Mine de rien, Sam Mendes commence à avoir une belle carrière au cinéma, alors qu’il est avant tout un homme de théâtre. Et comme il est anglais, il a surtout monté des pièces de Shakespeare (comme c’est original !). Y’a de belles choses dans sa filmographie, à commencer par son coup d’essai AMERICAN BEAUTY (1999), LES SENTIERS DE LA PERDITION (2002), LES NOCES REBELLES (2008), et coup double jamesbondien SKYFALL et SPECTRE, puis l’exercice de style en long plan séquence dans les tranchées de 1917… Pas mal pour un théâtreux.
Qui dans EMPIRE OF LIGHT rend à la fois hommage au cinéma (et particulièrement la salle de cinéma) mais filmé comme au théâtre, en respectant souvent l’unité de lieu.
Nous sommes au début des années 80 (à l’affiche « Les
Blues Brothers »), dans une station balnéaire anglaise (oui oui, y’en a !)
qui pourrait ressembler à Brighton en plus moche. La caméra cadre l’intérieur du
hall d’un vieux cinéma, superbe bâtisse en front de mer, qui s’illumine au fur
et à mesure qu’Hilary (une employée) allume les lumières. Le plan est superbe,
tout en symétrie, en ocre et or. Les autres employés arrivent, et c’est
leurs petites histoires qu’on va suivre, leurs quotidiens, en particulier celui
d’Hilary Small, une vie faite de gestes répétés, on le voit au début, lumières, rangement, ménage... La routine est heureusement brisée avec l'arrivée d'un p'tit nouveau, Stephen.
Hilary doit apprendre le travail à Stephen, ils passent du temps ensemble, elle lui fait visiter les lieux. Belle scène où on découvre à l’étage des salles vacantes, poussiéreuses, avec de larges baies vitrées sur la mer, comme une vieille maison de famille inhabitée avec ses linges blancs sur les fauteuils. On s’y sent bien, à l’abri. C’est un peu le message que passe Sam Mendes, un théâtre ou une salle de cinéma est comme un cocon, un petit monde dans le grand monde.
Ce cinéma, c’est une famille. Il y a un patriarche. Le patron Donald Ellis, rigide comme une trique, qui fait régulièrement venir Hilary dans son bureau sous de faux prétextes pour réclamer sa petite branlette. Il pourrait y avoir l’oncle un peu maniaque, Norman, le projectionniste, dont la cabine est un sanctuaire. Jolie scène où il y fait entrer Stephen, lui expliquant le mécanisme du cinéma, les 24 images qui défilent par seconde (tiens, comme dans THE FABELMANS) la synchronisation des bobines.
Stephen est jeune et beau garçon. Il est noir. Il bosse ici en attendant mieux, retourner à ses études d’architecture. Les p’tites employées lorgnent sur lui, mais celle qui aura sa préférence est Hilary, qui est deux fois plus âgée, une vieille fille à la santé mentale fracassée. A son médecin elle dit qu'elle est "éteinte". Leur relation est très spéciale, sexuelle mais pas que, deux solitudes qui se rencontrent. Y-a-t-il de la pitié chez Stephen ? La caméra de Sam Mendes est au petit soin pour ses personnages, mais garde cependant une distance assez froide, ne parvient pas à leur insuffler de la chair. Le film est sombre, comme la vie des protagonistes, Sam Mendes n’est pas franchement le premier pour la rigolade. L’ambiance est même un peu pesante, la légèreté aurait pu venir des rôles secondaires, un peu trop éclipsés par le duo Hilary / Stephen.
Il y a une belle scène avec une manifestation de skinheads qui passe devant le cinéma. Sam Mendes a l’intelligence de laisser sa caméra à l’intérieur (unité de lieu) c’est par les portes vitrées qu’on voit passer la meute, avec au premier plan les employés abasourdis, et soudain on semble se souvenir que l’ouvreur du cinoche est un noir, et qu’on va tout défoncer pour aller lui régler son compte. C’est à partir de là qu’Hilary va sombrer peu à peu dans la névrose, jusqu’à la grande séquence finale (enfin un peu d’action !), une avant-première que Donald Ellis est fier d’organiser avec tout le gratin local, qui va tourner au jeu de massacre.
Sam Mendes raconte beaucoup de choses dans son film, par petites touches, l’époque, la politique, le chômage, le racisme, le harcèlement, et semble nous dire que rien de tel qu’une salle de cinéma feutrée pour supporter une époque troublée. Le film est très beau visuellement, le format scope est pleinement utilisé notamment dans les plans extérieurs. Mendes joue sur le contraste des plans larges et de son personnage d'Hilary, comme lorsqu'on la voit à la caisse du cinéma, seule, à attendre le client. La photographie très léchée. Le rythme aurait pu être plus soutenu, le film plus court, notre intérêt est surtout émoustillé par la partition des comédiens, Olivia Colman en tête, Micheal Ward, Toby Jones, ou Colin Firth en ignoble directeur.
On ne peut pas nier que c’est un beau film, mais qui n’atteint pas tout à fait son but, s’éparpille sans doute, du cinéma à l’ancienne, nostalgique d’une époque, dont on reprochera tout de même l’académisme suranné.
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