La mer : 3 esquisses symphoniques avant de partir vers les
plages…
La vague de Hokusai, couverture de la partition |
Achille-Claude Debussy
Achille-Claude (dit Claude) Debussy naît à Saint-Germain-en-Laye en
1862. Ses parents Manuel-Achille et Victorine font commerce de
céramiques et de poteries. L’entreprise n’étant guère florissante, la
famille Debussy déménage vers et dans Paris au gré des petits boulots du
chef de famille. En 1870, la guerre contre les prussiens éclate. La
famille fuit à Cannes sauf le père qui rejoint la commune et en
paiera les conséquences dans les geôles de Mac Mahon. C’est à Cannes que le
petit Claude (pas moi, le compositeur) se passionne pour la musique.
Dans les prisons communardes, le père évoque les dons de son fils à un
compagnon d’infortune, musicien à ses heures, Charles de Sivry. Il
lui conseille de confier le gamin à une pianiste de renom,
Madame Mauté. La fille de la pianiste, Mathilde, est l’épouse de
Paul Verlaine. Ils sont voisins des Debussy revenus à Paris.
Le gamin se révèle doué, et cette fréquentation du monde artistique de la
3ème république naissante le propulse vite vers le conservatoire
de Paris. Nous sommes en 1872, l’enfant est admis à 10
ans !
L’élève Debussy est une forte tête, sèche parfois les cours, mais à
14 ans c’est un virtuose qui se produit déjà comme accompagnateur. Il
fréquente tous les poètes et artistes de Paris pendant ses années
d’apprentissage et commence à composer. Sa vie sera un incroyable roman qui
dépasse le cadre de cette chronique. En 1884, il est premier prix de
Rome haut la main.
Côté cœur ce n’est pas simple. Claude Debussy noue une relation en
1890 avec Gabrielle Dupont. En 1899, il s’en sépare
pour épouser alors Rosalie (Lilly) Texier, une couturière de
Bichain, une bourgade du fin fond de l'Yonne. Vers 1903, il
rencontre Emma Bardac, épouse d'un banquier, une ex de
Gabriel Fauré. Une nouvelle conquête qui désespère
Rosalie. Elle se tire une balle dans la poitrine, mais survit. Le
drame fait désordre et scandale, même auprès des amis. Malgré tout, il
divorcera pour épouser Emma en 1908. Et après ça, on dira qu’il n’y a
pas de « people » chez les compositeurs
« Classique » !…
En 1910 on lui diagnostique un cancer. Malgré ses souffrances
insupportables, il composera jusqu’en 1918. Il s’éteint le
25 mars
Debussy : Post-Romantique, moderniste, symboliste ou
impressionniste ?
Le romantisme bat de l’aile en cette fin du XIXème siècle.
Debussy veut tourner le dos à l’académisme musical français du Second
Empire qui s’éternise, celui des Meyerbeer, Aubert,
Halévy dont les bustes professent leur médiocrité sur la façade de
l’Opéra Garnier, coincés entre Beethoven et
Mozart ! Le petit Claude (Toon) devient-il méchant ?
Quelques pages et opéras dépassent le stade de daubes grâce à
Gounod et surtout Bizet. Mais depuis Berlioz et malgré
le génie de Fauré, la musique française somnole.
Debussy réfute les formes classiques. Comment dire ? Il écrira un
quatuor et trois sonates, mais ni concerto, ni symphonies, etc. Il exclut
rapidement la forme sonate, thème À, B, développement et ainsi de suite. Il
va s’orienter vers la « non forme ». Il est très difficile de
décrire le mode de composition qui lui est propre, dans le sens où il donne
un coup de pied dans la fourmilière. Il crée son univers sonore : une
musique peu descriptive, plutôt évocatrice, une peinture des sentiments, des
ambiances et des impressions… Pourtant on rejette le principe d’une musique
totalement influencée par le mouvement
impressionniste. Il cherchera à traduire les lumières certes, mais aussi les mouvements,
les rêves intérieurs, les senteurs comme dans
Ibéria.
Debussy sera également audacieux dans ses entorses à la tonalité en
recourant souvent à la gamme hexatonique
par tons.
Claude Monet mer agitée 1884 |
Vocalises et thématiques musicales s’effacent dans son Opéra
Pelléas et Mélisande. On découvre un chant « parlé », la musique se mettant au
service des perceptions de l’aura obscure qui entoure les personnages :
lieux sombres, brumes, amours maudits, vengeance, angoisse, mystère.
Beaucoup de mélomanes ressentent des difficultés à intégrer son univers par
l’absence de repères musicaux (thèmes et motifs) bien marqués. Pour aimer
Debussy,
il faut se laisser porter par le flux poétique, par les leitmotive subliminaux. A noter d’ailleurs que génial, novateur
et inventif Debussy doit attendre jusqu’en
1890 la reconnaissance. C’est le
premier compositeur moderne français.
Son Œuvre : une littérature pianistique sans défaut (Préludes, Estampes, Études), des mélodies, de la musique de chambre et des pièces symphoniques
relativement célèbres comme
Prélude à l’après midi d’un faune
(un cours ballet qui fit scandale lors de la saison des ballets Russe en
1908), et bien entendu,
La Mer.
LA MER (1905)
Debussy aime la peinture de Turner, Monet et Hokusai,
tous les trois présents sur cette page. Le compositeur a la passion des
objets d’Extrême-Orient. Il s’inspirera pour l’Image
pour piano « Poissons d’Or »
des dessins dorés d’un vase laqué. L’estampe « La Vague de Hokusai » décore son cabinet de travail. Elle sera choisie pour illustrer la
couverture de la partition de « La Mer ».
Comment mieux illustrer mes propos sur les conceptions symboliques de
Debussy qu’en donnant le programme des trois pièces qui composent
l’œuvre : lumières (aube), mouvements (Jeux de vagues), climat sonore (Dialogue du vent et de la mer) ? Chacun fera son analyse intérieure à l’écoute…
Camille Chevillard massacre la création de cette musique nouvelle le
15 octobre 1905 à Paris. Elle s’en est remise, et reste une des
œuvres symphoniques les plus jouées dans le monde.
Michael Tilson Thomas |
PLACE AU DISQUE…
Inutile de préciser que sélectionner un enregistrement de référence pour
La Mer est quasiment impossible.
Tous les grands chefs, français notamment, ont bien servi l’œuvre au disque,
Pierre Boulez avec le Philharmonia (1968) ou
Cleveland (1995), Pierre Monteux et
Charles Munch plusieurs fois, et j’avoue mon plaisir d’écouter
Jean-Claude Casadesus à Lille en 1994. Toscanini,
Karajan ont apporté leur contribution à la discographie, ainsi que
Celibidache dans une étonnante et
méditative interprétation à Munich.
J’ai retenu une seule version, éblouissante de couleurs et d’inspiration,
et dotée d’une gravure somptueuse. Car il faut bien le dire les contrastes
sonores de la musique de Debussy sont la terreur des ingénieurs du
son.
Michael Tilson Thomas dirige le Philarmonia Orchestra
Michael Tilson Thomas (M.T.T.)
est de ses éternels jeunes hommes sur lequel le temps ne semble pas avoir de
prise. Á 66 ans, toujours affable et souriant, il dirige depuis 1995
l’Orchestre de San Francisco, l’un des meilleurs orchestres américains et du monde. Il fut chef
principal du Symphonique de Londres de 1987 à
1995.
Son répertoire, très étendu, nous a offert une intégrale
Mahler exemplaire et de nombreux et excellents albums de musique
américaine (Aaron Copland, Charles Ives)
Ouvertement gay, il a pris part à tous les combats contre l’intolérance
envers la communauté homosexuelle. Pressenti à une époque pour diriger une
autre grande phalange de la côte est, l’Orchestre de Philadelphie,
certaines âmes bien pensantes déclarèrent cela inconcevable, (no comment,
décidément Philadelphia…). Il a créé à
Miami un orchestre de jeunes
musiciens prometteurs. En 2009, il a imaginé le
YouTube SymphonyOrchestra pour permettre de visionner des vidéos de concerts et de
répétitions pédagogiques sur le net.
Quant au CD, désolé Vincent, la
pochette atteint le sommet de la laideur banale, et je ne parle pas du
slogan «
d’une puissance d’évocation rarement atteinte » qui baigne dans l’eau et fait vraiment plouf, quelle platitude en
ces temps de bac français… !!
1. De l'aube à midi sur la mer - Très lent :
Nous sommes accueillis par un ténu mais perceptible roulement de
timbales (quasi inaudible sur la plupart des autres enregistrements,
même sur du matos audiophile). Non, pas un roulement, un frémissement de
l’air, [0’5] quelques notes de harpe, soutenues par les cordes, font
scintiller le déferlement et l’écume des vagues. [0’26] Au son du cor
anglais, de la clarinette, et de la trompette pianissimo, la brume
laisse percer un premier rai vermeil de soleil.
Michael Tilson Thomas équilibre avec élégance le concours de chaque
instrument. Debussy n’orchestre pas systématiquement un motif, pour un ou
plusieurs instruments dédiés. Souvent le choix de tel ou tel timbre
instrumental ou leur combinaison va guider et construire la phrase musicale,
une mélodie originelle. Voici encore une des caractéristiques du style
debussyste. M.T.T. sert merveilleusement cette conception. On entend
absolument tout de cette dentelles de sonorités les plus diverses. Clarté et
résolution se combinent pour faire jaillir lumière et effluves.
Dans une récente chronique sur la symphonie du « Nouveau
Monde », je notais que le premier thème du Largo [0’42] est
inversement totalement confié au seul cor anglais. Debussy recourt
souvent à plusieurs instruments successivement et/ou ensembles pour
structurer un thème, quoique...
[1’18] Un dialogue bois et vents s’élance pour redescendre dans un fluide
arpège des cordes [1’35], le dialogue s’établit entre des visions, des
couleurs. Il est impossible de décrire ce morceau contrairement aux œuvres
habituellement chroniquées. On aboutit à un ennuyeux et vain commentaire
lors d’une analyse mesure par mesure. Seule l’écoute a un sens.
M.T.T. se joue des difficultés et joue avec les couleurs sans cesse
renouvelées de la partition.
2. Jeux de vagues – Allegro :
Un bref motif se répète, un trait langoureux des violons et bois dont les
timbres « se noient » dans le murmure d’une cymbale à peine
effleurée. Les vagues viennent s’assoupir sur le sable et les galets. [0’50]
Tout le morceau prend la forme d’une danse concertante fluide et endiablée.
Les instruments caracolent, se poursuivent dans un jeu de cache-cache
symphonique. [2’12] Le cours solo de violon s’immisce aussi rapidement
qu’une mouette craintive. [4’40] Le ballet s’accélère, joyeux ;
staccato de l’harmonie dans les arpèges scintillants des harpes. [5’52]
Hautbois, harpe, cordes et cymbale frôlées calment le jeu à travers des
sonorités lascives qui terminent tout en légèreté cette partie
centrale.
3. Dialogue du vent et de la mer - Animé et tumultueux :
Des traits violents de contrebasses, et un crescendo orchestral où
prédominent les cuivres, introduisent le final, l’assaut des vagues
résistant au vent de l’étal. [0’46] la trompette énonce un premier thème
venteux et cinglant (eh oui, un solo, Debussy était tout, sauf dogmatique),
l’orchestre ondule dans un kaléidoscope de sonorités cuivrées. [1’24] Un
second thème, martial, est confié au hautbois. Dans tout l’orchestre, les
lignes mélodiques s’opposent dans cet affrontement de l’eau et de l’air.
[3’19] Un troisième sujet chanté paisiblement par le cor va introduire un
développement frénétique dans lequel on distingue des citations des pièces
précédentes. [4’30] Harpe, flûte et cordes chaloupées vont tempérer ces
ardeurs dans une longue coda d’une luxuriance instrumentale qui échappe à
toute description. Tous les thèmes et motifs antérieurs s’entrecroisent dans
une danse fusionnelle et exaltée. [7’01] La conclusion se déploie dans un
paroxysme symphonique où triomphent les percussions utilisées en écho de
l’introduction aux contrebasses…. Bravo à Michael Tilson Thomas qui
signe peut-être la référence discographique du numérique.
Vous devez penser que ces lignes fleurent bon les métaphores surgies de ma
psyché. En effet, la magie se traduit toujours difficilement en mots,
surtout en musique. Maggy, qui n’est pourtant pas une inconditionnelle de
Debussy, me glisse cette expression judicieuse, notamment pour la troisième
partie, « une musique qui se fait bruitage poétique ».
Le CD est complété par les
trois nocturnes : Nuages, Fête et
Sirènes d’une qualité
d’exécution parfaite.
Vidéo
Ce blog est une mine d'or, et ses rédacteurs des prospecteurs.
RépondreSupprimerSi, si, des prospecteurs, même ces sauvageons dissonants, ceux qui se nasquent au chouchen (damned, que c'est bon !), à l'eau de Cologne et brocardent à longueur de temps ce pèlerin des belles notes qu'est Claude Toon.
Hop !