jeudi 27 novembre 2025

LE SOUTHERN ROCK - part 2, par Benjamin


Ce furent de majestueux sanctuaires, des temples que le groupe bâtissait en souvenir de sa propre grandeur. Quelques semaines après la triste disparition de Duane Allman, une bataille rangée annonça la genèse percutante de sa relève. Face à face, les musiciens et les producteurs se toisèrent haineusement, bien décidés à imposer leur vision. 

Dans les rangs de Lynyrd Skynyrd, la musique était une beauté sacrée. Des mois durant, dans les bars les plus crasseux et devant les pires alcooliques, le groupe roda les morceaux qu’il allait enregistrer pour son label. Alors, lorsque les producteurs voulurent imposer leurs idées saugrenues, le ton monta au point qu’il fallut régler le différend par une bagarre. La bataille commença, les producteurs évitant toutefois de se mesurer à l’ours Van Zandt, dont les gros poings s’abattirent au hasard sur le premier malheureux venu.

Né de cette tension, l’album « Pronounced Lynyrd Skynyrd » célébra paradoxalement les fiançailles de la tradition musicale américaine et de la modernité anglaise. Fasciné par le groupe Free, le gang de Jacksonville multiplia les refrains qui sont autant d’hymnes de stade, dota le boogie blues des majestueuses dorures de la pop anglaise. Puis il y eut également et surtout « Free bird », grand crescendo lyrique explosant sur un chorus éblouissant. Devenant rapidement le titre le plus diffusé sur les radios américaines, « Free bird » plaça Lynyrd Skynyrd sur le toit du monde, actant ainsi le rapprochement entre le rock américain et la perfide Albion. 

Ce rapprochement engendra un petit mouvement de résistance, qui fut incarné par les bien nommés Outlaws. A la violence de l’Angleterre et à la trivialité du blues, le groupe préféra un country rock illuminé par la douceur des harmonies vocales inspirées du rêve Californien. Ainsi naquit un premier album incontournable et un live dont l’intensité virtuose et la profondeur patriotique n’ont rien à envier au « Live at Fillmore » des frères Allman. Malheureusement pour ces résistants, les grands albums de Lynyrd Skynyrd déclenchèrent un véritable raz de marée sudiste, une horde de ces américains anglophiles venant redorer le blason des terres du général Lee. 

Formé par Ritchee Medlocke, dont les ancêtres firent parties des fiers guerriers cheyennes, Blackfoot publia trois charges rock qui feraient passer la bataille de Little Big Horn pour une sympathique fête foraine. Si le blues s’inspira dès ses débuts des battements réguliers des locomotives, celle de Blackfoot fonçait tel un TGV en surchauffe. « Gimme, gimme, gimme », « Every man should now », « Wishin well », furent autant de riffs éruptifs portés par les rails d’une rythmique incandescente. 

Grace à cette violence mélodique, ces sudistes s’attirèrent les faveurs des hordes hard blues. Plus raffiné que Status Quo tout en se montrant moins excentrique que Led Zeppelin, la tribu de Medlocke permit au rock sudiste de devenir le refuge d’un néo blues en perte de repères. Le heavy blues et ses millions représenta une manne qu’un rock sudiste frappé par le drame ne tarda pas à exploiter.

Ce fut un triste jour d’automne 1977, Lynyrd Skynyrd s’embarqua dans l’avion devant le conduire à sa prochaine tournée triomphale. Le ciel fut gris comme une pierre tombale, mais le temps étonnement calme ne laissait rien deviner de la catastrophe qui allait advenir. L’avion décolla calmement, chaque musicien prenant ses aises, loin de se douter que ce vol le conduirait à la mort. Quelques minutes après que l’appareil ait atteint l’altitude où il devait avancer, un de ses réacteurs prit feu. Ne faisant que s’aggraver, l’incendie menaça rapidement l’équilibre de l’appareil, qui se mit à piquer du nez tel un canard touché par un tir de chevrotine. Les pilotes furent alors dans la pire situation qu’ils puissent imaginer, celle du conducteur tentant de rattraper les défaillances de son engin en marche. Ne contrôlant plus rien, les pilotes ne purent limiter la violence du crash, qui tua la majeure partie des passagers. 

Ce crash annonça la fin d’un certain âge d’or du rock sudiste, dont les héros survécurent en s’insérant dans les rangs du hard blues, avant de se compromettre dans la pop la plus sirupeuse. « Tomcattin », « Marauder » (Blackfoot), « Beatin the odds », « Take no prisoners » (Molly Hatchet), tous ces disques constituèrent le tonitruant chant du cygne d’un courant qui parvint à unir les traditionalismes des deux rives.

Purisme américain rehaussé par l’excentricité spectaculaire anglaise, la virtuosité de ce mouvement fut ensuite portée par le swing stonien des Black Crowes, la profondeur planante de Gov’t Mule et le country folk rock de Blackberry Smoke, symbole d’une terre fière de sa culture musicale. 



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