Sonia rentre de chez madame Portillon. Elle était passée voir la
logeuse après avoir promené le chien du voisin, Boby, un adorable
scottish terrier gris. Elle lui lance une balle et aussitôt le chien la
rattrape et la lui rapporte. Sonia continue à jouer avec le chien quand
Nema l’arrête brusquement :
- Stop ! Un conseil : ne t’avise pas de faire ce jeu avec le chien dans
l’escalier qui monte chez madame Portillon !
- Mais, heu… Mais Boby aime bien jouer et madame Portillon aime bien
Boby, répond Sonia…
- Non, crois-moi, un scottish terrier plus une balle, c’est très
dangereux. Ça me rappelle un roman d’Agatha Christie "Témoin Muet".
Sonia hausse les épaules, prend Boby dans ses bras et sort de
l’appartement.
Agatha Christie vers 1930 |
Un roman d’Agatha Christie. Ça se lit encore ? Alors que de nombreuses adaptations au cinéma ou en
séries télévisées ont été faites à partir de l’œuvre de cette autrice
remarquable d’inventivité et de malignité, avec ses romans policiers si bien
élaborés, on aurait encore envie de lire ce genre de roman daté ? Et oui.
Cet été en faisant quelques rangements dans la maison de vacances familiale
je suis tombée sur une pile de romans, édités par le
Club des Masques dans les années 1970. Bon. Le papier n’étant
pas d’une qualité excellente, et le stockage dans le grenier loin d’être
parfait, ces livres offrent à ma vue des pages jaunies et à mon odorat une
délicate odeur de moisi. Qu’importe. Lovée dans un fauteuil Ikea, je déguste
"Témoin Muet" comme une petite madeleine, pardon, plutôt un "muffin", un peu rassis. A
noter qu’il s’agit de la traduction de 1950, ce qui apporte un petit
charme supplémentaire.
My name is Boby I'm grey scottish terrier |
Donc nous voici en 1936. En Angleterre, vous vous en doutez. Très
précisément à
Market Basing, bourgade qui sera le cadre de plusieurs histoires policières de la chère
Agatha. Miss Arundell, une vieille dame d’un autre âge (comprenez de l’époque Victorienne 1837 –
1901) est la propriétaire de
Littlegreen, un grand cottage au somptueux jardin. Elle attend, pour les fêtes
de Pâques, sa famille. Il faut que
Miss Lawson, sa dame de compagnie, organise tout : les chambres qui seront attribuées
à telle ou telle personne, les menus etc.
Miss Arundell est très exigeante
et, soyons claire, sèche et autoritaire avec
Minnie Lawson qui paraît un peu
benête. Bien entendu, il y a des domestiques : une femme de chambre et une
cuisinière. Et pour le jardin, un jardinier. Bref un milieu aisé et
solidement installé dans cette campagne.
Charles et sa sœur
Thérésa, ainsi que Bella et son mari
le docteur Tanios viennent donc
passer trois jours chez leur tante.
Charles est un beau garçon,
hâbleur et désinvolte, horriblement dépensier et dénué de tout scrupule.
Thérésa est une jolie jeune
femme élégante, très coquette, aimant le luxe et paradoxalement fiancée à un
jeune docteur pauvre, très prometteur,
Rex Donaldson, mais très taciturne et obnubilé par la recherche vaccinale. La mère de
ces deux-là a été dans le passé accusée de crime. Bonjour l’ambiance.
Quant à Bella, elle suit son mari comme un toutou, imite sa cousine
Thérésa comme une ombre (mais à
bon marché car elle n’a pas les moyens de se payer des robes de haute
couture) et se trouve toute désemparée en l’absence de ses enfants. Le
docteur Tanios est grec, donc
étranger, et il y a un peu de distance avec cet homme, au demeurant très
affable et sympathique, mais dont la peau est de couleur bistre.
D’autres personnages, bien entendu, gravitent autour de
Miss Arundell comme par exemple
deux sœurs adeptes de spiritisme très copines avec
Minnie Lawson. Mais la vieille Miss, si elle est d’accord pour essayer de temps en temps
le dialogue avec l’au-delà, n'y croit vraiment. Le bon
docteur Grainger suit
Miss Arundell depuis si
longtemps qu’ils sont amis. Il lui prescrit des pilules pour son foie. Et il
autorise des remèdes anodins recommandés par
Miss Lawson et ses deux
complices en spiritisme.
English cottage for sale around 1930 |
Une lettre parvient à
Hercule Poirot. Le 28 juin. Il la relit deux fois à la grande surprise de son ami le
capitaine Hastings, venu rendre au détective. En général,
Hercule Poirot classe
verticalement la plupart des courriers reçus. Qu’est-ce qui a attiré
l’attention du cher Hercule aux
grandes baccantes ? La date de rédaction de la lettre est le 11 avril. Cela
semble curieux alors que dans le texte, Emily Arundell
demande une prompte réponse.
Hercule Poirot décide donc
d’aller avec Hastings à
Market Basing
et de rencontrer Miss Arundell.
Curieusement, arrivés devant
Littlegreen, les deux compères découvrent que la propriété est à vendre. En fait,
Miss Arundell est morte. Bon.
Cela arrive à bon nombre de personnes âgées, et finalement à toutes. Mais
voilà, toutes n’écrivent pas à un détective privé quelques jours avant leur
mort. La lettre est très embrouillée.
Poirot use de multiples
subterfuges pour entrer en relation avec les uns et les autres. Le testament
avait été changé peu de jours avant le décès.
Il y a Boby le chien de
Miss Arundell qui adore faire
rouler sa balle jusqu’en bas de l’escalier. Or
Miss Arundell a fait une
mauvaise chute dans cet escalier pendant que sa famille était là.
Coïncidence ou pas ? Elle meurt peu de temps après mais pas du tout des
suites de cette chute. De mort naturelle ou pas ? Et
Poirot bavarde avec les uns et
avec les autres. Et
Hastings s’interroge, pour lui
il n’y a rien qui fasse penser à un meurtre.
Mais Poirot ayant un doute, petit à petit des éléments vont venir dessiner une ambiance de plus en plus trouble : d’abord tous les neveux et nièces ont besoin d’argent, ensuite il y a le récit d’une vision d’une broche sur une robe de femme à genou dans l’escalier dans un miroir, justement le soir de l’accident dans cet escalier, et puis le récit d’un halo lumineux autour de la tête de Miss Arundell lors d’une séance de spiritisme peu de temps avant sa mort. Comme tout cela est étrange. On est en fait tenu en haleine jusqu’aux dernières pages. Tout comme Hastings qui ne trouve pas l’assassin alors qu’il assiste à toutes les rencontres de Poirot avec les différents protagonistes.
Petite incursion dans les années 1930, quand les meubles de bois massif
sentaient bon l’encaustique, quand les pharmaciens élaboraient les
prescriptions dans leurs officines, quand pour un film au cinéma il y avait
le changement de bobine. Accessoirement, certains passages m’ont fait penser
à la série Downton Abbey, car la description des tenues et le langage des domestiques, le respect
de la hiérarchie entre la demoiselle de compagnie et la cuisinière par
exemple, sont typiquement anglais et habilement repris dans la série ou dans
les films de ce monument so british de
Julian Fellows.
Pour un retour aux sources du polar type Cluedo, bonne lecture !
Librairie des Champs-Elysées, Club des Masques
253 pages
La traduction de cette édition devenue collector est de Louis Postif (1887-1942), un polyglotte qui traduisit les œuvres d'Agatha Christie entre 1930 et 1940. L'éditeur le masque a fait retraduire par la suite et d'après Nema, ce n'était forcément en bien… Ajoutons qu'il traduisit aussi Jacques London et pour les anciens comme Le Toon, des publications pour ados de la "bibliothèque verte".
Autre chronique consacrée à Agatha Christie, de la plume d'Elodie en 2010 : "Le Noëls d'Hercule Poirot" (Clic).
Traduction de Louis Postif ?
RépondreSupprimerExact ! et bravo….
RépondreSupprimerJe vais de ce pas compléter le billet de notre chère Nema...
Merci.