mercredi 31 août 2011

Philippe LUTTUN "Ring Down the Curtain" (2011) + INTERVIEW, par Bruno & Rockin-jl


     Mais qui est donc ce Philippe Luttun que se dit le lecteur assidu du Déblocnot. Une étoile éphémère de la Star' Ac ? Le nouveau Dj à la mode qui fait chauffer les platines à Ibiza ? Un nouveau produit faisant l'objet de multiples passages médiatiques pour lobotomiser l'auditeur ? Un nouveau ministre ?
Hé b'en naan... rien de tout cela. Philippe Luttun, déjà, n'en est pas à son premier essai, puisqu'il s'agit là de sa septième réalisation. La première date de 1996. Entretemps il a joué avec un groupe spécialisé dans les reprise de Blues-Rock, Farm Street, puis un autre de Pop-Rock, Paradoxe. Et auparavant il a même joué avec une formation de musique de danse, Mambo Loco.
Précisons que sur l'un de ses disques antérieurs, le Ep « Light Waves », il s'est offert le luxe, juste pour le plaisir, de reprendre Subdivision de Rush, High Hopes de Pink-Floyd, Easter de Marillion, Time Again de Asia et Beyond This Life de Dream-Theater.
Comme quoi, il a plus d'une corde à son arc.

     Son apprentissage avec la musique débute très jeune par le conservatoire, avec l'étude du piano classique. Quelques années plus tard, il bifurque vers le gros Rock via les monstres sacrés des 70's, avec notamment Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath. Un nouvel attrait qui le poussa à apprendre la guitare en autodidacte.

Et qu'en est-il donc de ce disque ?
Comme ses précédents opus, il s'agit de Rock-Progressif très imbibé d'influences diverses issues du Heavy-rock. Un Rock-Progressif qui se creuse les méninges pour être original, malgré les influences reconnues et revendiquées. A ce titre, même si de temps à autres certaines influences sont évidentes, on n'a jamais l'impression d'entendre des plans repiqués. Avec « Ring Down the Curtain », Luttun a, sur certains titres, grossi le son de sa guitare, se parant ainsi d'allures plus Heavy-Metal. Notamment avec quelques gros riffs en béton armé. Cependant, l'aspect mélodique demeure son sacerdoce. Pour ce faire et rehausser cet abord, Philippe a demandé de l'aide à PRIS K ; une chanteuse (du groupe niçois R.D.S.K) qui enrichit considérablement sa musique. Sa voix me rappelle celle de Saana Koskinen, la chanteuse « intérimaire » de Five Fifteen. D'ailleurs lorsqu'elle chante en duo, on pense immanquablement aux finlandais. Peut-être aurait-elle mérité d'être placée un peu plus en avant ?

     Bien que la guitare ait la place du roi, les claviers gardent un rôle considérable. Ce sont parfois eux qui ont en charge d'instaurer la mélodie ; tantôt au piano, tantôt aux synthés. Parfois encore, en inspiration des sonorités du fameux orgue Hammond, ils revêtent cet habit, et se jettent à corps perdu dans des chorus qui rappellent le jeu de musiciens tels que Jon Lord, Ken Hensley et Keith Emerson. Sans avoir la flamboyance de ces derniers (ce qui semble être plus un choix qu'autre chose) les interventions aux claviers de Philippe n'en demeurent pas moins délectables.

     Le format des compositions est assez long, permettant l'insertion de différents mouvements, changements de rythmes et de climats propres au Rock-Progressif. Des compositions à « tiroirs » où s'immiscent des passages Heavy-Metal, d'autres jazzy, voire Hard-rock, avec une plage instrumentale conséquente. Une musique qui évite soigneusement le piège inhérent au genre : le déballage de clichés techniques. Philippe centre ses soli dans une veine mélodique affirmée, rejetant toute esbroufe et longueur. Il varie les plaisirs en s'accompagnant une fois d'une wah-wah (bien utilisée), une autre d'un bottleneck charnu (dans une veine Blues-rock),  un travaillé au vibrato, ou en joutant avec un saxophone (petit clin d'oeil à la B.O. de Leathal Weapon ?), ou bien en passant un son clair à un plus Metôl. 
Des ambiances sombres et/ou mélancoliques, crépusculaires, mais jamais de désolation, ni d'agression, comme si, à travers même ses paroles parfois désabusées, il y avait toujours une espérance de rédemption.

     L'auto-production n'a pas freiné Philippe dans son élan créateur qui a voulu une musique cossue. Les arpèges de guitares (souvent enrobés de Chorus) côtoient les riffs saturés, les synthés ou simulateur d'orgue succèdent au piano (parfois l'inverse), duo chantés, basse besogneuse (parfois un tantinet en retrait), et quelques effets sonores. Le tout avec une fluidité qui confirmerait un travail d'équipe plutôt que d'un seul homme.
Pour les grincheux, une oreille critique remarquera que la batterie est quelque peu compressée, notamment le « ping » des cymbales qui manque de résonance (on a parfois connu pire sur de grosses productions).
Luttun a dû recourir à la programmation pour la batterie ; pourtant elle n'est aucunement basique ou métronomique.

     Un bel album de Heavy-Rock-Progressif aux sonorités Metal, travaillé et bien fini ; entre Dream Theater, Yes, Porcupine Tree, Rainbow, Transatlantic, Five-Fifteen, Satriani, voire Lacuna Coil. 
Disponible ici: sliding-rocks.com 

1 – Far Beyond the Sea 8:28

2 – Damocles Swords 7:42
3 – Pictures of Humanity 8:54
4 – I have seen the earth change 7:13
5 – Liber Al Val Legis 5:37
6 – Scars only heal 6:52
7 – The sweet taste of her lips 5:46
8 – The gate of Ishtar 6:49
9 – A land above the sky 6:23












Mais pour en savoir un peu plus, rien de tel que de s'adresser au musicien lui même, à toi Philippe :

1) Peux-tu, STP, te présenter en quelques mots pour nos lecteurs ?

- Bonjour à toutes et à tous, je me présente : Philippe, 46 ans, gratouilleur, pianoteur, couineur, cubasien, compositeur du samedi et auteur du dimanche.
Je tiens avant tout à préciser que la musique n’est pas mon métier (j’occupe un poste de technicien dans l’industrie automobile) mais la grande passion de ma vie. J’ai commencé à l’âge de 7 ans par l’étude du piano classique. J'ai pu ainsi acquérir des bases solides en solfège et harmonie. Puis à l'adolescence, alors que j'écoutais beaucoup de Hard Rock, je suis tombé amoureux du son de la guitare électrique. J’ai alors appris en autodidacte ce nouvel instrument. Je tentais de reproduire ce que j’entendais sur mes disques préférés. Cela n’a pas été sans mal et j’ai pris de très mauvaises habitudes de jeu, mais je ne le regrette pas car cela m’a permis d’exercer mon oreille. Aujourd’hui, la guitare est devenue mon instrument fétiche même si le piano reste un fidèle compagnon que j’apprécie toujours, bien que je le délaisse un peu trop…

2) Depuis 96, tu as réalisé sept disques de Rock-Progressif, mais auparavant tu as joué avec un groupe de blues-rock, un de pop-rock et un de musique de danse. Que signifie ce parcours chaotique ? Etait-ce pour un besoin purement alimentaire, juste pour le fun ou simplement une opportunité de jouer en groupe, ou bien te cherchais-tu musicalement parlant ?
- Après mes études à la fac, j'ai eu ce rêve un peu fou de vouloir vivre de la musique. J'ai alors monté ma petite entreprise, qui a malheureusement connu la crise ;) A l'origine, je réalisais des illustrations sonores diverses ainsi que des enregistrements de maquettes pour des artistes amateurs. L'instabilité financière a fini par prendre le dessus et j'ai eu à faire des choix plus ou moins louables pour tenter de sauver les meubles (l'enregistrement d'un album de dance fait partie de la liste !). Concernant ma participation à des groupes de reprises pop/blues rock, c'est uniquement pour le plaisir de s'éclater en reprenant de bons vieux classiques. Farm Street et Paradoxe m'ont permis de jouer régulièrement dans les pubs de ma région et c'est une super expérience, à la fois musicale et humaine (la plupart des membres étaient des potes de longue date).

3) Qu'est-ce-qui finalement t'as amené à ce Rock-Progressif ?
- J'ai découvert le prog dans les 70's. Mon papa était technicien de mastering chez EMI et me rapportait des copies cassettes de certains albums sur lesquels il avait travaillé. Ma première claque a été "Wish you were here" de Pink Floyd que j'ai eu le privilège d'écouter 15 jours avant sa sortie officielle. Ensuite, des camarades de classe m'ont "initié" à Yes, Rush, Genesis et autres bonnes choses… puis ce fut la seconde claque avec "Images and words" de Dream Theater, et là tout a basculé ;)


4) Pourquoi avoir recours à l'auto-production ? Ne serait-il pas plus judicieux de demander l'aide d'un distributeur (Brennus, XIII bis, Harmonia Mundi..) dans le but de te faire connaître. Ou tu t’en fiches ? la musique étant avant tout un hobby et une passion pour toi ?
- Oui, la musique est avant tout une passion et je pense que business et art font rarement bon ménage. L'auto production me permet de travailler à mon rythme (pas toujours évident quand on a un métier à côté), sans pression, sans aucune concession artistique et par conséquent avec une liberté totale. Un distributeur ne m'apporterait pas grand chose car le prog est une musique anti-commerciale dans le sens où elle est depuis toujours bannie des médias. J'imagine mal un label dépenser des milliers d'euros pour promouvoir un artiste de prog, (qui plus est, le dernier des inconnus) ce serait suicidaire ! Et signer avec un distributeur juste pour venir grossir son catalogue ne présente pas grand intérêt.

5) Comment abordes-tu la composition, notamment avec ces changements de rythmes ? Des textes t'inspirent-ils la musique, ou bien est-ce le contraire ?
- Je suis très sensible aux images. Je crois que l’on pourrait d’ailleurs qualifier ma musique de «picturale». J’ai presque toujours besoin d’un support visuel comme point de départ. Cela peut être un documentaire vu à la TV, une photo ou un film qui va générer des images dans ma tête. Cela m’oriente alors vers une ambiance particulière que j’essaye de retranscrire et m’inspire par la suite le texte (j’écris généralement les paroles en dernier).

Je pars généralement d’un petit bout de rythmique ou d’un gimmick. Avant d’aller travailler le matin, j’aime prendre ma guitare et chercher de nouvelles idées. C’est souvent un moment propice à l’inspiration. Je note systématiquement tout ce qui me semble être intéressant. J’essaye ensuite d’assembler tous ces petits bouts entre eux, un peu à la façon d’un puzzle pour en faire un titre complet. Puis vient la phase d’écriture préliminaire (je travaille à l’ancienne, avec du papier musique, un crayon et une gomme) où j’essaye de construire l’ossature principale de la guitare rythmique. A partir de cette base, j’entame l’étape des programmations (batterie, basse). S’ensuivent l’écriture et l’enregistrement des parties de claviers, puis les guitares, pour terminer enfin avec le chant. Mes titres peuvent sembler complexe mais ce n'est pas le but recherché, c'est ma façon naturelle de composer et je laisse aller mon imagination sans jamais "m'auto censurer". Les mesures impaires et autres cassures rythmiques viennent naturellement et me sont très certainement inspirées par la musique que j'écoute régulièrement ;)
un artiste doté d'un humour certain...

6) Au sujet de textes, tu sembles porter un regard assez sombre sur la société actuelle, non?
- Mes thèmes de prédilection ne sont généralement pas très joyeux et souvent emprunts d’un certain cynisme.
Je ne suis pas quelqu'un d'optimiste à la base et je trouve qu'il est plus facile d'écrire sur des sujets graves que sur des choses légères…

7) Avec « Ring down the Curtain », tu as réalisé sept disques. Le dernier est disponible via ton site, mais qu'en est-il des précédents ?
- Mes précédents albums sont également disponibles en téléchargement gratuit sur mon site  sliding-rocks.com
"Ring down the curtain" est le premier à faire l'objet d'un pressage et à être vendu en ligne. Ce n'était pas prévu à la base car la commercialisation n'est pas mon but, mais j'ai des amis qui me poussent parfois au "crime" avec insistance et persuasion (je suis sur que l'un d'entres eux se reconnaitra ! Ha ha…) ;)
Néanmoins, cet album est téléchargeable gratuitement (au format MP3). Et ceux qui veulent l'acheter pour avoir un meilleur son et profiter de l'objet peuvent le faire…

8) La guitare est bien présente, mais tu laisses une large place aux claviers. Tu joues du piano, des synthés et de l'orgue ou d'un simulateur ? Tu sembles les réserver pour des rôles bien définis. Le premier apporte généralement une mélodie ou l'enrichit, les seconds sont plus pour installer une ambiance, une atmosphère, et les derniers sont utilisés pour prendre quelques bons soli. Qu'en penses-tu ?
- La guitare est omniprésente car je compose généralement à partir de cet instrument. Pour les claviers, je les joue sur un clavier maître en utilisant des plugins VST sous Cubase pour simuler les instruments originaux. Je n'ai malheureusement pas les moyens d'avoir toutes ces merveilleuses machines comme le Mini Moog, le Hammond B3 ou le Mellotron à la maison. La technologie fait des merveilles, même si les sensations de jeu ne sont pas les mêmes. Les claviers ont avant tout un rôle mélodique en complément des guitares et doublent souvent des solos ou des parties lead (harmonisées ou à l'unisson). Et bien entendu, rien de mieux pour créer des textures bien larges et des ambiances planantes…


9) As-tu en prévision de promouvoir ton disque en faisant des concerts ? Si oui, est-ce qu'une tournée est en préparation ? Et comment parviens-tu à conjuguer travail et musique ?
- Je joue depuis quelques temps avec Forgotten Paradise, un groupe avec lequel nous tentons de reprendre mes compos. Nous avons pour le moment un seul concert à notre actif mais j'espère bien qu'il y en aura d'autres. C'est effectivement un excellent moyen (si ce n'est le meilleur) de promouvoir mon dernier album.
Concilier musique et travail (et également vie de famille) n'a rien d'évident. Même en étant passionné, il est parfois difficile après une journée (ou une semaine) de travail de trouver l'énergie pour créer. J'essaye de garder la motivation, avec plus ou moins de réussite. Cette situation engendre bien évidemment de nombreuses frustrations, mais je pense avoir trouvé un équilibre à peu près satisfaisant.

10) Quel matériel as-tu utilisé pour l'enregistrement ? A maintes reprises ça sent l'Ibanez et le Floyd-Rose ; plutôt dans le genre Satriani que Vaï.
- J'enregistre mes pistes sur PC avec Cubase SX2. Les guitares sont toutes injectées dans un POD 2.0 et ressortent dans ma carte son (E-MU 1820). Les claviers sont enregistrés en MIDI à l'aide d'un clavier maître (un synthé Korg WS) et sont ensuite affectés à divers VSTi dans Cubase. Mon matériel est assez modeste et commence à dater, mais je le connais bien et il suffit amplement à mes besoins pour le moment.
Effectivement, l'Ibanez est très présente mais je ne dédaigne pas sortir une Strat ou une Télé pour des arpèges en son clair ou une rythmique en drop D. Je pense d'ailleurs avoir utilisé toutes mes guitares pour l'enregistrement de "Ring down the curtain", excepté la JPX6 que je ne possédais pas encore.
La mélodie étant pour moi primordiale, notamment dans un solo de guitare, Satriani a ma préférence. Vai est un guitariste que j'adore mais il prend parfois des orientations expérimentales que j'ai du mal à appréhender.


11) A froid, peux-tu citer cinq disques à sauver de ton appartement en flamme ?
- Sans hésiter une seule seconde, la discographie de Dream Theater (il y en a plus de 5 mais ils sont rangés les uns à côtés des autres ! lol). C'est LE groupe qui a marqué un tournant dans ma vie de musicien…

12) Merci de nous avoir parlé de toi et de ta musique, souhaitons qu'elle trouve son public car elle est vraiment intéressante.
Quelque chose à ajouter ?
- C'est moi qui remercie le Déblocnot pour cet entretien. Je remercie également toutes les personnes qui me soutiennent dans mes aventures musicales, que ce soit dans mon entourage proche ou via Internet. Longue vie au prog !

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