vendredi 17 septembre 2010

DEUX ROMANS DE MARC TRILLARD, par Luc B.


Marc Trillard semble avoir tous les talents. Né en 1955, il met le voyage au centre de son œuvre, à la radio, comme auteur-producteur, à la télévision (collaboration à l’émission Thalassa), et dans la presse écrite. Et comme cela ne suffit pas, Marc Trillard publie aussi des romans. Et quels romans !


CAMPAGNE DERNIERE (2001)

Victor, un médecin, s'exile sur l'île de la Concorde, colonie française, pour y prendre ses nouvelles fonctions, mais surtout, jouir de son nouveau statut de notable parmi les indigènes, et jouir des jeunes filles noires dont il dispose à sa guise. Mais voilà que débarque un nouveau préfet, zélé, qui entreprend de réformer la vie sur l'Ile, et déranger les petites habitudes de tous ces oisifs... Victor et ses amis vont donc essayer de contrer les projets du préfet, pacifiquement au début, mais de manière beaucoup plus radicale ensuite.

CAMPAGNE DERNIERE m'a littéralement pris à la gorge. La lecture n’est pourtant pas aisée au départ, car l'auteur a choisi de ne pas distinguer les dialogues du reste du texte par des guillemets ou des tirets. Même pas un retour à la ligne ! Tout s’enchaîne, et c’est au lecteur de s’y retrouver. On s’y habitue vite, l’intrigue prend forme rapidement, les personnages se dessinent plus nettement. Et puis, surtout, la force du style, de l'écriture nous explose à la figure. Chaque mot, chaque virgule est soupesée, placée, réfléchie, comme une partition de musique faite de silence, de crescendo. Le héros de cette histoire n'est pas un personnage particulièrement sympathique. C'est un jouisseur, un colonisateur, qui abuse de son double statut : d'homme blanc, et de médecin, pour assouvir ses fantasmes. Toutes les scènes sexuelles sont d'ailleurs admirablement rendues, sensuelles, explicites.

Mais voilà que ce monde idyllique s'écroule avec l'arrivée du nouveau préfet, et l'intervention de l'Etat. La métropole débarque dans cet Eden, avec le déploiement de l'arsenal administratif, de la morale. Cette satanée morale, empêcheuse de jouir en rond ! Et cette idée stupide de construire une autoroute à travers l'île, pour relier les villages, et saccager cette nature. Ce sont des arbres qu'on abat, mais pour Victor c'est un monde qui s'écroule. Il rentrera en résistance, armes au poing si nécessaire. Le combat semble perdu d’avance, mais Victor va jusqu’au bout de ce qu’il croit être juste. Le style oblique vers le roman d'aventure, avec suspens et rebondissements, mais toujours narré avec une économie de mots d'une justesse effroyable.

Pour vous faire une idée, on pourrait rapprocher ce livre du film COUP DE TORCHON de Bertrand Tavernier. CAMPAGNE DERNIERE est un roman magnifique, une histoire édifiante, aux relents philosophiques, politiques, historiques, des personnages forts, et qui bénéficie de cette écriture magistrale, autant romanesque qu'exigeante.



ELDORADO 51 (1994)

C’est le second roman écrit par Marc Trillard, prix Interallié. Je l’ai lu après CAMPAGNE DERNIERE. L’histoire est celle d’un couple de Français qui abandonne leur petite station essence déficitaire, pour se lancer dans une nouvelle vie : le Paraguay, les grands espaces, l'élevage. Quinze ans plus tard, que reste-t-il du rêve ? Le père se confine dans un mutisme maladif, le fiston est alcoolique, pervers, sadique. Et la mère, Ida, avec ce qu'il lui reste d'énergie, croit encore à la possibilité du retour en France.

ELDORADO 51 est un livre extrêmement dur. Il n'y a pas un espace pour le rire, pour le rêve. C'en est asphyxiant. L'écriture de Trillard atteint des sommets de maîtrise formelle, toujours le mot juste, le bon rythme, pour traduire l'isolement, le désespoir, la lutte contre les éléments. Une famille seule, isolée dans l’immensité de la terre crevassée par le soleil. Et un poste de radio, qui permet à Ida d’écouter une vieille bonne femme parlait quelque part… cette voix est le seul lien avec l’extérieur. Une voix qu’Ida écoute, mais à qui elle ne peut pas répondre.

Marc Trillard est un écrivain voyageur, bourlingueur. Il nous parle magnifiquement des gens, des paysages, de la vie. C'est Ida, la mère, qui est la narratrice. Et on s'attache à elle immédiatement, qui doit faire face à un mari quasi absent, un fils potentiellement dangereux, et une communauté française qui se jauge sur la réussite économique. La sécheresse, le troupeau décimé, les épidémies, l’argent qui manque, la honte. Ida va puiser dans ce qu'il lui reste d'énergie (et d’économie) pour tenter le dernier voyage. Et quel voyage ! Vers Asunción, sur les pistes désertiques, puis sous des pluies torrentielles, à pieds, en bus. Et la ville, la foule, le grouillement, le bruit incessant. Ultimes démarches administratives pour enfin pouvoir quitter cet enfer. Ces pages sont de toute beauté, et terrifiantes à la fois, quand on sait l'enjeu pour l'héroïne. Un véritable suspens s’installe, de la terreur presque, quand on sait quel ennemi se dresse désormais entre Ida et sa liberté. Cela pourrait être lyrique, grandiloquent, pleurnichard. Ce n'est rien de tout cela. C’est tragique. Il est tout simplement question de survie.

Deux romans que je recommande fortement, des styles de narration différents, mais qui ont en commun une maîtrise de l’écriture qui m’avait laissé pantois. Des romans assez courts, mais d’une grande densité dramatique.




CAMPAGNE DERNIERE (2001) édition Phébus, 294 pages + Edition Poche
ELDORADO 51 (1994) édition Phébus, 224 pages + Edition Poche

2 commentaires:

  1. le nippon vengeur19/9/10 06:15

    Luc, Rockin, allez voir sous mon dernier com (vous savez, le scandaleux d’il y a cinq mois). Y’a un record à battre. La course est lancée. Un peu d’imagination, quoi. Ha je ris.

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  2. Lu avec intérêt ton comm, j'ai lu il y a quelques années Eldorado 51, mais ne connaissais pas Campagne derniere, je m'en vais de ce pas l'acquérir

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