Symphonie « 1905 », fresque historique, politique ou cinématographique ?
Valery Gergiev : une main de fer dans un gant de velours ?
Non, il ne s’agit pas d’un personnage surgi d’un Western spaghetti et déguisé avec une queue de pie de concert. Éternellement avec ses rares cheveux en bataille, et sa barbe de trois jours à la Gainsbourg, Valery Gergiev est, sans nul doute, le plus actif, sympathique et talentueux chef d’orchestre russe de sa génération !
Il a poursuivi à Paris son marathon Mahler du 25 au 27 mars 2011. À cette occasion, lors d’une interview pour la chaîne Mezzo, Gergiev confiait. « Je fais de mon mieux, Je ne veux pas que le public s’ennuie ». Cela paraîtra naïf aux critiques officiels, certains ne l’aiment guère, mais c’est d’un bon sens absolu. Il tourne le dos au style du maestro vindicatif, type De Funès (Stanislas Lefort) proférant « Messieurs, je ne veux que Berlioz et MOI ». Gergiev ne joue pas pour le public. Non ! Il l’invite à participer au concert. Sa méthode : de la spontanéité, de l’énergie, sacrifier parfois la métaphysique au bénéfice de l’adhésion plus immédiate par un public qui ne connaît pas forcément les œuvres par cœur. Gergiev est une bête de scène plus qu’un homme de disques. On pourrait, en termes de personnalité et de respect pour son auditoire, le comparer dans le monde du Rock au Boss, à savoir Bruce Springsteen (vous en pensez quoi, les pros-du-rock ?...).
Il travaille avec peu d’orchestres, pour diminuer le nombre de répétitions, et donner ainsi plus de concerts (la connivence semble vite établie avec ce chef à l’écoute des musiciens). Et quels orchestres ! Philarmoniques de Vienne, de Berlin, de New-York, Symphoniques de Londres, de Chicago, les meilleurs parmi les meilleurs et bien sûr, celui qu’il a façonné : Le Marinsky de Saint-Pétersbourg (ex Kirov) pour lequel il a pu faire construire en deux ans une salle ultra-moderne. Il travaille aussi à des œuvres caritatives et anime des groupes de jeunes instrumentistes…. Attention au contrôle anti-dopage. Bravo !
Chostakovitch : comment un compositeur put survivre dans l’enfer stalinien.
Dmitri (et non pas Dimitri) naît en 1906 dans une famille d’intellectuels au passé révolutionnaire.
Adolescent, il poursuit de brillantes études musicales pendant la tourmente révolutionnaire léniniste. Excellent pianiste, il pense poursuivre une carrière de concertiste. La mort de son père, en 1922, le conduit à se produire comme pianiste de cinéma (sa riche production pour le 7ème art trouvera sans doute son origine dans cet expédiant financier). Parallèlement, il se lance dans la composition et en 1926, à 20 ans, il stupéfie le monde musical mondial avec sa première symphonie d’une maturité inattendue à cet âge. Il compose sans relâche et le succès perdure sans souci jusqu’en 1934. C’est de cette époque (1928) que datent les populaires suites pour orchestre de jazz (dont une valse que tout le monde chantonne suite à une célèbre publicité…). Mais les nuages s’amoncellent…
En 1934, Maxime Gorki, écrivain officiel du régime, décrète un concept kafkaïen : le réalisme socialiste ! Pour simplifier, les artistes doivent prêter serment de fidélité à l’idéologie étatique dans leur comportement et dans le style de… leurs créations. Toute référence à l’art « dégénéré » devient hors-la-loi ! Les écrivains et artistes font les frais de la nouvelle terreur dans les Goulags.
En 1936, dans la Pravda, Dmitri peut lire « Le Chaos remplace la musique » à propos de son opéra Lady Macbeth. Deux jours avant, Staline, flanqué de Jdanov, qui régira la création artistique en URSS jusqu’en 1948, n’ont pas aimé. Tout est dit. Dès ce jour, Chostakovitch vivra, aux grès des purges, un pied sur la pédale de son piano, l’autre dans la fange gelée d’un Goulag. Une simple et effrayante anecdote : en 1937, convoqué par le KGB, il ne doit la vie qu’à l’exécution précipitée de l’officier chargé de son dossier ! Il en ressort vivant mais définitivement écœuré. Déjà, dans sa 4ème symphonie composée vers 1935, chef d’œuvre aux accents Mahlériens, il témoignait de sa souffrance intérieure. En 1936, une intuition de danger imminent le conduit à stopper les répétitions : la symphonie ne ressortira des tiroirs qu’en 1960 !
Mais le grand Dmitri est un génie et, tout en composant pour vivre de sa passion et de son art, il va flouer le régime par d’incroyables astuces de composition.
Entre purges et autocritique comme en 1948, Chostakovitch va jouer sur les notes comme on joue sur les mots, manier l’ironie vs sérieux par le rubato, brocarder la monstruosité en usant de sonorités grotesques cryptées (si l’interprète, comme son ami Mravinski, joue le jeu). Chostakovitch distillera sa revanche en pensant à l’avenir. Le final de la 10ème symphonie joué deux fois trop vite, devient pompier et patriotique, d’où ovation des autorités. On ralentit le tempo et… on entend une parodie de musique du cirque des horreurs staliniennes. J’ai parfois lu ou entendu, de bonne foi, que Chostakovitch « suivait le mouvement ». Non, il survivait avec trois paquets de clopes par jour qui lui seront fatales. Son œuvre est immense, d’autant que la détente relative, suite à l’arrivée de Kroutchev, lui ouvre l’horizon pour composer contre l’intolérance, l’antisémitisme et la barbarie (13ème et 14ème symphonie). L’homme était un humaniste dans un monde sans pitié. Malgré son courage, malade, il ne peut suivre dans la dissidence son ami Rostropovitch à l’arrivée de Brejnev. Cardiaque, l’un des compositeurs majeurs du terrifiant XXème siècle meurt d’épuisement en 1975.
La place du Palais d'Hiver le 9 janvier 1905 |
En 1957, dans le cadre du quarantième anniversaire de la révolution d’octobre, Chostakovitch reçoit commande d’une œuvre importante. Il choisit de composer une fresque symphonique en quatre tableaux, commémorant la répression sanglante de la manifestation du 9 janvier 1905, au Palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg. (Au départ, il pensait à des chants populaires, mais il a préféré le thème de la répression, un sujet éternel semble-t-il…). Il utilisera ces chants populaires russes prévus initialement, certes, mais à une autre fin…
Ce jour-là, une marche pacifique rassemble 30 000 ouvriers et des familles qui revendiquent des meilleures conditions de travail, la fin de la censure et du servage, la libération des prisonniers politique. Dans un froid polaire, la Garde ouvre le feu et massacre un millier d’hommes, de femmes et d’enfants.
Le sujet a pu faire songer à une approche cinématographique dans cette symphonie à programme. Chostakovitch n’avait-il pas composé en 1925 une musique destinée à accompagner les projections du film « Le cuirassé Potemkine » d’Eisenstein ? On peut avec pertinence émettre cette hypothèse en considérant le coté descriptif des évènements et tensions évoquées dans la partition. Mais Chostakovitch va poser en fait la question interdite : oui, la sauvagerie politique était réelle en 1905, mais 50 ans plus tard, où en sommes-nous vraiment de la liberté des peuples ? Bien plus tard, Haitink, Rostropovitch et d’autres répondront en libérant le cri d’alarme caché dans ce qui fut un triomphe, lors de sa création sous la baguette « disciplinée » de Natan Rakhline.
L’enregistrement récent de Valery Gergiev avec l’Orchestre Marinsky de Saint-Pétersbourg
En 2010, Valery Gergiev a enregistré une version poignante qui retrouve la quintessence de la pensée de Chostakovitch. Le compositeur exprimait à l’évidence, dans l’œuvre, son angoisse face à cet échec "révolutionnaire" après des décennies de dictature. Cette angoisse acquise dans les années 30 et qui le hantera jusqu'à sa mort.
Mouvement 1 : « La place du Palais » : Un long thrène aux violons, une aurore glaciale pétrifie l’espace et les hommes. La harpe compte les heures immobiles. [1’27] De cette atmosphère oppressante, s’élève un chuchotement de révolte contenue, confié aux timbales, à la caisse claire et à la trompette. [5’26] Les flûtes entonnent la mélopée du premier chant révolutionnaire cité « Écoute ! La nuit automnale est noire comme la trahison, noire comme la conscience du tyran ». [7’35] Ce thème est développé d’une manière plus drue et incantatoire par tout l’orchestre. [8’50] Le second chant, plus plaintif, exposé par les violoncelles et les contrebasses « La nuit est sombre, essaye d’attraper les minutes qui passent, mais les murs de la prison sont solides, les portes sont fermées avec des verrous de fers ». [12’20] Le mouvement s’achève en cheminant avec les manifestants, une marche dans une lumière spectrale d’hiver, un défilé escorté par une trompette lugubre et obsédante.
Mouvement 2 : « Le 9 janvier » : Une mélodie aux cordes rejointes par les bois surgit, nerveuse, anxieuse. La musique illustre un texte déjà utilisé par Chostakovitch en 1951 dans «Le 9 janvier », un ensemble de 10 chants pour chœur a cappella. Un texte ou « le peuple abjure le tsar de ne pas laisser sa police et son armée maltraiter le peuple ». Le développement orchestral se fait plus exigeant et vindicatif. Tous les instruments se bousculent comme une foule excédée. Les cuivres grondent, en écho de la multitude. [8’55] Le thème de l’attente sur la place gelée réapparait, et semble apporter un peu de calme, mais le tempo plus vif indique un simple répit. [10’02] Brutalement, un roulement guerrier de caisse claire annonce l’attaque, la férocité aveugle ! La furie orchestrale, illustrant la charge soldatesque, est une des pages symphonique les plus insensées jamais composée. D’innombrables percussions, cuivres et cordes scandées se fracassent dans une rythmique implacable, mécanique et brutale. Lors d'un concert en 2009 à Pleyel avec le Symphonique de Londres, Gergiev s'est quasiment croisé les bras pendant ce passage car, comme on dit, ça passe ou ça casse. [13’28] Le silence ! La mort, par centaines, plus, on ne saura jamais. Les Russe appelleront ce jour le « Dimanche Rouge ». La musique hivernale initiale reprend inexorablement, ponctuée par de rares notes sinistres jouées au célesta et à la trompette. Gergiev y apporte un ton de tristesse infinie mais aussi de rage rentrée.
Mouvement 3 : « Mémoire éternelle » : Ce passage plus bref (en fait tous les mouvements sont enchaînés) sort du monde descriptif, donc de cette forme cinématographique que l’on serait tenté de lui attribuer à tort. Les pizzicati introduisent le mouvement. [1’12] Une mélodie funèbre, jouée aux cordes, Illustre le chant « Vous êtes tombés ». La volonté d’offrir un requiem aux victimes est patente. [4’10] Une marche funèbre aux cuivres prolonge ce chant de ses accents Mahlériens. [6’20] Un thème puissamment slave jaillit des cordes pour conduire vers une conclusion à travers un développement pathétique.
Manifestation en 1905 |
Mouvement 4 : « Le Tocsin ». Une marche martiale altière et pleine d’espoir côtoie la naïveté. La danse des cuivres et des cordes nous entraîne-t-elle dans une danse de victoire ? Quelle victoire ? Chostakovitch stoppe cette joie. [8’00] Un chant meditatif du cor anglais soutenu par les cordes nous renvoie au glacial hiver. Mais lequel : 1905, 1943 à Stalingrad, en 1957 ? Gergiev nous offre un nostalgique Requiem des innocents. Contrairement à ce que l’on entendait vers 1957, la coda [11’18], emmenée par un thème narquois à la clarinette basse, semble tendue malgré la furieuse débauche de l’orchestration titanesque. Quel Orchestre ! Quel son ! Désolé pour ma trivialité : ça prend les tripes. Messieurs du gouvernement soviétique, le compositeur vous avait grugés. Apothéose populaire ? Tu parles, plutôt clameur d’un peuple russe déçu.
La conception globale de Gergiev donne enfin raison à Dmitri Chostakovitch. Celui-ci confiait à son entourage (discrètement), qu'il voulait exprimer dans cette œuvre à la fois lugubre, guerrière et profondément slave, à travers les citations de chants populaires, le fait qu'entre 1905 et 3 ans après la mort de Staline, le peuple russe était toujours trahi.
La conception globale de Gergiev donne enfin raison à Dmitri Chostakovitch. Celui-ci confiait à son entourage (discrètement), qu'il voulait exprimer dans cette œuvre à la fois lugubre, guerrière et profondément slave, à travers les citations de chants populaires, le fait qu'entre 1905 et 3 ans après la mort de Staline, le peuple russe était toujours trahi.
J’ajoute que la prise de son de ce disque est exceptionnelle de réalisme, de clarté et de dynamique, un régal pour les audiophiles. Le disque est complété par la courte 2ème symphonie composée en 1927 pour orchestre et chœur.
Vidéos
Valery Gergiev dirige l'orchestre Marinsky en live :
Un soupçon d’humour dans cet article : mais pourquoi Gergiev utilise-t-il une baguette de la taille d’un… pique-saucisse ?
La baguette ? Oh ben si jamais le monde est détruit pendant son concert, pour une raison ou pour une autre, il aura toujours un ustensile pour manger...
RépondreSupprimerBon d'accord, je sors ;)
Heuu oui, à condition qu'il reste aussi de quoi manger...
RépondreSupprimerDepuis il dirige "à mains nues", il a du la paumer.
Je sors aussi o)
Alors, hein, ho, le comparer au Boss... Et pis koâ encore ??? Naaaan, pas du tout, il s'appelle "Valery", il est déplumé : ça 2 points communs avec notre cher Giscard.
RépondreSupprimerEt pour la coiffure destroy, rajoute un peu de Mezcal dans la camomille du gagadémicien, 2 secondes après, il aura la même degaine que ton russkof.
Le pique-saucisse ? Non plus, c'est un cure-dent. Et discrétos quand le public n'y voit que tchi, il se vérifie les ratiches pour éliminer les reliefs des 39 derniers repas. Vu l'hygiène capillaire déplorable affichée, ce gus doit avoir un râtelier bon pour donner du boulot à un dentiste sortant de la fac' jusqu'à sa retraite.
Quand à Chos-bidule-vitch, c'est vrai que c'est très agréable à écouter. En tout cas, bien plus que prononcer ce nom en forme de chausse-trappe !
Merci BBP d'avoir répondu à la question posée !
RépondreSupprimerLa dentition a l'air en état correct...
http://sergueimarkarov.com/wp-content/uploads/2009/09/Serguei_Markarov_Valery_Guerguiev.jpg
J'espère que t'as pas une dent contre cette comparaison entre deux types que j'admire ? :o)