Il faut juste se mettre en condition, se dire que finalement, ce BRUTALIST ne fait que 10 minutes de plus que le dernier Scorsese, ou la moitié du NAPOLEON d’Abel Gance. Autres prérequis : un bon fauteuil et un casse-croute pour l’entracte.
Je vous avais déjà expliqué, croquis à l'appui, le procédé VistaVision, né dans les années 50. C’est une caméra à défilement horizontal (et non vertical). La largeur de l’image basculée à 180° devient donc sa hauteur, la surface de pellicule impressionnée est donc double, un piqué d’image deux fois supérieur à un film classique, le 4K argentique ! Et c’est vrai qu’à l’écran l’image est impressionnante de précision. La VistaVision n'a rien à voir avec le cinémascope (procédé optique, anamorphique), ou écran large, d'ailleurs Corbet opte ici pour le ratio 1:1.66 (norme européenne) et parfois le 1.37. Bon j’arrête là, j’en ai perdu la moitié en route…
Un peu à la manière de CITIZEN KANE (on y pense aussi) Brady Corbet semble filmer un biopic, en lui donnant une patine documentaire avec ces images d’archives de pubs institutionnelles (Pennsylvanie, travaux publics) qui renforcent la véracité du récit (et aussi économisent temps de tournage et budget). Mais dans la dernière partie, Corbet fabrique de fausses archives (format vidéo 1:37), comme le faisait justement Orson Welles. Un merveilleux tour de passe-passe, puisque THE BRUTALIST est une fiction à 100% !
Déjà le générique tape dans l’œil, par pavé, graphique (en mode brutaliste) avec défilement de droite à gauche. La première scène impressionne, un plan séquence qui suit László Tóth parmi une foule d’émigrés surexcités, depuis les cales jusqu’au pont du navire qui approche de New York, et cette première vision de l’Amérique, une statue de la Liberté, à l’envers, renversée. L’arrivée de migrants à Ellis Island on en a vu plein au cinéma, mais jamais filmée comme ça, là encore, les contraintes budgétaires peuvent expliquer le non recours aux majestueux plans extérieurs, mais l'intensité prédomine.
C’est un film qui brasse plusieurs univers, on pense à Coppola pour la lutte entre l’artiste et le financier, mais aussi pour les tragédies familiales, on pense beaucoup au Paul Thomas Anderson de THERE WILL BE BLOOD pour la fresque historique qui montre une Amérique à deux totems : fric et religion. L'image de ces grues plantées sur la colline rappellent furieusement les croix du mont Golgotha. László est juif, ne renie pas ses origines contrairement à Attila qui s’est converti au catholicisme pour protéger ses arrières. Van Buren est protestant, et on verra que tout cela ne fait pas bon ménage. Insidieusement le vernis de la famille Van Buren se craquelle, entre le fils qui besogne sa sœur jumelle, et le père qui laissera éclater son mépris de classe, son racisme, son antisémitisme.
Van Buren (toujours excellent Guy Pearce, le jeune flic idéaliste de L.A. CONFIDENTIAL) représente l’élite WASP, pétri d’amour pour sa feue mère, au centre de toutes les attentions, qui règne en maitre, mécène courageux au départ mais qui travaille à construire sa propre gloire. La manière dont il accueille chez lui la femme et la nièce de László (qu’un ami avocat a réussi à rapatrier d’Europe, très belle scène à la gare) sonne faux, empathie surjouée. Le mépris de cette famille pour ces émigrés, juifs de surcroit, éclate à la fin lors d’une scène stupéfiante, encore un long plan séquence où la violence hystérique du fils se déchaine. Ce qui suit, la recherche de Van Buren dans les fondations inondées du bâtiment, est absolument superbe de tension, qui culmine avec cette croix lumineuse projetée sur l'autel en marbre d'une chapelle (idée de l'architecte pour plaire aux commanditaires chrétiens, dont le réalisateur se plait à retarder la vision).
L’aspect architectural est très bien rendu, Corbet filme les coups de crayons, les dessins, les maquettes, filme les engins, les outils, les discussions de chantier faisandées par les idéologies. Corbet filme admirablement les espaces (les plans extérieurs sont de toute beauté, scènes sur la colline) les volumes, les textures, la lumière (scène dans la nouvelle bibliothèque). Superbes scènes en Italie dans la carrière de marbre blanc, engloutie par le brouillard, immensité du décor et petitesse des êtres. Et plus tôt, à la fonderie, le personnage en contre plongé sur le bleu du ciel nocturne. Le grain de la photographie est superbe (pellicule 35 mm), renvoie aux années 50, on pense parfois à Douglas Sirk, qui sous le vernis de la belle image raconte la brutalité du monde et des sentiments.
THE BRUTALIST donne à voir des images d'une puissance folle, un film très riche en termes de mise en scène comme dans ce qu’il englobe de thématiques (un « film monde »). Adrien Brody (comme le reste de la distribution) y est superbe, sans en faire des tonnes, il porte le film sur ses épaules, comme il portait LE PIANISTE de Polanski, dans un rôle proche. C'est du grand et très beau cinéma, conçu pour le grand écran, d'une ambition folle.
- oui Sonia ? vous lisez par dessus de mon épaule, un truc vous défrise ?
- vous ne décrochez les six étoiles ?
Est-ce vraiment le chef d’œuvre incroyable et envoutant comme il est présenté parfois ? On verra avec le temps. C'est un film extraordinaire, mais il lui manque sans doute un ingrédient, et pas des moindres : l'émotion.
Je n'ai pas complètement ressenti l'âpreté tragique de THERE WILL BE BLOOD, l’ampleur narrative de IL ETAIT UNE FOIS EN AMERIQUE ou LA PORTE DU PARADIS, la poésie visuelle de LES MOISSONS DU CIEL, pour citer quatre films qui semblent avoir été la matrice de ce BRUTALIST.
Monsieur fait dans l'effet de style, bravo. Des paragraphes dithyrambiques, puis la chute qu'on n'attend pas, après intervention d'un tiers.
RépondreSupprimerF&F "a couté 340 millions…" 😲 Une forte partie du budget doit servir à s'en mettre plein les poches. M'enfin !
RépondreSupprimerDonc, si j'ai bien compris, avec un film en VistaVision qui dure 3 h 35, pour voir l'image horizontale il faut passer 3 h 35 pendu par les pieds dans un cinéma ? Heureusement qu'il y a un entracte ...
RépondreSupprimerC'est un peu ça, les sièges de la salle étaient munis de ceintures de sécurité pour éviter de perdre des spectateurs en route !
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