Le requiem de Fauré, oui, mais lequel ?
Marc Chagall : Le paradis (mieux que les pierres tombales
lichenifiées)
|
Les pochettes des CD du requiem de Fauré permettent de visiter moult
pierres tombales, monuments funéraires et autres cénotaphes sinistres et
moussus. Pour une œuvre lumineuse, emplie d’espérance, c’est tarte !
D’où cette incursion du DEBLOCNOT’ dans l’art pictural, initiative prise
depuis la chronique sur La Mer de Debussy, un paradis un peu plus coloré
même si un rien naïf.
Gabriel Fauré
Gabriel Fauré
Ah, une photo de Gabriel Fauré jeune. On ne rencontre souvent que celles
d’un patriarche aux bacchantes vaillantes, regardant le ciel dans
l’attente d’une apparition divine, recherche paradoxale pour un
agnostique. On associe souvent le nom de Fauré à son Requiem, donc à la
mélancolie, ou bien à un esthète assidu des salons de la 3ème République.
Que nenni !
Gabriel Fauré est né à Pamiers dans l’Ariège en 1845. Son
père, instituteur, envoie le garçon de 9 ans, un robuste pyrénéen, à Paris
pour suivre les cours de l’institut privé et religieux Niedermeyer.
Il étudie onze ans dans cette institution qui forme des organistes et
maîtres de chœur. En 1874, il quitte la console de l'orgue de
Saint-Sulpice et devient organiste à L’église de La Madeleine, pour
suppléer Saint-Saëns qui se distingue par son absentéisme. La charge de
ses postes d’organistes et, à la fin de sa vie, de professeur et de
directeur du Conservatoire de Paris, lui laisseront peu de temps pour
composer.
Gabriel Fauré est le musicien de l’intériorité, du refus de l’effet. Son
œuvre pour orchestre est modeste au bénéfice de partitions de musique de
chambres géniales : sonates pour violons et violoncelles, quatuors et
quintettes avec piano, catalogue de pièces pour piano qui concurrence
Debussy.
Il admire Wagner, mais son style personnel restera classique et
romantique avec une prédisposition pour de très longs thèmes
élégiaques.
Personnalité sensible, Fauré connaîtra quelques chagrins amoureux qui le
plongeront dans le « spleen » cher à l’époque. Ses dernières
œuvres comme son quatuor à cordes sont gagnés par l’épure. Atteint
tardivement comme Beethoven de surdité, il s’éteint en 1924 d’une
pneumonie (il avait fumé toute sa vie comme un pompier). Il aura des
obsèques nationales.
Un seul Requiem mais trois partitions ! Pour y voir clair…
Les lecteurs qui connaissent cette œuvre écoutent généralement, et sans
le savoir forcément, la troisième mouture de l’œuvre qui n’est pas
complètement de Fauré. En fait il existe trois éditions successives que je
présente dans l’ordre où elles nous sont parvenues.
1 – Composée entre 1885 et
1887, la partition écrite par Fauré lassé des offices funèbres de
rigueur (il n’est ni croyant, ni sceptique) ne comprend alors que cinq
parties. La mort récente de ses parents n’est sans doute pas non plus
étrangère à ce projet. Les textes latins officiels sont remaniés pour
obtenir une œuvre courte et allégée. Cette édition est écrite simplement
pour soprano, chœur, harpe, timbales, un seul violon, quelques cordes
basses et l’orgue. Fauré l’étoffe au niveau du texte liturgique en
1890. Je ne connais pas d’enregistrement de ces premières
ébauches.
2 – En 1899-1900, une version plus
grandiose est orchestrée. Des violons, cors, trombones, trompettes et une
partie pour Baryton apparaissent. Elle sera la partition officielle
jusqu’en 1980 et reste encore, il faut le dire, la plus jouée. Mais on
doute que l’orchestration soit de la main de Fauré. Un élève pas toujours
adroit en serait l’auteur… Là les enregistrements sont innombrables et ont
fait la célébrité de l’ouvrage.
3 - Le
compositeur anglais John Rutter, lui-même auteur de très beaux
Requiem et Magnificat, a redécouvert en 1980 l'original de la main
de Fauré. Datée de 1893, elle comporte le texte définitif en sept
parties. Fauré est resté fidèle à l’esprit intimiste, recueilli voire
chambriste de sa première création. Il ajoute la partie de Baryton dans
l’Offertoire et le Libera me. L’orchestre conserve son
violon solo, seuls 4 cors, 2 trompettes et 3 trombones s’y ajoutent. Un
équilibre sonore très pur qui sera enregistré dès sa découverte.
Philippe Herreweghe (né en 1947) |
Place aux disques :
Surfant sur sa popularité, exceptionnelle pour une œuvre religieuse, le
Requiem a été enregistré par tous les chefs ou presque, notamment dans
l’hexagone. Face à un choix difficile, j’ai retenu la double réussite du
chef Belge Philippe Herreweghe dans deux enregistrements. En
1988, il a confié au disque l’une des premières interprétations de
l’édition de 1893, puis en 2002 celle de 1900, la
plus classique mais avec quelle maîtrise.
Philippe Herreweghe est né en 1947. A noter qu’il est
Officier des Arts et Lettres depuis 1994 (Sujet sensible au
DEBLOCNOT'). À mon sens la chose est justifiée. Il est médecin et
psychiatre de formation, mais aussi pianiste et chef d’orchestre, aussi de
formation… N. Harnoncourt et G. Leonhardt l’invitèrent lors de leur
enregistrement de l’intégrale des cantates de Bach. Baroqueux non
dogmatique, il privilégie l’émotion dans ses interprétations. En
1970, il crée le Collegium Vocale Gent, puis en
1977 l’ensemble la chapelle Royale, et enfin en 1991,
l’Orchestre des champs Élysées !
Avec ses différents ensembles, il restitue depuis 40 ans les couleurs
authentiques du répertoire baroque, classique et romantique, avec un souci
de musicalité exemplaire. Ses musiciens jouent sur instruments
d’époque.
Je ne vais pas analyser partie par partie cette œuvre bien connue. Si ce
n’est pas encore le cas, n’hésitez pas à l’acquérir. Son humanité, la
simplicité du discours et son climat clair-obscur en font un chef-d’œuvre
tout public, un grand moment de sérénité.
L'artiste belge nous propose une interprétation aérienne et lumineuse.
Exploitant totalement la légèreté de cette orchestration restreinte, la
musique prend son envol par un phrasé d'une grande souplesse. Le solo de
violon du sanctus est sublime. L'orgue prend sa place entière comme
instrument de l'orchestre et non comme fond sonore. Le chœur articule sans
emphase. Un requiem de méditation, on pourrait dire un vitrail musical.
Les cuivres et les timbales sonnent avec franchise puisqu’ils ne sont
jamais couverts par des violons. Ils apportent ainsi une petite note de
dramatisme (trombones) mais qui ne rime jamais avec morbide. Fauré était
un magicien de la spiritualité.
Agnès Mellon et
Peter Kooy, complices de Herreweghe dans les enregistrements baroques de Bach entre
autres, respectent parfaitement la diction « peu lyrique » souhaitée par
le compositeur.
Un enregistrement unique et indispensable de cette version de
1893. De plus le CD se prolonge par une messe brève rarement jouée,
une découverte. Philippe Herreweghe dirige ici
La Chapelle Royale et
l’Ensemble Musique Oblique.
L’enregistrement de 2002 de la version de 1900
Dans l’Introït et le Kyrie, la ligne de chant est très
pure, quasi grégorienne, et respecte ainsi le souhait de Fauré en
matière de prononciation du latin, religieuse et sans effet de scène
lyrique. Philippe Herreweghe convainc en
insufflant une respiration et une supplication très cadencé du chœur
(Kyrie) où voix masculines et féminines ne s’amalgament pas.
L’orgue est comme en 1988 un élément orchestral essentiel mais
jamais envahissant. Dans le Sanctus, les violons ne font qu’un et
s’échappent ainsi dans un chant idéalement éthéré et en complicité avec
les notes agrestes de la harpe.
Stéphane Genz interprète avec humilité un
Offertoire où l’instrumentation chambriste se pare d’une lumière
cristalline. L’onde musicale procède d’un équilibre idéal dans ce Requiem
de sérénité. En déplaçant le Dies Irae à la fin (intégré au
Libera me), Fauré rejetait l’aspect terrifiant du Requiem Classique
(Mozart, Berlioz, Verdi). En concluant sur le passage In
Paradisum, Fauré n’envisage pas un autre chemin vers
l’au-delà.
Johannette Zomer chante tel que l’on doit le faire
le célèbre Pie Jesu, aucune vocalise hors de propos, voix limpide
presque enfantine.
Plutôt Rapide l’Agnus Dei ne souffre jamais d’ostentation ou de
véhémence dans le crescendo. Bon, enfin bref, une réussite
totale !
À noter que ce disque a été enregistré à « L’Arsenal de Metz ». Le trait aéré du son
réjouira les audiophiles. Cette salle propose une acoustique vraiment
extraordinaire. Par ailleurs ce disque est complété par une excellente
interprétation de la symphonie de César Franck.
Discographie alternative
Avec ces deux disques on touche assurément à la perfection et pour
longtemps. Cela dit, il serait injuste de rejeter quelques versions qui
ont tracé au fil de l’histoire du disque la route de cette œuvre devenue
si populaire.
1 – André Cluytens signa en 1963 chez EMI une version d’une grande
ferveur, un peu sulpicienne, avec Victoria de Los Angeles et
Detrich Fischer-Dieskau.
2 – Classique mais fabuleusement équilibré,
Louis Frémaux enregistra le Requiem à Birmingham en 1978, à
connaître (EMI)
3 – Enfin, la version de Carlo Maria Giulini avec
Kathleen Battle et Andreas Schmidt en 1986 est restée une
quasi référence jusqu’en 2002 par sa grandeur retenue (édition 3).
Vidéos
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire