Le courant cinématographique « Black Exploitation » nait dans les années 70, et s’est illustré à donner une image plus réaliste de la condition Noire aux Etats-Unis. Sydney Poitier, ou Harry Belafonte, avaient déjà eu des premiers rôles au cinéma, DANS LA CHALEUR DE LA NUIT, réalisé par Norman Jewinson en 1967 abordait de front le problème du racisme et des droits civiques. Mais pour la communauté noire, touchée de plein fouet par le chômage, la drogue, la pauvreté, le retour du Vietnam, l’image que reflétait Hollywood de leurs conditions de vie semblait encore aseptisée. Le problème venait aussi que les réalisateurs qui faisaient travailler des acteurs Noirs, étaient eux-mêmes Blancs. Ce sont donc des acteurs et réalisateurs Noirs qui commencèrent à produire des films, très ancrés dans les réalités sociales, politiques et culturelles. Les bandes son de ces films étaient majoritairement composées par Quincy Jones, James Brown, Curtis Mayfield, Isaac Hayes (pour le très célèbre SHAFT). Succès garanti. C'est d'ailleurs Van Peebles qui a initié cette façon de faire des BO en prenant des artistes, appliquant ainsi les préceptes de Dennis Hopper, qui pour EASY RIDER avait lui aussi utilisé des chansons célèbres (idée que reprendra Scorsese...). Pourtant, n’oublions pas que ces films, certes réalisés par les Noirs - mais Jack Hill, scénariste et réalisateur de 4 films avec Pam Grier est blanc - étaient distribués par les studios hollywoodiens, dirigés eux par les Blancs. Il fallait donc satisfaire le public, engranger les recettes (et les films avaient beaucoup de succès), jouer la carte folklorique à fond, les outrances, en multipliant les scènes de sexe et de violence. On voit ainsi dans FOXY BROWN la délicieuse Pam Grier émasculer son ennemi, et livrer l'appendice dans un bocal à cornichon à la fiancée du malheureux... Après le mythe du Bon Nègre, docile, survient l’ère du Sale Nègre, junkie, escroc. Le héros n’est plus flic, mais mac, dealer, pute… Doit-on y voir une part de manipulation des Blancs dans ce portrait peu flatteur, qui servait leurs intérêts à une époque de luttes, de rapports de forces, où les émeutes raciales déchiraient le pays ? Rapidement, la communauté Noire s'est lassée, a cessé de se reconnaître dans ces films, devenus caricaturaux, et il a fallu attendre un Tarantino et son PULP FICTION, ou JACKY BROWN (avec Pam Grier, qui avait interprété 30 ans plus tôt "Foxy Brown"...), pour retrouver à l’écran le parfum de la Black Exploitation.
Première réalisation de Melvin Van Peebles (le papa de Mario Van Peebles, comédien), SWEET SWEETBACK’S BAADASSSS SONG (1971) est un des premiers films de ce courant, un succès considérable, mais aussi le plus radical de tous. Ce n’est pas un aimable divertissement policier, avec maquereaux en fourrures, pépées bonnet 95D minaudant à poil dans des Buick chromées. Il est le reflet des aigreurs de la communauté Noire, à la fin des années 60 aux Etats-Unis. Dès le générique, avant même le nom des comédiens, un carton précise : « avec la communauté Noire », et « film dédié à tous les Noirs qui ont eu des problèmes avec des Blancs ».
(Melvin Van Peebles, né en 1932 : acteur, réalisateur, monteur, compositeur)
L’histoire : Sweetback a été élevé dans un bordel, et devient naturellement gigolo, exhibe dans des spectacles pornos sa virilité inflexible. Son coup de rein est légendaire. Un soir, deux flics blancs l’emmènent en voiture pour un interrogatoire de routine. En chemin, ils interviennent dans une émeute, et embarquent un leader Noir. Plus loin, à l’abri des regards, les deux flics s’arrêtent et tabassent leur prisonnier. Sweetback, témoin de la scène, et comme dans un état second, frappe à son tour les deux flics, les laissent sur le carreau, inconscients, et s’échappe…
Ce film est une longue chasse à l’homme. Sweetback court, tout le temps, dans les rues, hors des villes, dans le désert, vers la frontière mexicaine. Patrouilles de polices, hélicoptères, médias le poursuivent. Il est la cible à abattre. Melvin Van Peebles fustigent la brutalité et le racisme viscéral des forces de police, mais aussi la complicité des journalistes, et celle des Blancs dans leur ensemble. Ce film ne donne pas dans la demi-mesure. Sweetback ne trouve refuge nulle part, pas même auprès d’un prêtre, plus proche de Tartuffe que de Martin Luther King, ni même auprès des Hell’s Angels, autres révoltés face au système. La bande son colle au genre, avec des morceaux funk, mais Van Peebles utilise aussi des dialogues off, des interrogatoires, des interviews, qui ponctuent la course folle de son héros, comme des messages subliminaux. Un procédé qui tient davantage du collage surréaliste, qui rappelle le travail d’un Godard sur la bande son d’un film, kaléidoscope sonore, brutal, qui se révèle au bout du compte dramatiquement très efficace.
Pam Grier, égérie de la Black Exploitation. Elle ne joue pas dans ce film. La présence de cette photo dans cet article n'a qu'un motif purement cinéphilique. Pam Grier ira ensuite cachetonner dans des séries Z sulfureuses, comme l'inénarrable "FEMMES EN CAGE" où elle tient le rôle d'une gardienne de prison pour femmes, sadique et portée sur la pelouse... Après "JACKY BROWN", on l'a retrouvée dans une bonne série télé "THE L WORLD".
Sweet Back à l'oeuvre...
Sur le plan formel, SWEET SWEETBACK est réalisé avec les moyens du bord : décor naturel, caméra à l’épaule, images de rue, volées, sans source d’éclairage artificielle. Ce choix crédibilise l'aspect réaliste, presque documentaire de ce pamphlet. Revers de la médaille : les scènes nocturnes sont à peine lisibles. Van Peebles utilisent aussi des figures de styles propres à cette époque, surimpression, solarisation, zoom. Film radical tant dans le fond, que dans sa forme. Difficilement regardable au début, le film en devient fascinant ensuite. On finit par adhérer au héros, à sa lutte, à sa fuite. Pas de message grandiloquent, ni de déclarations ostentatoires. Le personnage de Sweetback ne dit pas un mot pendant 1h30. On sent que le réalisateur ne croit plus vraiment aux discours, et que le temps de l’action est venu. Van Peebles préfère la démonstration par les faits, de front, sans complaisance (quoique… mais on lui pardonne, le sujet est grave). Je ne dévoilerai pas la fin, mais un dernier carton annonce : « Attention, un Nègre reviendra régler ses comptes ».
SWEET SWEETBACK est un film à part dans le courant de la Black Exploitation, violent et dérangeant. Son aura est sans doute à mettre sur le compte de son impact sociologique, davantage que sur ses qualités strictement cinématographiques. Produit avec un budget minimal de 100 000 dollars, il en rapportera 13 millions ! Un succès immense, qui fit trembler (et réfléchir) les studios hollywoodiens. A commencer par la MGM, qui s’apprêtait à donner vie à l'écran au détective John Shaft... "blanchisé" pour l'occasion. Les hurlements de Van Peebles, et les recettes de son film, ont finalement convaincu le studio de produire SHAFT, et on sait la suite que cela a donné... SWEET SWEETBACK est en ce sens un échelon important de l’histoire du cinéma. A rapprocher de POINT LIMITE ZERO de Richard Sarafian, autre film culte, virée désenchantée où le héros conduit à toute allure sa Dodge Challenger à travers les Etats-Unis, pour échapper à son destin et son époque.
Réalisation, scénario, musique, montage : Melvin Van Peebles
Directeur de la photographie : Bob Maxwell
Production : Melvin Van Peebles et Jerry Gross
Avec : Melvin Van Peebles, Simon Chuckster, Brer Soul, Hubert Scales, John Dullaghan, West Gale
Couleur, 1h37
Directeur de la photographie : Bob Maxwell
Production : Melvin Van Peebles et Jerry Gross
Avec : Melvin Van Peebles, Simon Chuckster, Brer Soul, Hubert Scales, John Dullaghan, West Gale
Couleur, 1h37
Que de choses, que de choses dans ce commentaire. La Blaxploitation, sa dérive, Van Peebles, les magnifiques B.O. de ces films (j'adore), "Point Limite Zero" (culte !), et, et... cerise sur le gâteau : une magnifique photo de Pam Grier.
RépondreSupprimer(purement cinéphile bien sûr)
j'aime ces photos à vocation purement cinéphilique , tu en remettras d'autres , dis, stp? voila en tout cas de quoi faire exploser l'audience de notre blog......
RépondreSupprimerOui, oui, je me sens d'humeur très cinéphile, et artistique. Ah l'Art... la pureté des lignes, des courbes...
RépondreSupprimerEt si vous consacriez TOUT un article avec TOUT pleins de photos à vocation purement cinéphilique ???
RépondreSupprimerMieux : un dossier, que dis-je un dossier... une thèse !!!
Les grands esprits se rencontrent !
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