PIERROT LE FOU est sans doute le film le plus représentatif de Jean Luc Godard, celui où explose le génie de cet auteur hors norme. On y retrouve son amour du cinéma américain, du polar, son coté subversif dans le dynamitage des codes sociaux, ses messages politiques, et bien sûr une démonstration de son style, fait de collages sonores, graphiques (à l’image du somptueux générique), bafouant les règles sclérosées du cinéma des années 50.
Jean Luc Godard, jusque là virulent critique aux Cahiers du Cinéma, avait jeté un pavé dans la mare cinématographique, en 1959, avec A BOUT DE SOUFFLE. Un style nouveau était né. Une déflagration, qui allait se ressentir dans le monde entier, jusqu’à Hollywood. C’est sans doute parce qu’il y a eu Godard, qu’il y a eu EASY RIDER. Parce que Godard proposait une autre manière de faire du cinéma, un cinéma libre, dégagé des contraintes, hors des studios, et qui, dans une enveloppe poétique et stylisée, avait les deux pieds bien ancrés dans les réalités du monde, et de sa génération. On a appelé ce courant La Nouvelle Vague, avec des auteurs comme Agnès Varda, Truffaut, Chabrol, Rivette, Rohmer, Eustache… Ces auteurs sentaient l’air du temps, cet air qu’ils ne respiraient plus dans le cinéma français de l’époque, trop occupé à redorer le blason de vieilles stars, et de ne proposer aux spectateurs que d’aimables divertissements inoffensifs. La querelle des nouveaux et des anciens ! Le choc, frontal, fut terrible, pas toujours de bonne foi, mais force est de reconnaître, 40 ans plus tard, que ce style nouveau a donné naissance à des chefs d’œuvres, a enrichi le patrimoine, et surtout, a permis l’éclosion de talents partout de part le monde. Par le dynamitage des codes cinématographiques, le refus de se plier aux règles, son indépendance créatrice, Jean Luc Godard reste le plus célèbre et le plus influent de ces cinéastes.
PIERROT LE FOU est d’abord l’histoire d’un amour fou, celui de Ferdinand pour Marianne, qui envoie valdinguer sa vie bourgeoise, pour l’aventure et l’inconnu. Trafic d’armes, guerre d’Algérie, barbouzes et révolution, voilà le menu des pérégrinations de nos deux héros. Le film, d’une beauté plastique confondante, aux couleurs éclatantes, regorge de scènes d’anthologie, qui forcent l’admiration. Citons cet échange au début du film, entre Ferdinand et sa femme, qui lui reproche de ne pas avoir superviser les devoirs de sa fille, pour l’emmener au cinéma. Ferdinand/Belmondo répond : « je l’ai emmenée voir Johnny Guitar, il faut bien qu’elle s’éduque » ! Citons encore la soirée mondaine, où les participants ne parlent qu’avec des slogans publicitaires, avec ces filtres de couleurs qui changent la tonalité de chaque plan, et où Belmondo croisera Samuel Fuller (le vrai !). « C’est quoi le cinéma » demande Belmondo à Fuller. « Le cinéma c’est la vie, la mort, la haine, l’amour, la violence… c’est l’émotion », répond le metteur en scène américain. Citons aussi ce chassé-croisé dans un appartement où le couple doit cacher un cadavre. Filmée en plan séquence, depuis le balcon. C’est une scène fabuleuse ! Et puis, ma scène préférée, trois minutes de pure poésie, sur une plage, filmée encore en trois plans séquences où Belmondo et Anna Karina dansent et chantent « ma ligne de chance, chéri, qu’est ce que t’en penses ? » , « ta ligne de hanche ? c’est un sourire dans le matin ! ». Un ballet merveilleux. Anna Karina (ex-femme du metteur en scène) est craquante, et Belmondo fait du Bébel, comme chez de Broca ! Irrésistible ! Les personnages nous interpellent en s’adressant directement à la caméra, comme dans cette dernière scène, fameuse et cocasse, avec un Belmondo peinturluré en bleu… n’en disons pas plus…
"Ma ligne de chance"... Un des plus beaux, plus purs, plus merveilleux moments de cinéma. Bebel et Anna, JLG à la caméra... On se tait, on regarde, et on pleur de bonheur.
PIERROT LE FOU est un film unique, l’occasion de comprendre le travail de Jean Luc Godard, sa manière de déstructurer les intrigues, de faire exploser les codes de narration, de laisser libre court à ses comédiens, et de rendre hommage à sa manière, au cinéma. Ce n’est pas un film facile, moins classique sans doute que son autre chef d’œuvre LE MEPRIS. Godard y poursuit ses recherches formelles inaugurées dans « A bout de souffle », dans un style plus maîtrisé, avec un travail magnifique de Raoul Coutard sur les cadres en scope, et le technicolor flamboyant. A sa sortie en salle, il faut interdit aux moins de 18 ans, pour cause d’anarchisme moral ! Le film préfigure 68, la radicalité politique, le rejet de la société de consommation, les causes indépendantistes. Après A BOUT DE SOUFFLE, Jean Paul Belmondo y décroche son rôle le plus emblématique.
PIERROT LE FOU est un film kaléidoscope, fascinant, subversif et poétique, d’une terrible modernité encore aujourd’hui, c’est un ovni sublime qui nous enrichit à chaque vision.
PIERROT LE FOU (1965)
Scénario : Jean-Luc Godard, d'après Obsession (Le démon d'onze heures), de Lionel White
Production : Georges de Beauregard
Musique : Antoine Duhamel et Cyrus Bassiak
Photographie : Raoul Coutard
Montage : Françoise Collin
Jean-Paul Belmondo, Anna Karina, Graziella Galvani, Dirk Sanders, Samuel Fuller, Raymond Devos, Lazlo Szabo, Jean-Pierre Léaud…
1h55 - couleurs - 2,35:1 -
..."La ligne de chance-hanches"... on dirait du Jacques Demy en plus égrillard... niark-niark-niark !!!
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Ces Godard-là font du bien, un bien fou. Plus tard... j'accroche moins, mais le Mépris, Pierrot le Dingue, et A bout de souffle : OUAIS !