Changement de cap
Il fut un temps où Ten Years After faisait parti du cercle des monstres sacrés du rock anglais, où son nom était inscrit en caractère gras sur les affiches des festivals. Mais, comme beaucoup de groupes d'alors, T.Y.A fini par s'essouffler, usé par des tournées interminables, et de séances d'enregistrements en guise de vacances. Quatre albums studio de 69 et 70, une totalité de 10 skeuds en sept ans. Grâce à la publicité que leur offrit leur fabuleuse version de « I'm Going Home » interprété lors du festival de Woodstock, le quatuor fut lourdement sollicité. Le groupe qui galérait depuis 64 (d'abord sous le patronyme Jaybirds, jusqu'à leur signature par Decca en 67) n'avait pas voulu laisser refroidir les braises, et avait ainsi déployé toute son énergie pour occuper, enfin, le devant de la scène. C'est qu'avant cette publicité inespérée, malgré une petite réputation acquise grâce à la scène, Ten Years After restait malgré tout dans l'ombre des ténors du British-blues, dont Cream, Free, Savoy Brown et Chicken Shack.
Même l'album « Ssssh. » de 1969, pourtant auréolé d'une bonne réputation, représentant un virage vers un son plus agressif proche du Heavy-rock naissant, et des ventes plus significatives, avait du mal à percer le mur érigé par les nombreux manifestes qu'avait accouché cette année fructueuse (rien qu'au Royaume-Uni : Led Zeppelin I & II, Deep Purple, Let it Bleed, Stand Up, Tommy, Abbey Road, Free, Spooky Tooth,Taste, Beck-Ola, Blind Faith, A Step Futher,The Turning point, As safe As Yesterday is, Juicy Lucy). Ce ne sera donc qu'à partir de 1970, que TYA commença réellement à récolter les fruits d'années de durs labeurs et de doutes. Le disque « Cricklewood Green » (le nom correspondrait à une plante soit-disant hallucinogène que cultivait un ami habitant Cricklewood, un district du nord de Londres) et le carton du simple « Love Like a Man » (avec en face B... « Love like a man ») assirent pour un moment TYA dans son nouveau trône de prince, ou de baron, du Blues-rock anglais.
Le charisme et la vélocité d'Alvin Lee (né Graham Barnes) firent beaucoup pour la notoriété du groupe. Sa technique hérité autant du Rock'n'roll des pionniers que du jazz (toutefois ce dernier n'est pas totalement maîtrisé), et qui s'imprégna progressivement du Chicago-blues, lui permettait de se lancer dans de long chorus, d'être bavard en ayant de la conversation : sa connaissance de la musique populaire américaine des 50's, et du début des 60's, lui fournissait un réservoir où il pouvait piocher à bon escient pour enrichir sa musique et garder des échappées plus ou moins improvisées pertinentes : comme justement sur le fameux « I'm going home » qui n'est autre qu'un hommage-medley de classiques du Rock'n'Roll interprété avec une fougue et un aplomb rare.
Alvin Lee fut longtemps placé sur le podium des guitar-heroes les plus rapides. Démonstratif, énergique, sachant alterner les climats en allant du pur blues en passant par le jazz, poussant sa Gibson 335 modifiée (le vibrato Bigsby et le micro simple central ont évidemment été rajoutés) dans ses retranchements, Alvin faisait sensation sur scène. Au delà de ses indéniables qualités de guitariste, Alvin est également un bon chanteur, à la voix chaleureuse, très légèrement nasillarde, expressive, et assez puissante. Mais Alvin n'aurait certainement pas pu être ainsi projeté sous les feux de la rampe sans l'infaillible section rythmique. En l'occurrence le batteur Ric Lee (emprunt d'un swing jazzy le rapprochant de Mitch Mitchell, plus bridé, voire d'un Ginger Baker, moins technique), et le bassiste Leo Lyons (fondateur avec Alvin, et futur producteur d'UFO, Magnum, Waysted, Frankie Miller, Procol Harum, Hatfield & the North) au style sec, sûr, marqué, au son typé de la Fender Jazzbass. N'oublions pas Chick Churchill aux claviers, qui s'il n'a jamais eu l'exubérance d'un Jon Lord, Emerson, ou Mark Stein, n'en est pas moins un chaînon indissociable du son TYA, d'autant plus qu'il permet au groupe de garder une cohésion lorsque Alvin se lance dans ses soli. D'ailleurs, quelques années plus tard, lorsque Alvin voulu se produire à nouveau dans le même registre, mais en trio, avec Ten Years Later, la sauce ne prit pas, délivrant alors un Blues-rock conventionnel , sans panache.
De 1967 à 1974, Ten Years After réalisa huit disques, et deux lives. Les avis restent partagés quant à l'attribution du titre du meilleur album studio. Par contre, une majorité écrasante s'accorde pour déclarer que « Positive Vibrations » n'est pas une réussite. Hélas, la faiblesse de TYA a été de réitérer ce qui a déclenché son succès via la prestation de Woodstock. Ainsi Alvin s'enferma dans le rôle de guitar-hero nerveux, balançant des soli reposant essentiellement sur la rapidité, le transforma en archétype du guitar-hero bravache, parfois répétitif, et les compositions débordaient rarement du credo Blues-Rock'n'Roll.
Avec « Space in Time », TYA marque un virage, peut être permis par leur nouvelle de maison de disque (Chrysalis à la place de Decca) ; prend même des risque en sortant de son blues-rock type. Tout en gardant un lien avec les précédentes réalisations, l'accent a cette fois plus été mis sur la mélodie, et une toute relative sophistication générant une atmosphère générale d'un Blues-Folk-progressif-rock (un truc comme ça). Lee a ralenti la vitesse d'exécution de ses chorus pour se concentrer sur l'interprétation. Les titres sont en conséquence nettement plus courts que précédemment. « Space in Time » est loin des errements psychédéliques de « Stonehenge » et du Blues-rock fiévreux de « Ssssh ». Fini les cavalcades boogie-blues-rock, et les soli étirés. TYA a intégré de l'espace, des tessitures moins rugueuses, plus folks, voire progressives, sans quitter un contexte foncièrement rock. Dorénavant, le taux du gain des amplis a été abaissé, Churchill favorise le piano (au détriment de l'orgue), et on retrouve de-ci de-là, de la guitare acoustique. La Gibson d'Alvin perd en exubérance, en omnipotence, les silences et les soupirs s'intègrent plus au jeu, lui faisant ainsi gagner en pertinence.
En fait, il semblerait qu'avec ce disque, TYA (ou Alvin Lee) ait fait ressortir, sur certains titres, une autre facette endémique de la Pop anglaise des 60's. En l'occurrence celle des Small Faces et des Kinks. "Space in Time" préfigure ce qu'Alvin Lee jouera en solo, avec les albums "In Flight" et "Let it Roll".
Sinon on peut faire l'impasse sur le Rock'n'Roll "Baby won't you let Me Rock'n'Roll You" et la petite curiosité, "Uncle Jam", seul titre composé par l'ensemble du groupe, une jam jazzy. Ce qui nous renvoie à leurs premiers opus mais qui est totalement hors-sujet avec le reste du répertoire de ce disque.
- One of These Days (5:55)
- Here They Come (4:38)
- I'd Love to Change the World (3:43)
- Over the Hill (2:27)
- Baby Won't You Let Me Rock' n' Roll You (2:15)
- Once There Was a Time (3:20)
- Let the Sky Fall (4:18)
- Hard Monkeys (3:10)
- I've Been There Too (5:43)
- Uncle Jam (1:57)
Juste hommage à la section rythmique, particulièrement au clavier. A mon avis, tous les disques de TYA ont assez mal vieilli, sauf Rock and Roll music to the world, leur dernier, qui me semble nettement au-dessus du lot.
RépondreSupprimerJe ne suis pas peu fier de posséder le 45 tours "Love like a man" avec la version studio d'un côté (3'20) et live de l'autre (8'15). Version live que l'on retrouve sur le double CD au Fillmore, sorti il y a 4 ou 5 ans...
RépondreSupprimerBonne section rythmique, mais je persiste à trouver curieux, dommage, inhuste, de ne pas entendre Chick Chirchill prendre davantage de chorus, comme si nul n'avait sa place à côté de la flamboyance de Alvin Lee.
Le "recorded live" reste un des albums qui a le plus marqué mes jeunes années d'apprentissage de la musique rock ! Un de ceux que j'ai le plus écouté. Je crois que ce style musical (heavy rock / rock / blues / jazz) correspond à ce que je préfère écouter, et jouer.
En effet, S.M., certaines choses de TYA ont pris un coup de vieux. Je pense notamment aux albums Undead, Stonehenge, et Ssssh. Toutefois, Space in Time, à mon goût, passe toujours très bien.
RépondreSupprimerMalgré ce qui a souvent été écrit, à mon humble avis, la meilleure période de TYA démarre avec Cricklewood Green.
Le problème avec la majeure partie des groupes de l'époque, c'est que les albums étaient rarement peaufinés. Le fait d'être continuellement sur la route et d'enregistrer un disque tous les 6 ou 10 mois, laissait bien peu de temps pour permettre aux compositions de mûrir. Ce qui a parfois donné des résultats mitigés, avec des disques inégaux, alliant l'excellence au passable.
Ce que l'on peut reproché à TYA, c'est de s'être enfermé dans l'image qui la rendu célèbre : le guitar-hero charismatique de Woodstock qui balançait des licks accélérés et maîtrisés de Scotty Moore, passés à la moulinette Blues-rock, limite Heavy. A mon avis, TYA aurait dû se passer de bon nombres de soli exécutés à grande vitesse. Alvin Lee, précurseurs des shredders ?
Malgré tout, il me semble que TYA prenait toute sa dimension en concert (comme beaucoup de groupes des 70's, mais pas tous...).
Luc, c'est également par ce 45 tours (piqué à un frangin) que j'ai découvert TYA. J'avais ensuite fait mes classes sur "Rock'n'Roll", avant de dévorer Recorded Live que j'avais usé jusqu'à la trame. Longtemps que je l'ai plus écouté, mais "One of these day", "Slow blues in C", "I can't keep..." (avec ce solo démentiel, de basse ou de mi grave désaccordé ?), "I'm Going Home", pour moi, c'était géant.
RépondreSupprimerPar contre j'hésite encore pour le Fillmore.
Le double au Fillmore ne rajoute rien à la légende. C'est plus long, plus de titres, dont des titres courts, assez pop, et des vieux rock'n'roll. Ensuite, les incontournables "I can't keep crying" 19 minutes, "Help me" de 16 minutes... Le son est bon, mais comme je le disais sur un autre site que nous connaissons, si on possède le "Recorded live" cette nouvelle mouture ne me paraît pas indispensable. Et Chuck Chirchill n'y joue pas plus de claviers...
RépondreSupprimerBon, Ok et merci, Luc. Tu confirmes mon impression.
RépondreSupprimerJe me repasserai "Recorded Live", qui bien que souvent critiqué, reste dans ma "playlist" des indispensables lives des 70's.
Je partage ta frustation de ne pouvoir plus entendre Churchill prendre des chorus. Il me semble que c'est justement sur Space in Time qu'il est le plus présent. Peut être que c'est lui-même qui ne désire pas se mettre en avant. On ne l'entend guère plus avec le new-TYA.
Je confirme pour le double CD live au Fillmore. On peut s'en dispenser.
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