vendredi 8 octobre 2010

DEREK AND THE DOMINOES : "Layla and other assorted love songs" (1970) par Luc B.



L’album LAYLA AND OTHERS ASSORTED LOVE SONGS, nait de deux addictions. La cocaïne et Pattie Harrison. En 1970, Eric Clapton est heureux. La période Blind Faith est terminée, la tournée avec Delaney&Bonnie s’est merveilleusement bien passée, il a composé quelques chansons pour un album solo, produit par Delaney Bramlett, il joue au côté de John Lennon, fréquente son pote Hendrix, et jamme à tout va avec les anciens de Delaney&Bonnie : Bobby Whitlock (claviers), Carl Radle (basse) et Jim Gordon (batterie). Ces deux derniers avaient aussi déjà tourné ensemble, dans la formation de Joe Cocker, Mad Dog & Englishman. D’abord à Los Angeles, puis à Miami, des idées de chansons prennent forme, toutes centrées sur un même thème : la femme qu’il aime, mais qui est mariée à George Harrisson. Clapton ira même essayer un filtre d’amour concocté par… Dr John, alors en plein trip vaudou ! Une de ses copines, Liza Blackwell, qui a frayé avec cette faune pendant des années, fut aussi réquisitionnée pour tenter de rapprocher les tourtereaux, mais là encore, sans succès !

Duane Allman, bien plus qu'un simple invité, a illuminé les séances d'enregistrement de l'unique disque de ce groupe éphémère.



Les séances d’enregistrement se passent bien, au menu : soleil, piscine, œufs au bacon, cocktail de Mandrax pour planer, atténué par des lignes de coke, et arrosées de Brandy et de Vodka pour les vitamines. Mais musicalement, cela ne décolle pas vraiment. Un soir, Clapton va voir les Allman’s Brothers en concert, et subjugué par le jeu de guitare de Duane Allman, l’invite aux sessions. Et c’est le déclic. L’alchimie. Eric Clapton n’a jamais voulu être une vedette, une tête d’affiche, et partage donc volontiers un studio avec un autre grand guitariste. Duane Allman est d’ailleurs crédité sur la pochette au même titre que les autres. Clapton a aussi enregistré deux titres produits par Phil Spector « Roll it over » et « Tell me truth ». De toutes ces bandes, et des nouvelles chansons enregistrées au Criteria Studio à Miami, naîtra un double album. Et la tournée qui va avec. Mais un détail avait échappé à Clapton. Le groupe n’avait pas de nom. C’est Tony Ashton, qui faisait la première partie du concert, qui improvisa à la dernière minute… « Et voici maintenant… euh… DEREK AND THE DOMINOES ! ».
L’album fit un flop commercial. Pochette hideuse, anonyme, et Clapton – puriste de chez puriste - se refusait à en faire de la promotion. Il pensait que la qualité intrinsèque des chansons suffisait à en faire un succès. Personne ne savait donc que derrière ce groupe se cachait l’ex guitariste des Bluesbreakers de John Mayall, celui dont le nom fleurissait, tagué dans les couloirs du métro londonien : « Clapton is GOD ». La maison de disque édite, un peu tard, des badges avec écrit : « Derek is Eric ».

Ce double album est pourtant une des meilleures créations du guitariste, et que je tiens comme un des plus fabuleux disques de ces 50 dernières années. Un album littéralement habité, enflammé, avec une section rythmique d’une parfaite cohérence (Clapton estime même que Jim Gordon reste le plus grand batteur de rock), et une paire de solistes qui défouraillent des chorus d’une rare intensité, sans que l’on sache vraiment de Allman ou Clapton, qui jouent quoi, comme dans « Keep on growing » ou « Anyday », long morceaux fiévreux à souhait.

Le blues est présent avec la reprise de Jimmie Cox « Nobody knows you when you’re down and out », ou le très long « Key to the highway » qui atteint des cimes d’intensité. Le morceau n’a pas d’intro, ni de fin, juste des fondus. C’est que ce jour-là, l’ingénieur oublia de lancer le magnéto, alors qu’à l’ordinaire, il tournait 24h/24. Jusqu’à présent, Clapton se refusait à chanter. Steve Winwood l’avait incité à interpréter lui-même « Presence of the Lord », Delaney Bramlett le poussait aussi. Il est certain que Clapton n’a pas une voix de stentor, mais écoutez-le sur « Key to the highway » ou « Bell Bottom blues », il vit le texte, le chiale, toujours au bord de la rupture, ce qui confère une réelle fragilité, une authenticité aux chansons. Whitlock chante aussi sur cet album. Autre grand moment de blues avec « Have you ever loved a woman » (par Billy Myles, et interprétée d’abord par Freddie King) avec ces paroles : « have you ever loved a woman, so much it’s a shame and a sin / but all the time you know she belongs to your very best friend ». Le meilleur ami en question étant George Harrisson. Autre reprise de choix, le « Little wing » de Jimi Hendrix, sublimée ici par les deux guitares et l’orgue, la voix doublée par Bobby Whitlock, qui donne une nouvelle ampleur au morceau original. « Well she’s walking through the clouds » écrivait Hendrix, et avec cette version, on y est dans les nuages, la stratosphère même ! Enfin, le titre éponyme, « Layla » (Clapton/Gordon) son célébrissime riff d’intro, et cette seconde partie instrumentale, composée à part puis incorporée à la chanson, basée sur le piano, des nappes de guitares entrelacées, une boucle musicale à priori anodine, mais qui finit par nous hypnotiser, et dont il émane une tristesse infinie. Le disque se clôt sur une petite chanson à la guitare acoustique, écrite et chantée par Bobby Whitlock. Que certains considèrent comme très secondaire. Je la trouve au contraire judicieusement opportune, à cette place, clôturant ces 77 minutes enfiévrées.





"It's too late" n'est pas le titre le plus représentatif du disque, coincé entre "Little wing" et "Layla". Mais les images sont rares. Et restez à l'écoute, car après la causette entre Clapton et Johnny Cash, un grand moment de télévision, comme dirait l'autre... (Michel, si tu nous r'gardes, c'est pas chez toi qu'on verrait ça !)

Les titres de cet album joués en concert restent parmi les plus grand moments de Clapton, qui allonge les titres à 15 ou 20 minutes, des jams interminables et inspirées, mais sans Duane Allman, décédé entre temps d’un accident de moto. Carl Radle restera son bassiste attitré jusqu'à son décès, dix ans plus tard.

LAYLA AND OTHERS ASSORTED LOVE SONGS regroupe 14 chansons, parmi les plus grands classiques de Clapton, dont quelques perles comme « I look away », dont je ne me lasse pas. On pouvait penser Eric Clapton sorti de ses affres amoureux et existentiels, mais deux disparitions vont le faire replonger. La mort de son grand père (qui l’avait élevé, et je rappelle qu'Eric Clapton pensait que ses grands parents étaient ses parents, et ses tantes, ses soeurs... il apprendra la vérité par sa mère, entre deux portes...) et de Jimi Hendrix. Clapton lui avait déniché une Stratocaster blanche pour gaucher, et devait lui offrir à l’occasion d’un concert de Sly & Family Stone. C’était le 18 septembre 1970. Ce soir-là, Hendrix ne vint pas au rendez-vous… Clapton repart aux Etats Unis, de la poudre plein les valises, sa consommation d’héroïne décuple, et c’est le début d’une longue descente aux enfers, jusqu’à la fin de la décennie. « Nobody knows you when you’re down and out », chantait-il. Lui a eu la chance d’avoir de vrais amis, ce fut long, mais ils l’ont sorti du trou.


De gauche à droite : Gordon, Radle, Whitlock et Clapton. Le chien est en fait une chienne. Offerte par une amie à Eric Clapton, pour lui tenir compagnie lors de ces parties de pêche, passe-temps favori du guitariste. Elle fut baptisée "Liza".


40 ans après…
Carl Radle
est mort en 1980, les reins laminés par la dope et la bibine.
Jim Gordon, schizophréne non détecté, assassina sa mère, et croupit en prison depuis 1983.
Eric Clapton est sobre depuis 20 ans, mais sourd comme un pot.
Bobby Whitlock va bien, merci, produit et enregistre toujours pour son compte.


LAYLA AND OTHER ASSORTED LOVE SONGS (1970) produit et arrangé par The Dominoes, enregistré à Miami. réédité en 1 CD, ou en 3 CD avec les jams de Duane Allman/Clapton.



1.I Looked Away - 3:05
2.Bell Bottom Blues - 5:02
3.Keep On Growing - 6:21
4.Nobody Knows You When You're Down And Out - 4:57
5.I Am Yours - 3:34
6.Anyday - 6:35
7.Key To The Highway - 9:40
8.Tell The Truth - 6:39
9.Why Does Love Got To Be So Sad ? - 4:41
10.Have You Ever Loved A Woman - 6:52
11.Little Wing - 5:33
12.It's Too Late - 3:47
13.Layla - 7:04
14.Thorn Tree In The Garden - 2:53

3 commentaires:

  1. Très bon disque, c'est incontestable. Toutefois, je l'ai toujours trouvé surestimé, encensé par des critiques dithyrambiques.
    Pendant longtemps, Clapton, auréolé de son aura post-Creamienne, déchaînait les passions, sans discernement, à la moindre apparition.
    Malgré tout, il demeure un musicien incontournable.

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  2. Un bel historique avait été réalisé dans un Mag spécialisé batterie il y a de ça quelques années. On y apprenait notamment que Jim Gordon était alors l'un des batteurs de sessions parmi les plus prisés du circuit. Le type a finalement contracté une sorte de schizophrénie qui le conduira (comme tu en a fait état) à l'impensable. Des voix lui auraient intimées l'ordre de...
    Quel gâchis !!

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  3. J' AIME BIEN la remarque de BRUNO, mais je pense quand même que ce disque faisait partie des bons disques de l'époque (vu le nombre hallucinant de chefs d'oeuvre qui sont sortis à cette période) et avec le recul il est largement dans le peloton de tête des disques majeurs, et incontournale. Luc, j'ai même fini par m'habituer à la pochette !!!! Ramone

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