dimanche 10 juillet 2011

DEBUSSY : LA MER et Michael Tilson Thomas par Claude Toon

La mer : 3 esquisses symphoniques avant de partir vers les plages…
La vague de Hokusai, couverture de la partition
Achille-Claude Debussy 
Achille-Claude (dit Claude) Debussy naît à Saint-Germain-en-Laye en 1862. Ses parents Manuel-Achille et Victorine font commerce de céramiques et de poteries. L’entreprise n’étant guère florissante, la famille Debussy déménage vers et dans Paris au gré des petits boulots du chef de famille. En 1870, la guerre contre les prussiens éclate. La famille fuit à Cannes sauf le père qui rejoint la commune et en paiera les conséquences dans les geôles de Mac Mahon. C’est à Cannes que le petit Claude (pas moi, le compositeur) se passionne pour la musique.
Dans les prisons communardes, le père évoque les dons de son fils à un compagnon d’infortune, musicien à ses heures, Charles de Sivry. Il lui conseille de confier le gamin à une pianiste de renom, Madame Mauté. La fille de la pianiste, Mathilde, est l’épouse de Paul Verlaine. Ils sont voisins des Debussy revenus à Paris. Le gamin se révèle doué, et cette fréquentation du monde artistique de la 3ème république naissante le propulse vite vers le conservatoire de Paris. Nous sommes en 1872, l’enfant est admis à 10 ans !
L’élève Debussy est une forte tête, sèche parfois les cours, mais à 14 ans c’est un virtuose qui se produit déjà comme accompagnateur. Il fréquente tous les poètes et artistes de Paris pendant ses années d’apprentissage et commence à composer. Sa vie sera un incroyable roman qui dépasse le cadre de cette chronique. En 1884, il est premier prix de Rome haut la main.
Côté cœur ce n’est pas simple. Claude Debussy noue une relation en 1890 avec Gabrielle Dupont. En 1899, il s’en sépare pour épouser alors Rosalie (Lilly) Texier, une couturière de Bichain, une bourgade du fin fond de l'Yonne. Vers 1903, il rencontre Emma Bardac, épouse d'un banquier, une ex de Gabriel Fauré. Une nouvelle conquête qui désespère Rosalie. Elle se tire une balle dans la poitrine, mais survit. Le drame fait désordre et scandale, même auprès des amis. Malgré tout, il divorcera pour épouser Emma en 1908. Et après ça, on dira qu’il n’y a pas de « people » chez les compositeurs « Classique » !…
En 1910 on lui diagnostique un cancer. Malgré ses souffrances insupportables, il composera jusqu’en 1918. Il s’éteint le 25 mars



Debussy : Post-Romantique, moderniste, symboliste ou impressionniste ?
Le romantisme bat de l’aile en cette fin du XIXème siècle. Debussy veut tourner le dos à l’académisme musical français du Second Empire qui s’éternise, celui des Meyerbeer, Aubert, Halévy dont les bustes professent leur médiocrité sur la façade de l’Opéra Garnier, coincés entre Beethoven et Mozart ! Le petit Claude (Toon) devient-il méchant ? Quelques pages et opéras dépassent le stade de daubes grâce à Gounod et surtout Bizet. Mais depuis Berlioz et malgré le génie de Fauré, la musique française somnole.
Debussy réfute les formes classiques. Comment dire ? Il écrira un quatuor et trois sonates, mais ni concerto, ni symphonies, etc. Il exclut rapidement la forme sonate, thème À, B, développement et ainsi de suite. Il va s’orienter vers la « non forme ». Il est très difficile de décrire le mode de composition qui lui est propre, dans le sens où il donne un coup de pied dans la fourmilière. Il crée son univers sonore : une musique peu descriptive, plutôt évocatrice, une peinture des sentiments, des ambiances et des impressions… Pourtant on rejette le principe d’une musique totalement influencée par le mouvement impressionniste. Il cherchera à traduire les lumières certes, mais aussi les mouvements, les rêves intérieurs, les senteurs comme dans Ibéria.
Debussy sera également audacieux dans ses entorses à la tonalité en recourant souvent à la gamme hexatonique  par tons.
Claude Monet mer agitée 1884
Vocalises et thématiques musicales s’effacent dans son Opéra Pelléas et Mélisande. On découvre un chant « parlé », la musique se mettant au service des perceptions de l’aura obscure qui entoure les personnages : lieux sombres, brumes, amours maudits, vengeance, angoisse, mystère.
Beaucoup de mélomanes ressentent des difficultés à intégrer son univers par l’absence de repères musicaux (thèmes et motifs) bien marqués. Pour aimer Debussy, il faut se laisser porter par le flux poétique, par les leitmotive subliminaux. A noter d’ailleurs que génial, novateur et inventif Debussy doit attendre jusqu’en 1890 la reconnaissance. C’est le premier compositeur moderne français.
Son Œuvre : une littérature pianistique sans défaut (Préludes, Estampes, Études), des mélodies, de la musique de chambre et des pièces symphoniques relativement célèbres comme Prélude à l’après midi d’un faune (un cours ballet qui fit scandale lors de la saison des ballets Russe en 1908), et bien entendu, La Mer.
LA MER (1905)
Debussy aime la peinture de Turner, Monet et Hokusai, tous les trois présents sur cette page. Le compositeur a la passion des objets d’Extrême-Orient. Il s’inspirera pour l’Image pour piano « Poissons d’Or » des dessins dorés d’un vase laqué. L’estampe « La Vague de Hokusai » décore son cabinet de travail. Elle sera choisie pour illustrer la couverture de la partition de « La Mer ».
Comment mieux illustrer mes propos sur les conceptions symboliques de Debussy qu’en donnant le programme des trois pièces qui composent l’œuvre : lumières (aube), mouvements (Jeux de vagues), climat sonore (Dialogue du vent et de la mer) ? Chacun fera son analyse intérieure à l’écoute…
Camille Chevillard massacre la création de cette musique nouvelle le 15 octobre 1905 à Paris. Elle s’en est remise, et reste une des œuvres symphoniques les plus jouées dans le monde.
Michael Tilson Thomas
PLACE AU DISQUE…
Inutile de préciser que sélectionner un enregistrement de référence pour La Mer est quasiment impossible. Tous les grands chefs, français notamment, ont bien servi l’œuvre au disque, Pierre Boulez avec le Philharmonia (1968) ou Cleveland (1995), Pierre Monteux et Charles Munch plusieurs fois, et j’avoue mon plaisir d’écouter Jean-Claude Casadesus à Lille en 1994. Toscanini, Karajan ont apporté leur contribution à la discographie, ainsi que Celibidache  dans une étonnante et méditative interprétation à Munich.
J’ai retenu une seule version, éblouissante de couleurs et d’inspiration, et dotée d’une gravure somptueuse. Car il faut bien le dire les contrastes sonores de la musique de Debussy sont la terreur des ingénieurs du son.
Michael Tilson Thomas dirige le Philarmonia Orchestra
Michael Tilson Thomas (M.T.T.) est de ses éternels jeunes hommes sur lequel le temps ne semble pas avoir de prise. Á 66 ans, toujours affable et souriant, il dirige depuis 1995 l’Orchestre de San Francisco, l’un des meilleurs orchestres américains et du monde. Il fut chef principal du Symphonique de Londres de 1987 à 1995.
Son répertoire, très étendu, nous a offert une intégrale Mahler exemplaire et de nombreux et excellents albums de musique américaine (Aaron Copland, Charles Ives)
Ouvertement gay, il a pris part à tous les combats contre l’intolérance envers la communauté homosexuelle. Pressenti à une époque pour diriger une autre grande phalange de la côte est, l’Orchestre de Philadelphie, certaines âmes bien pensantes déclarèrent cela inconcevable, (no comment, décidément Philadelphia…). Il a créé à Miami un orchestre de jeunes musiciens prometteurs. En 2009, il a imaginé le YouTube SymphonyOrchestra pour permettre de visionner des vidéos de concerts et de répétitions pédagogiques sur le net.
Quant au CD, désolé Vincent, la pochette atteint le sommet de la laideur banale, et je ne parle pas du slogan « d’une puissance d’évocation rarement atteinte » qui baigne dans l’eau et fait vraiment plouf, quelle platitude en ces temps de bac français… !!
1. De l'aube à midi sur la mer - Très lent : Nous sommes accueillis par un ténu mais perceptible roulement de timbales (quasi inaudible sur la plupart des autres enregistrements, même sur du matos audiophile). Non, pas un roulement, un frémissement de l’air, [0’5] quelques notes de harpe, soutenues par les cordes, font scintiller le déferlement et l’écume des vagues. [0’26] Au son du cor anglais, de la clarinette, et de la trompette pianissimo, la brume laisse percer un premier rai vermeil de soleil.
Michael Tilson Thomas équilibre avec élégance le concours de chaque instrument. Debussy n’orchestre pas systématiquement un motif, pour un ou plusieurs instruments dédiés. Souvent le choix de tel ou tel timbre instrumental ou leur combinaison va guider et construire la phrase musicale, une mélodie originelle. Voici encore une des caractéristiques du style debussyste. M.T.T. sert merveilleusement cette conception. On entend absolument tout de cette dentelles de sonorités les plus diverses. Clarté et résolution se combinent pour faire jaillir lumière et effluves. Dans une récente chronique sur la symphonie du « Nouveau Monde », je notais que le premier thème du Largo [0’42] est inversement totalement confié au seul cor anglais. Debussy recourt souvent à plusieurs instruments successivement et/ou ensembles pour structurer un thème, quoique...
[1’18] Un dialogue bois et vents s’élance pour redescendre dans un fluide arpège des cordes [1’35], le dialogue s’établit entre des visions, des couleurs. Il est impossible de décrire ce morceau contrairement aux œuvres habituellement chroniquées. On aboutit à un ennuyeux et vain commentaire lors d’une analyse mesure par mesure. Seule l’écoute a un sens. M.T.T. se joue des difficultés et joue avec les couleurs sans cesse renouvelées de la partition.
2. Jeux de vagues – Allegro : Un bref motif se répète, un trait langoureux des violons et bois dont les timbres « se noient » dans le murmure d’une cymbale à peine effleurée. Les vagues viennent s’assoupir sur le sable et les galets. [0’50] Tout le morceau prend la forme d’une danse concertante fluide et endiablée. Les instruments caracolent, se poursuivent dans un jeu de cache-cache symphonique. [2’12] Le cours solo de violon s’immisce aussi rapidement qu’une mouette craintive. [4’40] Le ballet s’accélère, joyeux ; staccato de l’harmonie dans les arpèges scintillants des harpes. [5’52] Hautbois, harpe, cordes et cymbale frôlées calment le jeu à travers des sonorités lascives qui terminent tout en légèreté cette partie centrale.
3. Dialogue du vent et de la mer - Animé et tumultueux : Des traits violents de contrebasses, et un crescendo orchestral où prédominent les cuivres, introduisent le final, l’assaut des vagues résistant au vent de l’étal. [0’46] la trompette énonce un premier thème venteux et cinglant (eh oui, un solo, Debussy était tout, sauf dogmatique), l’orchestre ondule dans un kaléidoscope de sonorités cuivrées. [1’24] Un second thème, martial, est confié au hautbois. Dans tout l’orchestre, les lignes mélodiques s’opposent dans cet affrontement de l’eau et de l’air. [3’19] Un troisième sujet chanté paisiblement par le cor va introduire un développement frénétique dans lequel on distingue des citations des pièces précédentes. [4’30] Harpe, flûte et cordes chaloupées vont tempérer ces ardeurs dans une longue coda d’une luxuriance instrumentale qui échappe à toute description. Tous les thèmes et motifs antérieurs s’entrecroisent dans une danse fusionnelle et exaltée. [7’01] La conclusion se déploie dans un paroxysme symphonique où triomphent les percussions utilisées en écho de l’introduction aux contrebasses…. Bravo à Michael Tilson Thomas qui signe peut-être la référence discographique du numérique.
Vous devez penser que ces lignes fleurent bon les métaphores surgies de ma psyché. En effet, la magie se traduit toujours difficilement en mots, surtout en musique. Maggy, qui n’est pourtant pas une inconditionnelle de Debussy, me glisse cette expression judicieuse, notamment pour la troisième partie, « une musique qui se fait bruitage poétique ».
Le CD est complété par les trois nocturnes : Nuages, Fête et Sirènes d’une qualité d’exécution parfaite.


Vidéo


1 commentaire:

  1. Ce blog est une mine d'or, et ses rédacteurs des prospecteurs.
    Si, si, des prospecteurs, même ces sauvageons dissonants, ceux qui se nasquent au chouchen (damned, que c'est bon !), à l'eau de Cologne et brocardent à longueur de temps ce pèlerin des belles notes qu'est Claude Toon.
    Hop !

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