Ce
furent de majestueux sanctuaires, des temples que le groupe bâtissait
en souvenir de sa propre grandeur. Quelques semaines après la triste
disparition de Duane Allman, une bataille rangée annonça la genèse
percutante de sa relève. Face à face, les musiciens et les
producteurs se toisèrent haineusement, bien décidés à imposer
leur vision.
Dans les rangs de Lynyrd Skynyrd, la musique était une
beauté sacrée. Des mois durant, dans les bars les plus crasseux et
devant les pires alcooliques, le groupe roda les morceaux qu’il
allait enregistrer pour son label. Alors, lorsque les producteurs
voulurent imposer leurs idées saugrenues, le ton monta au point
qu’il fallut régler le différend par une bagarre. La bataille
commença, les producteurs évitant toutefois de se mesurer à l’ours
Van Zandt, dont les gros poings
s’abattirent au hasard sur le premier malheureux venu.
Né de cette
tension, l’album « Pronounced Lynyrd
Skynyrd »
célébra paradoxalement les fiançailles de la tradition musicale
américaine et de la modernité anglaise. Fasciné par le groupe
Free, le gang de Jacksonville multiplia les refrains qui sont autant
d’hymnes de stade, dota le boogie blues des majestueuses dorures de
la pop anglaise. Puis il y eut également et surtout « Free
bird », grand crescendo lyrique explosant sur un chorus
éblouissant. Devenant rapidement le titre le plus diffusé sur les
radios américaines, « Free bird » plaça Lynyrd Skynyrd
sur le toit du monde, actant ainsi le rapprochement entre le rock
américain et la perfide Albion.
Ce rapprochement engendra un petit
mouvement de résistance, qui fut incarné par les bien nommés
Outlaws. A la violence de l’Angleterre et à la trivialité du
blues, le groupe préféra un country rock illuminé par la douceur
des harmonies vocales inspirées du rêve Californien. Ainsi naquit un
premier album incontournable et un live dont l’intensité virtuose
et la profondeur patriotique n’ont rien à envier au « Live
at Fillmore » des frères Allman. Malheureusement pour ces
résistants, les grands albums de Lynyrd Skynyrd déclenchèrent un
véritable raz de marée sudiste, une horde de ces américains
anglophiles venant redorer le blason des terres du général Lee.
Formé par Ritchee Medlocke, dont les ancêtres firent parties des
fiers guerriers cheyennes, Blackfoot publia trois charges rock qui
feraient passer la bataille de Little Big
Horn
pour une sympathique fête foraine. Si le blues s’inspira dès ses
débuts des battements réguliers des locomotives, celle de Blackfoot
fonçait tel un TGV en surchauffe. « Gimme, gimme, gimme », « Every man should now », « Wishin
well », furent autant de riffs éruptifs portés par les rails
d’une rythmique incandescente.
Grace à cette violence mélodique,
ces sudistes s’attirèrent les faveurs des hordes hard blues. Plus
raffiné que Status Quo
tout en se montrant moins excentrique que Led Zeppelin,
la tribu de Medlocke permit au rock sudiste de devenir le refuge d’un
néo blues en perte de repères. Le heavy blues et ses millions
représenta une manne qu’un rock sudiste frappé par le drame ne
tarda pas à exploiter.
Ce fut un triste jour d’automne 1977, Lynyrd
Skynyrd s’embarqua dans l’avion devant le conduire à sa
prochaine tournée triomphale. Le ciel fut gris comme une pierre
tombale, mais le temps étonnement calme ne laissait rien deviner de
la catastrophe qui allait advenir. L’avion décolla calmement,
chaque musicien prenant ses aises, loin de se douter que ce vol le
conduirait à la mort. Quelques minutes après que l’appareil ait
atteint l’altitude où il devait avancer, un de ses réacteurs prit
feu. Ne faisant que s’aggraver, l’incendie menaça rapidement
l’équilibre de l’appareil, qui se mit à piquer du nez tel un
canard touché par un tir de chevrotine. Les pilotes furent alors
dans la pire situation qu’ils puissent imaginer, celle du
conducteur tentant de rattraper les défaillances de son engin en
marche. Ne contrôlant plus rien, les pilotes ne purent limiter la
violence du crash, qui tua la majeure partie des passagers.
Ce crash
annonça la fin d’un certain âge d’or du rock sudiste, dont les
héros survécurent en s’insérant dans les rangs du hard blues,
avant de se compromettre dans la pop la plus sirupeuse.
« Tomcattin », « Marauder »(Blackfoot),
« Beatin the odds »,
« Take no prisoners »(Molly
Hatchet),
tous ces disques constituèrent le tonitruant chant du cygne d’un
courant qui parvint à unir les traditionalismes des deux
rives.
Purisme américain rehaussé par l’excentricité
spectaculaire anglaise, la virtuosité de ce mouvement fut ensuite
portée par le swing stonien des Black Crowes, la profondeur planante
de Gov’t Mule
et le country folk rock de Blackberry Smoke,
symbole d’une terre fière de sa culture musicale.
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