vendredi 10 juin 2011

THE TREE OF LIFE de Terrence Malick, par Luc B.


Préambule :
En allant voir THE TREE OF LIFE, je savais dans quel univers je rentrais, et auquel je suis généralement sensible, au cinéma. Ce qu’on appellera rapidement "cinéma contemplatif", souvent qualifié de "cinéma chiant" par les non-receptifs ! Bref, j’étais dans mon élément… Ceci pour dire, qu’il vaut mieux être bien disposé pour recevoir ce film de 2h20, dont les codes de narrations ne sont pas ceux du cinéma hollywoodien traditionnel.

Est-ce vraiment lui ?!
Terrence Malick a été érigé au rang de cinéaste mythique. Il l’est encore plus depuis la disparition de Stanley Kubrick, les deux hommes ayant plusieurs points communs : un maniérisme formel identifiable, une récurrence dans les thèmes abordés, un contrôle total de l’œuvre, des années de préparation pour chaque film, un culte du secret quasi paranoïaque entourant chaque réalisation, et une absence de communication. Dans le cas de Malick, cela va même beaucoup plus loin, puisque le réalisateur n’accepte même pas d’être photographié, alors que Kubrick daignait répondre à des entretiens (par écrits) et qu’il existe des documents de lui au travail. Le parallèle entre les deux metteurs en scène n’est pas anodin, surtout à propos de ce film-là, qui reprend une métaphysique déjà vue dans 2001 : L’ODYSEE DE L’ESPACE.

Terrence Malick, né en 1943, n’aura tourné que 5 films en quarante ans. Pourquoi si peu ? Parce que Malick ne s’est pas fixé comme but ultime dans sa vie, de faire du cinéma. Intellectuel, agrégé de philo, journaliste, il croise le 7ème art par hasard lorsqu'on lui demande de contribuer à l'écriture de scénario. L'homme a d’autres priorités. Il travaille hors du système, à son rythme, à son goût. A son actif : LA BALLADE SAUVAGE (1973), LES MOISSONS DU CIEL (1978), LA LIGNE ROUGE (1998), LE NOUVEAU MONDE (2005) et TREE OF LIFE (2011). Le point commun de ces 5 films : la beauté foudroyante des images, peu de dialogue, l’omniprésence de la nature. Si je devais qualifier THE TREE OF LIFE, je dirais que c’est un film minéral. 

Nous sommes au Texas, dans les années 50, dans la famille O’Brien. Le père (Brad Pitt) n’a pas su réaliser son rêve, être musicien. Il est croyant, strict, sévère, attend de ses enfants la perfection absolue en toutes circonstances, notamment de son ainé, Jack, qui vit mal la naissance de ses deux jeunes frères. La mère (Jessica Chastain) est une épouse modèle, silencieuse, aimante, consciente que la discipline instaurée à la maison pèse sur ses trois fils. On apprend qu’un des fils O’Brien est mort. La famille est plongée dans le chagrin, la douleur, le questionnement. Pourquoi mon fils ? Pourquoi l’avoir repris ? Quel sens faut-il donner à cette mort ? Commence alors un long retour en arrière, depuis le Big Bang (eh oui, le flash-back absolu !) pour essayer de cerner le sens que l’Homme peut donner à son existence… Vaste sujet !

Avec Terrence Malick, ce n’est pas tellement ce qu’on raconte qui importe, mais comment on le raconte. Sur le fond du sujet, Malick propose une philosophie religieuse, une présence divine, à l’origine de la vie, comme au-delà de la mort. On adhère, ou pas. Et on ne peut pas dire que Malick y aille sur la pointe des pieds. Le message est clair, notamment dans la scène finale, qui ne manquera pas de faire naître les commentaires. Voici le mien, pour s’en débarrasser vite fait : raté ! Voire ridicule. C’est de l’imagerie, on se croirait dans une pub pour les parfums Kenzo (ou une autre marque…). Pour le coup, sa représentation du Ciel passe par des images très terre à terre. Et rabâchées. Kubrick dans 2OO1 proposait des pistes plus œcuméniques, mystérieuses, cérébrales, que chacun pouvait interpréter à sa guise. Chez Malick il n’y a qu’une interprétation possible. La comparaison entre les deux films ne peut être évitée, d’autant que Malick se sert d’une forme pour rythmer les séquences de son film (comme les apparitions du monolithe noir), une image difficilement identifiable, proche du fœtus. Or, 2OO1 se clôt sur l’image d’un fœtus. Et si on rajoute un alignement de planète d’une grande symétrie, et l’utilisation de musique classique dans leur continuité, le compte y est !

Evacuons aussi de suite, la fameuse scène des dinosaures. Elle ne me gêne pas. Ca peut surprendre, dérouter même. J’ai aimé cette longue séquence, du Big Bang à nos jours (je vous ai dit que le contemplatif, je ne suis pas contre !), avec des images de nature, magnifiques (la vague filmée du dessous, les éruptions volcaniques) mais aussi des images numériques (les nébuleuses), l’apparition de la vie, de la petite cellule au gros lézard ! On n’est pas dans JURASSIC PARK ! Malick filme quelques dinosaures, comme représentants d’une espèce disparue. Nous rappelant au passage que l’espèce humaine n’est pas non plus à l’abri… Mais peut-être pour nous dire aussi que la mort des dinosaures est due à une cause très identifiable, dénuée de tout mysticisme, au contraire de celle des hommes, et d’un enfant en particulier.

Derrière le toit... le soleil, la lumière.
Encore une fois, si le message peut paraître pompeux, la manière de faire est admirable. Chaque plan de ce film respire l’intelligence. Il ne s’agit pas d’en mettre plein la vue, avec une esthétique de pacotille, mais de trouver en chaque image, une manière de diffuser une impression, un sentiment. La nature est au centre de tout. Malick multiplie les plans extérieurs qui se terminent sur un soleil derrière des arbres. Un soleil cadré à hauteur humaine, donc un soleil bas, un soleil de fin de journée. Il n’y a aucun plan en pleine lumière. On reste toujours à deux doigts du crépuscule. Un travail sur la lumière qui distille une impression particulière. Cette même lumière que l’on caresse à travers un rideau, des voiles, du linge. Effet de transparence, de légèreté. Et l’eau. L’eau des océans, des lacs, des rivières, d’une piscine. D'un robinet, lors d'un plan de Sean Penn, quelques années plus tard. Et le vent aussi. Et les champs, l’herbe, les arbres. Godard filme magnifiquement les éléments naturels. Malick n’est pas manchot non plus ! Les premiers plans de cette gamine au milieu des vaches sont superbes, nous plongent de suite dans une ambiance sereine, nous préparent à ce qui suit. Les grands mouvements de caméra, type travelling, sont peu nombreux, et courts (pas de plans-séquences alambiqués chez Malick, mais une caméra mobile, à l'épaule ou steadycam) mais encore une fois, rien n’est laissé au hasard. Exemple, tout au début. Une gamine fait de la balançoire. Regardez bien le mouvement de caméra qui la suit. Elle marque un léger temps d’arrêt, pointe le sol, crée un décalage, infime, mais suffisant pour se dire : jamais on a filmé une fillette sur une balançoire comme ça ! Il y aura plus loin un équivalent, Jack qui marche le long d’un rocher, la caméra se lance à sa suite, mais encore ce petit décrochage sur la pierre, juste avant… Vous allez me trouver dingue, mais des trucs pareils, ça me met en transe ! Et je ne saurais même pas l’expliquer ! Comme disait Kubrick : « Beethoven ça ne s’explique pas. On trouve ça beau, ou pas » ! Autre plan d’une grande beauté, lorsque la mère apprend par courrier la mort de son fils. Une caméra frémissante la suit dans la cuisine, de trois quart arrière, on lit presque par-dessus son épaule, et soudain la caméra s’élève (épousant le regard de Dieu ?), chancelle presque, avant que la mère ne s’effondre, et le plan coupe net, nous privant du hurlement de douleur qu’il aurait été logique de filmer. Admirable. Tout en retenu. Pudique.
   

Profitons des rares moments de gaité.
Les rapports au sein de la famille ne sont pas traités sous l’aspect psychologique. C’est au bout d’un moment que l’on se rend compte que Brad Pitt ne dit jamais « je t’aime » à ses enfants. Il demande, il exige, il ordonne, mais lui ne semble jamais donner en retour. Pas même à sa femme. Il serre ses enfants dans ses bras, il les aime, c’est indéniable, mais ses enfants ne le perçoivent pas. Le père s’en excuse d’ailleurs, s’en explique. Quand il part en déplacement professionnel, c’est la fête à la maison ! C’est dire le poids de l’autorité paternelle qui pèse sur la famille. Même la mère semble apaisée, et en devient plus belle, plus sensuelle, avec une part de sexualité enfin dévoilée, mais à laquelle seul son fils Jack semble être sensible. Malick filme de magnifiques scènes d’apaisement pendant cette séquence. Il sait aussi filmer la peur, l’angoisse, le trouble, lorsque Jack propose à son cadet des paris pour tester la confiance qu’il lui porte. Mettre ses doigts dans le culot d’une ampoule… Le regard de Jack nous pétrifie pendant ces scènes.
  
Plusieurs scènes contemporaines émaillent le film, avec un Sean Penn (Jack adulte) perdu dans un dédale de building, de verre, de poutres métalliques, toujours comme sous la surveillance d’une lumière venue du ciel… Pas de psychologie non plus, juste des images, de la tristesse, de l’incompréhension, du mal être.

La musique joue évidemment un grand rôle, très présente. Le compositeur français Alexandre Desplat propose une bande son méditative, plus qu’illustrative (puisque le musicien a travaillé sans les images du film) à laquelle se mêlent les voix-off, chuchotée, répétée, comme autant de questionnements qui ne trouvent pas de réponses. On y entend aussi de nombreux extraits d’œuvres classiques (Berlioz, Brahms, Ligeti, ce dernier étant très présent dans les BO de Kubrick, Preisner, Mahler, Smetana…). L’osmose entre l’image et le son participe entièrement à la beauté du film, notamment l'utilisation du mouvement "La Moldau" de la symphonie de Bedrich Smetana, totalement magnifié par le monatge de Malick.

THE TREE OF LIFE est assurément un film puissant, profond, méditatif, un très grand moment de cinéma à découvrir en priorité en salle. Il n’accède pas, selon moi, au rang de chef d’œuvre, sans doute à cause de cette dernière scène trop simpliste, démonstrative au lieu de n’être qu’allusive. Avec THE TREE OF LIFE, Terrence Malick conforte sa place de cinéaste à part, d’artiste minutieux, engagé (au sens spirituel du terme). Une palme d’or cannoise attendue, sans doute consensuelle, car récompensant davantage l’œuvre entière de Malick que cet opus en particulier.






 
THE TREE OF LIFE (2011, Fox Searchlight)
Ecrit et réalisé par Terrence Malick
Co-produit par Brad Pitt
Chef op : Emmanuel Lubezki
Musique additionnelle : Alexandre Desplat

Avec : Brad Pitt, Sean Penn, Jessica Chastain, Hunter McCracken, Laramie Eppler, Tye Sheridan

Couleur  -  2h18  -  format  1:85

4 commentaires:

  1. Vais le voir ce week end. Avec les gosses.
    On en reparle.
    "La nature est au centre de tout"...ben oui, sinon quoi d'autre?...

    RépondreSupprimer
  2. Bravo et merci pour ce commentaire détaillé !!

    RépondreSupprimer
  3. Jamais vu un film aussi chiant...et aussi beau à la fois depuis 2001 de Kubrick. Je ne suis définitivement pas un contemplatif, quant à la question divine je préfère éluder pour ne pas faire mon désagréable...
    L'histoire familiale par elle même m'a scotché, sa mise en forme a progressivement fait monter ma température au point de crever de chaud alors qu'il ne devait faire que 20 degré dans la salle.
    La splendeur de la nature a assurément trouvé son plus fantastique révélateur en la personne de Malick, ce mec est hors concours.

    RépondreSupprimer
  4. Pas vu celui-là, mais j'ai vu tous les autres, c'est vite fait, il n'y en a pas beaucoup ...
    T'as raison, peter, ce type est hors-concours ...
    Le seul gars à être capable de filmer avec poésie le vent dans les branches, dans un champ ...
    Rien que des chefs-d'oeuvre ...

    RépondreSupprimer