans, 13 ans avant la naissance de Jean-Sébastien Bach en
1685, donc en pleine période classique, celle de
l'apogée du style baroque.
Schütz est moins célèbre que Bach sans doute du fait que son
inspiration et ses compositions sont essentiellement religieuses. Par
ailleurs, nous nous trouvons face à deux compositeurs en un seul créateur.
Je m'explique.
De 1609 à 1612, Schütz sera l'élève, à Venise, de
Gabrieli puis plus tard, de Claudio Monteverdi. Heinrich va
hériter de ces deux maîtres le goût pour une polyphonie généreuse et
optimiste et le souci de recourir à un accompagnement instrumental allègre.
Il ne faut pas oublier que les deux génies italiens, auteurs d'une musique
flamboyante gorgée de la lumière de l'Italie, étaient compositeurs de
musiques de fêtes à Saint Marc, pour le premier, et de l'enchanteur
Orfeo et de madrigaux pour le
second (le premier opéra de l'histoire en 1600).
Il tourne le dos au plain-chant a cappella traditionnel des siècles
précédents. De cette époque et de cet enseignement, on retiendra les
26 psaumes de David. Ce cycle plein de verve pour chœur et instruments est d'une inventivité
et d'une vitalité caractérisée par une généreuse polyphonie (polychoralité),
et une luxuriante instrumentation. L'imagination et la liberté de l'écriture
n'ont rien à envier à Bach ou Haendel. (J'irais jusqu'à dire
que l'on y trouve plus de couleur et de chaleur.) N'étant pas certain
d'écrire souvent une chronique autour de Schütz, je propose quelques disques
incontournables en fin page.
Le second style semble épouser la gravité des temps de la guerre de trente
ans, ce conflit nourri des rivalités entre états catholiques et protestants
qui déchireront l'Europe de 1618 à 1648. Schütz
composera de manière plus austère, un choix délibéré en regard des
difficultés matérielles liées aux conflits et peu propices à des créations
de grandes ampleurs. De confession protestante, il devra même fuir un moment
à Copenhague. Et pourtant des chefs-d'œuvre comme les
sept paroles du Christ en croixMusikalische Exequiem (un
requiem) marqueront cette époque. Schütz était aussi un grand organiste mais
à l'évidence, les partitions ont été perdues.
ou
Pour Noël,
histoire de la nativité composée
tardivement en 1664 se rapproche de la première manière, joyeuse et
colorée, voici une partition festive.
René Jacobs et le Concerto Vocale
Heinrich Schütz
est sans doute l'un des compositeurs qui a le mieux bénéficié de la
révolution des enregistrements sur instruments d'époque et des recherches
d'authenticité depuis les années 60-70 à l'initiative de
Nikolaus Harnoncourt et Gutav Leonhardt. J'ai découvert
Schütz avec les enregistrements, certes empreints de spiritualité, des
frères Mauesberger à Lepzig, mais le recours aux vocalises et sonorités
modernes alourdissaient cette musique délicate.
Né en 1946, le contre-ténor et chef d'orchestre
René Jacobs est l'une des figures les plus remarquables de ce
renouveau de l'interprétation "à l'ancienne" de la musique baroque.
Évitant le piège des ensembles minimalistes qui amaigrissent la riche
texture sonore des œuvres, René Jacobs, comme Philippe Herreweghe,
nous a apporté une relecture surprenante du répertoire avec ses nombreux
enregistrements. Il a fondé en 1977 l'ensemble
Concerto Vocale. Je citerai outre ses disques consacrés à Schütz,
les vêpres de la Vierge de
Monteverdi,
Orphée et Eurydice de Gluck ou
encore l'oratorio de Noël de
Bach. Enfin il chante la partie d'alto dans l'enregistrement légendaire de
la
Passion selon Saint Matthieu
de Bach dirigée par Gustav Leonhardt en 1989.
Histoire de la nativité
L'histoire de la nativité suit le récit des Écritures que vous connaissez
tous : la naissance de Jésus à Bethléem pendant le recensement des juifs
(plus de place dans les auberges), la visite des bergers, l'ange annonçant
le danger de l'intérêt que porte Hérode au Bébé annoncé comme roi, la
visite des mages une semaine après la naissance (non, ils ne sont pas
arrivés la nuit même en TGV), et enfin la fuite en Egypte. Ce petit
oratorio d'une louable simplicité comprend 19 pièces. Dans la distribution
vocale on distinguera Andreas Scholl dans les rôles d'un berger et
d'un ange. L'orchestration comprend quelques cordes, des trombones et
cornets naturels aux timbres chaleureux, un orgue positif, des flûtes à
bec, un luth et un dulcian (ancêtre du basson).
[1] Une courte sinfonia instrumentale, pastorale et nocturne, plante le
décor de cette nuit d'enfantement. [2] Dans le début du premier récit de
l'évangéliste, seul un orgue positif à la sonorité chambriste
l'accompagne, intimité qui sied au passage évoquant l'édit de recensement
et la quête émue mais confiante de Joseph et Marie pour trouver un logis.
Les autres instruments soulignent le récit de la naissance. Schütz
souhaite leur donner un rôle de témoins discrets et émerveillés de la
venue au monde de Jésus. Ces quelques lignes illustrent au mieux l'art de
Schütz : aucun effet lyrique et encore moins extatique. Dans les
Écritures, le fils de Dieu se veut humble. Schütz participe à la naissance
en homme, en père plutôt qu'en compositeur. Et ainsi, il ne veut en aucune
manière sacrifier l'Enfant à des artifices artistiques dramatiques qui le
mettraient en avant comme musicien et personnage principal. On se plonge
dans un discours musical d'une tendresse infinie, aux couleurs féériques
du luth, du petit orgue cristallin et des cornets qui jouent pianissimo.
[3] à [6] Airs et chœurs de reconnaissance se succèdent. Le chant adopte
une polyphonie joyeuse et claire. René Jacobs retrouve-t-il ses yeux
d'enfants qui s'émerveillaient des lumières de la nuit un peu secrète de
noël.
[7] Voici nos amis les bergers annoncés par les flûtes à bec : peut-il
exister une crèche sans la tradition des moutons et des flutiaux ? Le
chant des solides campagnards se rythme vigoureusement de bonhomie. Les
solos des flûtes sont fringants. [9] Au son patelin du dulcian, les mages
arrivent à petits pas avec leurs présents et en papotant. Si si, Schütz
dépeint nos trois mages avec un soupçon de facétie. [11] Dans un climat de
gravité souligné par les trombones, les prêtes et scribes se rengorgent
doctement. [15] L'ange annonce le danger à Joseph et l'invite à fuir en
Egypte. Dans ce passage, Jacobs requiert une voix féminine au lieu d'une
voix de garçon dont la justesse est toujours incertaine. [16]
Martin Hummel adopte un ton dramatique et plaintif, mais sans
pathétisme de mauvais aloi, pour raconter le massacre des innocents et la
mort d'Hérode. Un chant de gloire sans ostentation conclut
l'ouvrage.
Heinrich Schütz a composé une œuvre populaire et dénué de tout mysticisme
savant. Il nous replonge dans l'univers des "mystères" joués au moyen-Âge
devant les cathédrales.
La douce simplicité de cette Nativité s'adresse à tous les publics. On peut tout aussi bien l'écouter livret en main pour s'imprégner du
génie de Schütz illustrant le récit évangélique, que se laisser bercer par
la mélodie au pied du sapin. Franchement, on s'affranchit assez vite de
l'allemand et ça a une autre gueule que
Douce nuit, Mon Beau Sapin, ou
Petiiiit Papa Noël quand tu descendras du ciel, n'oublie pas de
sortir les poubelles
(heuuu… ce n'est pas ça ?). Et puis certes si ces rengaines
traditionnelles font encore recette, pourquoi pas, … un peu de nouveauté
que Diable (qu'est-ce qu'il vient faire ici celui-là ?)
L'album est complété par cinq motets dans le même style et également
inspirés par les temps de l'avent et de Noël.
Discographie, pour aller plus loin...
L'histoire de la Nativité par René Jacobs.
>
Très louable page sur un compositeur de génie et une petite merveille d'oeuvre !
RépondreSupprimerIl serait "peut-être" souhaitable de vérifier quelques point de "détail" !!! :
- les dates de J.S. Bach
- l'utilisation du mot "classique" ...
Avec dix ans de retard lors d'une campagne de "maintenance"
RépondreSupprimerBach est né en 1685... Où avais-je la tête.
Oui classique... disons baroque intermédiaire et Bach : baroque tardif..
Merci d'avoir lu ma prose...