jeudi 5 août 2010

RICHARD YATES - La fênetre panoramique (1961) par Foxy Lady



Le portrait au vitriol d’un couple d’Américains : un chef d’œuvre hallucinant !

En 1961, le monde littéraire est ébranlé par la publication du 1er roman de Richard Yates (1926-1992), "Revolutionary Road " (La fenêtre panoramique). Ce roman, qui fit polémique auprès de l’Amérique puritaine et conservatrice de l’époque à toutefois été salué par de grands auteurs comme Richard Ford, William Styron ou encore Tennesse Williams qui voyait là un livre "immédiatement, intensément et brillamment vivant ".

" La fenêtre panoramique " est le portrait sans concessions d’un couple d’Américain, Frank et April Wheeler, en pleine déchirure, qui se ment à lui même et cherche désespérément à s’évader d’un quotidien étouffant sans pour autant y parvenir. Les thèmes développés dans la 1ère partie annonce très vite la couleur du roman et sont autant de gifles reçues en plein visage, qui nous poussent, bien malgré nous, à nous remettre en question.
Le renoncement à ses rêves, les désirs refoulés, le besoin d’être anti-conformiste, le mensonge, l’adultère, le mépris des autres, les faux-semblants, le désir d’échapper à la médiocrité, le besoin viscéral d’avoir un projet pour se sentir exister, l’envie de " se trouver ", de savoir qui on est au plus profond de nous même sont autant de thèmes que nous dépeint Yates, tel un virtuose, sans artifice, une plume nette et vive qui tranche dans le vif et sonne juste à chaque instant.

Toutes ces évocations nous renvoient inlassablement à cette simple réflexion " tout ce qui brille n’est pas or ", car finalement, que savons-nous des gens qui nous entourent, de leurs passions avortées, de leur dégoût, de leur peur et de ce qui hante les profondeurs de leurs âmes ?






Leonardo Di Caprio et Kate Winslet dans l'adaptation ciné

La 2ème partie, est, quant à elle, tout aussi cinglante, bien qu’elle soit pour le couple Wheeler, ce que je nommerais "la période de transition" . Le couple à le projet de s’expatrier pour l’Europe, ils sont donc de nouveau en harmonie, malgré les non-dits qui représentent l’équivalent d’une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Cette 2ème partie est donc davantage consacrée aux personnages qui gravitent autour d’eux. Là encore, les petits travers de l’être humain y sont passés au crible, avec toujours cette idée omniprésente du renoncement à ses rêves qui représente un poison dans l’esprit de chacun. En prime, quelques notions telles que : la suffisance, l’hypocrisie, la convoitise, les préjugés ou la jalousie nous explosent en plein visage. Richard Yates est, sans conteste, un auteur redoutable doué d’un style implacable. Ici, il faut oublier le politiquement correct car rien de ce qu’on lit ne l’est, l’auteur dissèque ses personnages (tantôt cruel, tantôt vulnérable) de main de maître et ne nous laisse que très peu de répit.

La 3ème et dernière partie du roman est, à mon avis, la plus éprouvante. April tombe enceinte et, sous la pression de son mari, consent, non sans mal, à repousser leur projet de départ pour l’Europe. Jusque là, rien d’exceptionnel, mais qui dit abnégation dit rancune et sentiment de ne pas exister pour l’autre, de n’être pas compris et entendu.
Qu’est-ce qui est pire dans une vie réglée comme du papier à musique, que l’évidence de l’échec ?
Comment accepter que l’on a vécu dans l’illusion, que l’on s’est menti en tout et pour tout ?
Un mariage sans véritable amour, des enfants dont on ne voulait pas vraiment, une petite vie bien " gentille " qui nous horripile car elle ne correspond à rien de ce que l’on avait imaginé.
Si une échappatoire existait, quelle serait-elle ? On peut évoquer la folie dont souffre John Givings, mais au fond, est-il vraiment fou, ou n’est-ce pas la société qui l’a enfermé dans cet état car les questions qu’il soulevait étaient trop dérangeantes ?
Le fait qu’April et Frank se déchirent et s’envoient des vérités douloureuses et violentes, n’est en fait que l’écho des frustrations d’un couple qui ne prend plus le temps de s’entendre, de se regarder, de se comprendre et d’évoluer ensemble.

Loin de vouloir révéler la chute de ce chef d’œuvre hors du commun, je voudrais toutefois dire que Yates a, avec " La fenêtre panoramique " repoussé les limites de ce qui est avouable dans un couple, son écriture est vitriolée mais dans le fond, tellement réaliste et tellement humaine ! La fin du livre, assez troublante, m’inspire cette pensée de Saint-Exupéry : "
Faites que le rêve dévore votre vie, afin que la vie ne dévore pas votre rêve. "



Ce roman a été finaliste pour le National Book Award en 1962 et a été adapté par Justin Haythe et réalisé sur grand écran en 2008 par Sam Mendes sous le titre français " Les noces rebelles ". Pour incarner Frank et April Wheeler, Mendes a fait appel au couple devenu célèbre de "Titanic" , Leonardo di Caprio et Kate Winslet. A une bonne année lumière de leur interprétation dans "Titanic ", les 2 jeunes acteurs ont gagné en maturité et donne à leur personnage toute la force et la démesure dont ils sont capables. Le film, fidèle au roman, est certes moins dur que celui-ci, mais n’en demeure pas moins excellent (à éviter, toutefois, en cas de coup de blues !!). Mention spécial à Kate Winslet, qui est incroyable dans son rôle d’April, interprétation qui lui vaudra d’ailleurs le Golden Globe de la meilleure actrice en 2009.

Vous l’aurez compris, " La fenêtre panoramique " est, à mon sens, un roman magnifique et totalement incontournable. L’adaptation cinématographique est, quant à elle, assez réussie, bien que moins éprouvante que le livre.

Voici quelques passages du roman (parmi les plus marquants) :

« Ce qui manque de réalisme, c’est qu’un homme doué d’une belle intelligence aille comme un chien qu’on fouette exercer d’un bout à l’autre une situation qui l’horripile, située dans un endroit qui l’horripile, qu’il rentre ensuite dans une maison qui l’horripile, située dans un endroit qui l’horripile, pour retrouver une femme qui est également horripilée par les mêmes choses… »

« Voilà comment tous les deux nous nous sommes réfugiés dans cette erreur gigantesque (car c’est bien cela : une erreur énorme, obscène !), dans cette idée que les gens doivent démissionner de la vie réelle et « se ranger » quand ils ont une famille. »

« Tu sais aussi bien que moi qu’entre nous il n’y a jamais eu que du mépris, de la méfiance et une dépendance terriblement morbide de l’un et de l’autre vis-à-vis de nos faiblesses mutuelles… »

« La seule faute réelle, l’unique erreur, la seule déloyauté qu’elle pouvait se reprocher, c’était qu’elle l’avait toujours pris pour ce qu’il était, rien de plus. […] Et simplement parce que, à une lointaine époque de solitude sentimentale, elle avait trouvé facile et agréable de croire tout ce qui passait par la tête de ce garçon en particulier, et de le récompenser de ce plaisir en lui débitant ses propres mensonges faciles, agréables, jusqu’à ce que l’un dît ce que l’autre souhaitait le plus entendre, jusqu’à ce qu’il lui dît : « Je t’aime »… »





pour le livre





pour l'adaptation ciné ("Les noces rebelles")

1 commentaire:

  1. J'ai lu ce livre l'année dernière et votre analyse du roman est excellente. Bravo pour les citations, continuez à nous écrire d'aussi bonnes analyses.

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