samedi 12 novembre 2011

BRUCE SPRINGSTEEN - "The River (1979) par Luc B.


 THE RIVER  est le cinquième album de Bruce Springsteen, déjà auréolé d’une flatteuse réputation de song-writer et de performer, avec la dantesque tournée et les concerts marathon de l’après DARKNESS IN THE EDGE OF TOWN, sorti en 1978. Car si jusque là Springsteen vend moins que The Eagles, ou Fleetwood Mac, du côté de la billeterie, il engrange 5 fois plus de spectateurs que tous ses concurents. L'album THE RIVER lui permettra, via la radio et les ventes (2 millions d'exemplaires) d'atteindre un nouveau public, et notamment en Europe, où on connaissait le phénomène de réputation, sans jamais l'avoir vu jouer. A l’origine, Springsteen avait voulu reprendre les personnages de DARKNESS, et les emmener plus loin, les voir grandir, tout en essayant de trouver un son et une tonalité plus proche de ses prestations en concert. Le Rock peut parler de sujets intimes et graves, et rester  une musique festive, faite pour danser. THE RIVER sera donc enregistré « live », tous les musiciens étant réunis en studio, one, two, one two, three, four, et on y va ! Le magnéto 2 pistes tourne 24h/24h, et quand ça commence à chauffer, l'ingénieur enclenche le 24 pistes. Enregistrer "live" ne signifie pas choisir la seconde prise et hop, passer à la chanson suivante ! L'homme est un perfectionniste, chaque note de chaque instrument doit être comme il le souhaite. Cent fois sur le métier... En tout, ce sont 18 mois qui seront nécessaires à l'aboutissement du disque. Les titres déjà joués en public (« Independance day », « Point blank ») sont systématiquement retravaillés. A l’origine, l’album réunissait 10 chansons, enregistrées en mars 1979 au Power Station de New York. Mais Springsteen s’aperçoit qu’il peut aller plus loin, développer davantage ses thèmes, ses histoires. Les années 80 qui se profilent annoncent des réveils difficiles, une austérité, une période sombre. Springsteen veut rendre compte de tout cela, se mettre à la place des petites gens, décrire leur vie, et pour cela il a besoin d’espace. Il retourne en studio, à l'été 80, et ce sont 20 chansons sur un double album qui sortiront en octobre 1980.

Un premier extrait est sorti en 1979 : « Hungry heart ». A l’origine écrite pour The Ramones, Jon Laudau persuade Springsteen de garder la chanson pour lui. Avec l’histoire de ce type qui part acheter une boite d’allumettes et ne revient jamais chez lui, Springsteen trouve son premier hit international. Une chanson un peu trop connue, et parfois jugée commerciale, facile, mais qui définit parfaitement le nouveau son du Boss. Une intro et des chœurs qui renvoient directement à la soul de Martha & the Vandellas Dancing in the street »), à la Motown,  avec des arrangements simples, lisibles, directs, et une peau de caisse claire plus tendue que la peau des fesses d’Amanda Lear. Un 45 tours que je m’étais empressé d’acheter au centre commercial du coin, le premier je crois, et qui fait encore aujourd’hui toute ma fierté, quand je vais l’admirer une fois par mois dans la salle des coffres de ma banque zurichoise…  La tradition veut que Springsteen en donne une version instrumentale, le public se chargeant de chanter à sa place !

THE RIVER est une réussite totale, un double album sans faiblesse, riche, qui explore la country, le rock, le rhythm’n’blues, le folk, les ballades soul. Il recèle quelques-uns des  grands classiques de Springsteen encore joués sur scène (« Out in the street », « Cadillac ranch », « Ramrod », « Two hearts » des modèles absolus du genre, prétexte à des cavalcades échevelées sur scène). Après une première partie enlevée, sur tempos rapides (« Sherry Darling », «Jackson cage », « You can look ») l’ambiance se fait plus sombre sur le second disque avec le sublime « Point blank » ( aaahhh les notes de Roy Bittan au piano, pour l'intro, comme cela parait si simple de faire de bonnes chansons !) ou « Stolen car », narrant l’histoire d’un type qui a raté sa vie, vole une voiture, souhaite être arrêté, pour enfin être considéré. Cela donne un aperçu de la noirceur des portraits… Indispensable aussi, le crépusculaire « Drive all night » et ses 8’30 de hurlements déchirés : « I swear I'll drive all night just to buy you some shoes /and to taste your tender charms /and I just wanna sleep tonight again in your arms ».

On ne peut évoquer cet album sans s'arrêter sur la chanson éponyme, "The River" que je tiens comme une des plus belles compositions du siècle dernier. Inspirée par la situation de son beau-frère, licencié de son usine, elle était souvent introduite sur scène par un long monologue intimiste, avant que résonne l'intro à l'harmonica. Un premier couplet qui sonne comme une ballade folk nostalgique, mais rehaussée ensuite d'une ligne de basse ferme, et des arpèges magiques de Roy Bittan au piano, et soutenue par des plaqués d'orgue hammond de Danny Federicci. Après le chorus d'harmo, l'intensité monte encore d'un cran, Max Weinberg passe du cercle de la caisse claire à la peau, jusqu'au déchirant : "Now those memories come back to haunt me, they haunt me like a curse /Is a dream a lie if it don't come true, or is it something worse". Puis c'est l'apaisement, le thème seulement murmuré, et aux gré des versions, le piano, l'harmo ou le sax conclut. Qui n'a jamais entendu ce morceau en concert, ne sait pas ce que signifie l'expression "être parcouru de frisson".

 THE RIVER  est un album absolument indispensable, un des plus beaux de son auteur (le plus complet musicalement ?), mètre étalon du rock US, unanimement salué à sa sortie, un voyage au coeur de l'Amérique pré-Reagan hantée par des personnages paumés, exclus, à qui l'auteur redonne un peu de dignité. Une série de petites histoires, de gens qui s'accrochent à leur petits bonheurs, de virées entre potes, de filles qu'on rêvent de rendre heureuses. Springsteen a cette habitude de baptiser ses héros de chansons, ils ont une histoire, un vécu, ils habitent tel quartier, leurs parents bossent dans telle usine ou garage. Ces éléments biographiques, sociologiques, touchent intimement l'auditeur qui se reconnaît dans une Rosie, un Franck, un Billy... THE RIVER est aussi un album où s'affirme le style concis, percutant, soudé du E Street Band, capturé live en studio par Bob Clairmountain et Chuck Plotkin, complices de toujours. Après ces cavalcades débridées, Bruce Springsteen sortira deux ans plus tard l'album NEBRASKA, 10 chansons acoustiques, enregistrées sur un 4 pistes dans sa cuisine.
Le 8 novembre 2009, à NY, Springsteen a joué en concert l'intégralité de THE RIVER, exercice auquel il se livre de temps à autre.  






The Ties That Bind  / Sherry Darling / Jackson Cage / Two Hearts / Independence Day / Hungry Heart / Out in the Street / Crush on You / You Can Look (But You Better Not Touch) / I Wanna Marry You / The River
Point Blank / Cadillac Ranch / I'm a Rocker / Fade Away / Stolen Car / Ramrod / The Price You Pay / Drive All Night / Wreck on the Highway

Le titre "The River" capté live en 1980. Le son est crapauteux, l'image pas terrible, mais à part ça, tout va bien ! Comme on dit : c'est d'époque et c'est ce qui compte !


Et l'inusable "Cadillac Ranch"... c'est d'la bombe ça, coco !

13 commentaires:

  1. Il est bien, "The river" ...
    Enfin, bien long surtout ... Mais je vais pas en dire du mal, surtout ici ... je tiens à la vie, moi ...
    l'histoire (la légende ? l'intox ?) prétend que c'est un double 33T, parce que le mag rolling stone, qui se prenait un peu pour le manager du boss, insinuait dans ses articles que le moment était venu pour asseoir définitivement sa réputation internationale de sortir un double 33T ...

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  2. Théorie intéressante... Mais tout de même, fallait-il encore avoir la matière pour sortir un double album. Or, la matière, les titres, Springsteen les avait en stock depuis "Darkness" et les soucis contractuels qu'il avait avec son ex manager, qui l'interdisait d'enregistrer (d'où les 4 ans entre "Born to run" et "Darkness"). 4 années pendant lesquelles Springsteen a énormément écrit et engrangé des chansons, et beaucoup donné de concerts. C'est surtout de là que venait sa réputation.
    "Je ne vais pas en dire du mal"... Bah, ouais, forcément, comment en dire du mal d'un truc pareil ? :)

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  3. Je me souviens d'Antoine de Caunes qui nous bassinait sur The River, pas encore sorti, dans une de ces émissions rock, comme quoi il avait rencontré Dieu descendu sur terre avec Springsteen depuis Born To Run...Il faisait pas semblant, je crois qu'il est resté scotché à vie!
    Ça à pas l'air d'être le seul!
    Ps: J'aime bien Point Blank, avec son piano perché.Grand morceau!

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  4. Non Peter, ce n'est pas le seul... Merci de ta visite. PS : "Point Blank" : immense morceau !

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  5. Shuffle master13/11/11 18:44

    Eh bien, moi, je vais en dire du mal, comme pour tous les disques de Springsteen. Celui-là décroche le pompon: trop long, c'est évident, ampoulé, lourdingue, déclamatoire ( en pleine imagerie sulpicienne du working class hero / blue collar...Dans 50 ans, Springsteen sera canonisé, on parie?), mal joué, par la pire bande de tâcherons du New Jersey qui serait incapable de jouer correctement un standard de Berry? Bon, j'arrête, je m'énerve et je vais finir par dire des choses désagréables.

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  6. Eh ben moi, j'y étais à l'époque pour la tournée "The River" à Paris au mois d'avril 1981 ..... Au Palais des Sports de ST OUEN perdu au fond de la banlieue nord, une salle plein de courant d’air où jadis LED ZEPPELIN s'était produit.
    c'était l’ambiance des grands concerts ce soir là, avec une foule compacte près de la scène, LE.Street Band déboule on stage et nous envoie "Factory",Prove It All Night", le jeu de scène de Bruce, Clarence et Miami est superbe et derrière il y a cette pulsion métronomique, cette frappe extraordinaire du grand Max.....s'enchainent "DARKNESS" et puis "INDEPENDANCE DAY" suivi de "WHO’LL STOP THE RAIN" à donf, le rythme baisse un peu avec "TWO HEARTS", "PROMISED LAND", et puis la chanson de WOODIE GUHTRIE chantée par le public, et juste après c'est THE RIVER qui enflamme le public !!!! Je vous cite pas tous les titres joués ce soir là, mais je me rappelle bien d'une chose : c'était ENOOOORME !!!! il y avait une énergie pure, brute et quasiment deux concerts (avec un entracte de 20 minutes). Un grand moment.

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  7. Mais non, Shuffle, prétendre qu'en 1979 le E Street Band joue mal et serait incapable de reprendre correctement du Berry, ce n'est pas dire des choses désagréables... Ca s'appelle dire des âneries, c'est tout ! Par contre, oui, le côté "j'endosse vos pêchers" fait partie du personnage, il en joue et s'en amuse, voir la tournée 1999/2000 avec de véritables "prêches" très second degré.

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  8. L'avis de SM n'est pas isolé. Je me souviens bien que dans les 80's et débuts 90's, certains avaient la même opinion que Shuffle.
    Il y avait également ceux qui, dans le genre (et à l'époque), plaçaient Mellecamp au-dessus du Boss.
    J'ai cru remarquer que les aficionados étaient ceux qui avaient assisté à un de ses concerts marathon.

    Ouais, De Caunes grand fan et grosse promo de l'album The River dans son émission Chorus. Les premiers passages télés de Bruce en France sont dûs à l'acharnement d'Antoine.

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  9. Big Bad Pete14/11/11 13:05

    Extrait d'un début d'altercation :

    Shuffle : Luc, vous êtes un enfant !
    Luc : Shuffe, vous êtes un âne !
    Shuffle : Vous voulez mon poing dans la gueule ?
    Luc : Comment ? Vous oseriez frapper un enfant ?
    Shuffle : Bien sûr puisque je suis un âne !!!

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  10. Bruno, il est tout à fait concevable de trouver Mellemcamp meilleur (bien que sur des carrières longues, chacun a ses hauts et ses bas). J'adore Mellecamp, qui a sorti des disques meilleurs que ceux de Springsteen à une époque. Mais il existe ce phénomène étrange, dans une famille de musiciens (Southside, Springsteen, Mellecamp...) lorsque l'un accède à une plus grande notoriété, on trouve ça suspect. Et on dit : c'est injuste, les autres sont meilleurs... Non, c'est sans doute injuste parce que les autres sont aussi bons ! Dans le cas de Springsteen, sa notoriété ne vient pas de tubes radio, de "slow d'été", de clips à sensation, d'un mariage princier... mais de ses performances de musicien qui est tout de même le meilleur moyen de mesurer le talent d'un type.

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  11. Shuffle master14/11/11 15:03

    L'âne et l'enfant, bel exemple de syllogisme à enseigner dans les écoles. A part ça, bien évidemment que Mellencamp est meilleur que Springsteen, du moins jusqu'à Whatever...etc. De plus, le côté messianique est insupportable: John Landau: "j'ai vu le futur du rock and roll..., De Caunes (tiens à propos, quid d'une autre de ses marottes, Garland Geffreys?),je fais partie des élus, j'étais au concert...Et le seul bon musicien qu'ait eu Springsteen, c'est Nils Lofgren. La preuve, il ne le laisse pas jouer. Pas con...

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  12. Pour l'âne et l'enfant, je faisais surtout une citation du merveilleux film "Signé Furax" :

    http://www.dailymotion.com/video/x2skkf_signe-furax-fouvreaux-socrate-extra_shortfilms

    :oD

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  13. Shuffle master15/11/11 09:55

    Connaissais pas. Normal, puisque je suis un âne. CQFD.

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