vendredi 29 septembre 2023

Agatha CHRISTIE – Témoin muet (1937 – traduction de 1950 de Louis Postif) – par Nema M.


Sonia rentre de chez madame Portillon. Elle était passée voir la logeuse après avoir promené le chien du voisin, Boby, un adorable scottish terrier gris. Elle lui lance une balle et aussitôt le chien la rattrape et la lui rapporte. Sonia continue à jouer avec le chien quand Nema l’arrête brusquement :

- Stop ! Un conseil : ne t’avise pas de faire ce jeu avec le chien dans l’escalier qui monte chez madame Portillon !

- Mais, heu… Mais Boby aime bien jouer et madame Portillon aime bien Boby, répond Sonia…

- Non, crois-moi, un scottish terrier plus une balle, c’est très dangereux. Ça me rappelle un roman d’Agatha Christie "Témoin Muet".

Sonia hausse les épaules, prend Boby dans ses bras et sort de l’appartement.


Agatha Christie vers 1930

Un roman d’Agatha Christie. Ça se lit encore ? Alors que de nombreuses adaptations au cinéma ou en séries télévisées ont été faites à partir de l’œuvre de cette autrice remarquable d’inventivité et de malignité, avec ses romans policiers si bien élaborés, on aurait encore envie de lire ce genre de roman daté ? Et oui. Cet été en faisant quelques rangements dans la maison de vacances familiale je suis tombée sur une pile de romans, édités par le Club des Masques dans les années 1970. Bon. Le papier n’étant pas d’une qualité excellente, et le stockage dans le grenier loin d’être parfait, ces livres offrent à ma vue des pages jaunies et à mon odorat une délicate odeur de moisi. Qu’importe. Lovée dans un fauteuil Ikea, je déguste "Témoin Muet" comme une petite madeleine, pardon, plutôt un "muffin", un peu rassis. A noter qu’il s’agit de la traduction de 1950, ce qui apporte un petit charme supplémentaire.


My name is Boby
I'm grey scottish terrier

Donc nous voici en 1936. En Angleterre, vous vous en doutez. Très précisément à Market Basing, bourgade qui sera le cadre de plusieurs histoires policières de la chère Agatha. Miss Arundell, une vieille dame d’un autre âge (comprenez de l’époque Victorienne 1837 – 1901) est la propriétaire de Littlegreen, un grand cottage au somptueux jardin.  Elle attend, pour les fêtes de Pâques, sa famille. Il faut que Miss Lawson, sa dame de compagnie, organise tout : les chambres qui seront attribuées à telle ou telle personne, les menus etc. Miss Arundell est très exigeante et, soyons claire, sèche et autoritaire avec Minnie Lawson qui paraît un peu benête. Bien entendu, il y a des domestiques : une femme de chambre et une cuisinière. Et pour le jardin, un jardinier. Bref un milieu aisé et solidement installé dans cette campagne.

Charles et sa sœur Thérésa, ainsi que Bella et son mari le docteur Tanios viennent donc passer trois jours chez leur tante. Charles est un beau garçon, hâbleur et désinvolte, horriblement dépensier et dénué de tout scrupule. Thérésa est une jolie jeune femme élégante, très coquette, aimant le luxe et paradoxalement fiancée à un jeune docteur pauvre, très prometteur, Rex Donaldson, mais très taciturne et obnubilé par la recherche vaccinale. La mère de ces deux-là a été dans le passé accusée de crime. Bonjour l’ambiance.

Quant à Bella, elle suit son mari comme un toutou, imite sa cousine Thérésa comme une ombre (mais à bon marché car elle n’a pas les moyens de se payer des robes de haute couture) et se trouve toute désemparée en l’absence de ses enfants. Le docteur Tanios est grec, donc étranger, et il y a un peu de distance avec cet homme, au demeurant très affable et sympathique, mais dont la peau est de couleur bistre.

D’autres personnages, bien entendu, gravitent autour de Miss Arundell comme par exemple deux sœurs adeptes de spiritisme très copines avec Minnie Lawson. Mais la vieille Miss, si elle est d’accord pour essayer de temps en temps le dialogue avec l’au-delà, n'y croit vraiment. Le bon docteur Grainger suit Miss Arundell depuis si longtemps qu’ils sont amis. Il lui prescrit des pilules pour son foie. Et il autorise des remèdes anodins recommandés par Miss Lawson et ses deux complices en spiritisme.  



English cottage for sale around 1930

Une lettre parvient à Hercule Poirot. Le 28 juin. Il la relit deux fois à la grande surprise de son ami le capitaine Hastings, venu rendre au détective. En général, Hercule Poirot classe verticalement la plupart des courriers reçus. Qu’est-ce qui a attiré l’attention du cher Hercule aux grandes baccantes ? La date de rédaction de la lettre est le 11 avril. Cela semble curieux alors que dans le texte, Emily Arundell demande une prompte réponse. Hercule Poirot décide donc d’aller avec Hastings à Market Basing et de rencontrer Miss Arundell.

Curieusement, arrivés devant Littlegreen, les deux compères découvrent que la propriété est à vendre. En fait, Miss Arundell est morte. Bon. Cela arrive à bon nombre de personnes âgées, et finalement à toutes. Mais voilà, toutes n’écrivent pas à un détective privé quelques jours avant leur mort. La lettre est très embrouillée. Poirot use de multiples subterfuges pour entrer en relation avec les uns et les autres. Le testament avait été changé peu de jours avant le décès.

Il y a Boby le chien de Miss Arundell qui adore faire rouler sa balle jusqu’en bas de l’escalier. Or Miss Arundell a fait une mauvaise chute dans cet escalier pendant que sa famille était là. Coïncidence ou pas ? Elle meurt peu de temps après mais pas du tout des suites de cette chute. De mort naturelle ou pas ? Et Poirot bavarde avec les uns et avec les autres. Et Hastings s’interroge, pour lui il n’y a rien qui fasse penser à un meurtre.

Mais Poirot ayant un doute, petit à petit des éléments vont venir dessiner une ambiance de plus en plus trouble : d’abord tous les neveux et nièces ont besoin d’argent, ensuite il y a le récit d’une vision d’une broche sur une robe de femme à genou dans l’escalier dans un miroir, justement le soir de l’accident dans cet escalier, et puis le récit d’un halo lumineux autour de la tête de Miss Arundell lors d’une séance de spiritisme peu de temps avant sa mort. Comme tout cela est étrange. On est en fait tenu en haleine jusqu’aux dernières pages. Tout comme Hastings qui ne trouve pas l’assassin alors qu’il assiste à toutes les rencontres de Poirot avec les différents protagonistes. 

 

Petite incursion dans les années 1930, quand les meubles de bois massif sentaient bon l’encaustique, quand les pharmaciens élaboraient les prescriptions dans leurs officines, quand pour un film au cinéma il y avait le changement de bobine. Accessoirement, certains passages m’ont fait penser à la série Downton Abbey, car la description des tenues et le langage des domestiques, le respect de la hiérarchie entre la demoiselle de compagnie et la cuisinière par exemple, sont typiquement anglais et habilement repris dans la série ou dans les films de ce monument so british de Julian Fellows

 

Pour un retour aux sources du polar type Cluedo, bonne lecture !

 

Librairie des Champs-Elysées, Club des Masques

253 pages


La traduction de cette édition devenue collector est de Louis Postif (1887-1942), un polyglotte qui traduisit les œuvres d'Agatha Christie entre 1930 et 1940. L'éditeur le masque a fait retraduire par la suite et d'après Nema, ce n'était forcément en bien… Ajoutons qu'il traduisit aussi Jacques London et pour les anciens comme Le Toon, des publications pour ados de la "bibliothèque verte".


Autre chronique consacrée à Agatha Christie, de la plume d'Elodie en 2010 : "Le Noëls d'Hercule Poirot" (Clic).


2 commentaires:

  1. Traduction de Louis Postif ?

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  2. Exact ! et bravo….
    Je vais de ce pas compléter le billet de notre chère Nema...
    Merci.

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