Je pensais que May December était le nom du personnage, ce qui aurait été cocasse, mais non. C’est une expression, intraduisible en français, qui décrit la relation entre deux personnes ayant une grande différence d’âge. Le printemps et l’hiver. L’histoire est basée sur celle de Mary Kay Letourneau (dans le film de Todd Haynes (<= photo) elle s’appelle Gracie Atherton-Yoo), professeur de math qui avait défrayé la chronique au début des années 90, en séduisant un de ses élèves âgé de 12 ans. Condamnée et emprisonnée pour détournement de mineur, ils ont repris ensuite leur vie ensemble, se sont mariés, ont eu des enfants… Elle est décédée il y a trois ans.
MAY DECEMBER raconte comment l’actrice Elizabeth Berry (Natalie Portman) s'immerge dans la vie de Gracie Atherton-Yoo (Julianne Moore) avant d'en incarner le rôle au cinéma. Une méthode très américaine, comme de Niro avait réellement conduit un cab pour préparer TAXI DRIVER. Nous, français, on tique tout de même devant ce postulat peu crédible, c'était d'ailleurs l'argument comique du film MAKING OF de Cédric Kahn : je débarque chez toi, je cuisine avec toi, je dîne avec toi, j'interviens dans le lycée de tes mômes...
Elizabeth s’invite à un barbecue, première scène très réussie du film. C’est une star, une intruse, on sent la distance, la gêne, presque l’impudeur de la situation. Et le malaise grandit au fur et à mesure que l'actrice tape l'incruste. Quand Elizabeth questionne Gracie sur sa vie actuelle, elle rétorque brutalement : « votre film porte sur les années 1992-94, en quoi ma vie d’aujourd’hui vous intéresse ? ». Et le spectateur de se demander : ben pourquoi avoir accepté que cette actrice s’immisce dans ta vie, alors ? Todd Haynes ne rentre jamais dans le détail de l’affaire, ce n’est pas un biopic, le sujet est ailleurs, dans cette rencontre de deux femmes, et ce portrait d’actrice.
Portrait d’une grande banalité d’ailleurs, il ne s'y dit pas de choses passionnantes. Quand Elizabeth répond aux élèves du lycée lors d’une master-class, on ne sait pas si c’est Elizabeth qui parle ou Natalie Portman elle-même. Qui est productrice et instigatrice du projet. Ca pue le narcissisme à plein nez. Elizabeth est maniérée, maladroite, se la joue près du peuple, sa démarche est très ambiguë.
Gracie est assez pénible aussi. Qui pleurniche pour un oui ou pour un non. On la pensait plus combative vu son histoire. Sa vie est pathétique. Elle vend des gâteaux (sont-ils bons ?) mais on apprendra de son ex-mari que seuls ses amis proches en passent commande. Comment se paie-t-elle cette fabuleuse maison ? Si au départ on voit Gracie très amoureuse et complice de son mari Joe (plan où ils sont enlacés sur le transat, observés par Elizabeth, est-ce pour donner le change ?) on découvre une femme qui infantilise son conjoint, se comporte en mère plus qu’en épouse. Fais-ci, fais-ça, range ta chambre, va prendre ta douche, tu pues la viande grillée… Horripilante !
C’est Joe qui trouve grâce à nos yeux. Ce grand balaise juvénile semble être resté dans son cocon d’enfant. Privé d’adolescence, et pour cause, il n’a pas eu le temps de vivre. Voir la belle scène sur le toit avec son fils qui va quitter le nid pour rentrer à la fac. Le fiston fume un pétard, son père lui avoue n’avoir jamais essayé. L’acteur Charles Melton, très un retrait comme son personnage, parait très jeune (30 ans de moins que Julianne Moore). Un grand ado qui correspond en secret par sms avec une femme, à propos de papillons qu’il élève. On aura saisi la symbolique de la chrysalide, du papillon qui prend son envol, comme plus tard la symbolique du serpent, le péché.
Ce qui
intéresse Todd Haynes, c’est ce double portrait de femmes. On pense évidemment
à PERSONA de Bergman, et au VERTIGO d’Hitchcock. Beaucoup de jeux de miroirs,
de reflets : superbe scène d’essayage au magasin, avec cette remarque odieuse de Gracie
sur les bras potelés de sa fille. Elizabeth et Gracie se retrouvent souvent
devant une glace (et donc face caméra) l'une maquille l'autre, Haynes
filme les profils, des visages tronqués par les cadres, comme des pièces de
puzzle. Elles semblent fusionner lorsqu'elles apparaissent en perruque blonde et robe blanche.
Le film met tout de même du temps à démarrer. Au départ tout est très lisse, sans aspérité, à l’image de la photographie, désaturée, laiteuse, trop douce pour être honnête. Les focales laissent les bords de l’image légèrement flous (scène du dîner). Pas sûr que ce soit volontaire, j’ai personnellement trouvé le rendu de l’image assez moyen, comme un dvd gonflé en 4K.
Puis une question s’immisce : qui manipule qui ? Excellente scène au restaurant avec toute la fratrie, la remise des diplômes, les mensonges du fils aîné, les mensonges de Gracie. Le film est rythmé par un thème de Michel Legrand repris du film LE MESSAGER de Joseph Losey (1971). Le souci pour les spectateurs français c’est que c’est aussi la musique de l’émission « Faites entrer l’accusé » que Todd Haynes utilise à toutes les sauces !
Avis mitigé, à cause de la redondance de certaines scènes, du rythme qui peine à décoller, du sujet (à priori) central qui est évacué. Todd Haynes est un grand metteur en scène, ses images sont très belles, lourdes de sens. Voir ses excellents LOIN DU PARADIS (avec déjà Julianne Moore, 5 films ensemble), CAROL, VELVET GOLDAMINE, I’M NOT THERE (sur Bob Dylan), DARK WATERS. J’ai l’impression qu’il a été vampirisé par son duo d’actrices, excellentes au demeurant, mais dont la prestation écrase sans doute le sujet originel qui passe au second plan. A moins que ce n’eut été qu’un prétexte.
Heureusement, il nous épargne au générique de fin les fameuses vraies images des vrais personnages. Mais pas la liste interminable des producteurs, tantôt associés ou exécutifs, qui ont dû peser sur chaque étape de ce film qui ressemble tout de même à une commande de la productrice Natalie Portman, plus qu’à un projet personnel.
C'est un détail mais pas de "h" à "il avait un joli nom, mon guide" Natalie...
RépondreSupprimerHonte sur moi, d'autant que c'était inscrit sur l'affiche du film. Merci. C'est corrigé.
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