vendredi 8 janvier 2021

LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS de Tay Garnett (1946) par Luc B.

 

Le Film Noir on y revient toujours. Le filon est inépuisable. Genre Hollywoodien par excellence, avec le western et la comédie musicale, il se décline en films de détective, de prison, de gangsters, et drames criminels. Trois joyaux culminent dans cette dernière catégorie des amants maudits, ASSURANCE SUR LA MORT de Billy Wilder ( clic ), LA DAME DE SHANGHAI d'Orson Welles, et LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS de Tay Garnett, objet de notre causerie. 
 
A la base, un roman du génial de James M. Cain déjà adapté par Pierre Chenal LE DERNIER TOURNANT (1939), Visconti OSSESSIONE (1943), et plus tard par Bob Rafelson (1981). La version de Tay Garnett brille par son lustre hollywoodien, fidèle au roman, à son esprit, à sa situation, l'Amérique post-krach (le bouquin a été écrit en 1934) avec ces personnages au bout du rouleau, prêts à tout pour s'en sortir, même au pire. ASSURANCE SUR LA MORT était aussi une adaptation de James Cain qui avait bien marché. Raison pour laquelle la MGM accepte de financer le film, qui sur le papier se révélait trop sulfureux. Garnett souhaite John Garfield en tête d'affiche, mais il est engagé sur le front européen*. Louis B. Mayer (le deuxième M de MGM) fait jouer ses relations, et Garfield est rapatrié en quinze jours ! 

Le grand poète Obi-Wan Kenobi (2937 - 3014) a dit un jour : "C'est ton destin". Il pensait sans doute à Franck Chambers, le chômeur qui se fait déposer en stop devant une station service restau-route, le Twin Oaks, où on recherche un employé. Le vieux patron, Nick Smith l'accueille rapidement car un client l'appelle dehors. Chambers reste seul, surveille les steaks, le regard soudain attiré au sol par le bruit d'un tube de rouge à lèvres qui roule. La caméra cadre l'objet, remonte à sa propriétaire, une paire de gambettes nues. C'est Cora Smith, blonde étincelante en maillot de bain blanc, la femme trop jeune du patron, et Chambers vient d'en tomber raide dingue. D'un geste dédaigneux elle lui demande de lui rendre son tube de rouge, d'un autre il lui fait comprendre viens le chercher, cocotte. Dès le départ on sait que cette rencontre causera sa perte. Comme disait le poète Moïse (-2650 jusqu'à...) "Tu ne convoiteras pas la femme de ton patron". C'est Franck qui raconte l'histoire, en voix-off, procédé narratif classique du Film Noir. 

L'intrigue est pratiquement impossible à raconter, tant les situations rebondissent, chaque action en amenant une autre, implacable mécanique, et parce que les raconter gâcherait le plaisir. Franck et Cora deviennent amants. Le cocu de mari, jovial et confiant, ne voit rien de ce qui se trame, naïf il laisse sa femme guincher dans les bras de son employé. Les amants tentent de s'enfuir mais ça tourne au vinaigre et ils rentrent au bercail. "Je voudrais être quelqu'un" se lamente Cora. Sortir de sa condition sociale, accéder au meilleur. 

LE FACTEUR est un roman issu de la crise économique de 29. Le film garde cette thématique. Dès qu'ils veulent prendre le large, les amants reviennent au point de départ, à la station service, incapables de sortir de la mélasse. C'est fatal. Quand Nick Smith revient un soir, alcoolisé, au volant de sa voiture, et manque de s'emplafonner un camion, Franck se dit, en rigolant, que cela n'aurait pas été une grosse perte. Et l'idée germe dans l'esprit de Cora... Un plan est conçu, répété, infaillible. Un accident domestique, une mauvaise chute. C'est sans compter l'arrivée d'un chat maladroit.  

Autre coup du sort, c'est le procureur Kyle Sackett. Un voisin du restau de Nick, c'est lui qui y dépose Franck en stop au début du film. On va le revoir régulièrement, jamais quand il faut, oiseau de mauvaise augure. Il est là quand Nick et Franck, soûls, partent en vadrouille, c'est lui qui intervient au moment de l'accident de voiture, superbe séquence.

On pense que le film n'est qu'une histoire d'adultère et de meurtre, mais l'intrigue va plus loin que ça. Les amants fusionnels au départ, vont très vite s'entre déchirer. Et ce sera un énième retour au Twin Oaks où de nouvelles emmerdes vont pleuvoir. De nouveaux personnages interviennent dans le film, à priori anodins, on les retrouve toujours, comme Kennedy le greffier bonne pâte qui se fera maître-chanteur. Où cette rousse incendiaire que Franck va emballer à la gare, alors que Cora s'absente pour les obsèques de sa mère. La scène est toute en suggestion, censure oblige. La rousse dans sa voiture se plaint de la chaleur de l'été : "le cuir des sièges est brûlant, et je ne porte qu'une jupe légère...". Ben voyons...

L'idée géniale est d'avoir habillée de blanc le personnage de Cora, jusqu'à ses mèches platines. Maillot, robe, veste, c'est l'immaculée ! Ce qui contraste avec ses sombres pensées. On ne la voit que trois courtes fois en noir, ce qui détonne, la première fois lorsqu'elle suggère de retenter le coup foiré : "Si tu m'aimais vraiment..." minaude-t-elle, et Franck comprend le message. La scène de l'accident est sacrément réalisée. Tay Garnett ne se lance pas dans des mouvements d’appareil alambiqués, ce n'est ni Welles, Preminger ou Hitchcock. Sa mise en scène est juste précise, chaque plan donne une info, il sert la narration. Il expose les faits, qu'il sait complexes, avec le plus de justesse et de précision possible, sans démonstration excessive.

Pour recadrer certains plans, lorsqu'il n'a pas le choix dans les rushes, il zoome directement dans l'image, ce qui amène un peu plus de grain, mais une fluidité de raccord parfaite. 

Lana Turner est au départ filmée comme un objet de désir, elle en rajoute dans la pose lascive, roulements du cul, moue prétentieuse, hautaine, une impression qu'elle se donne. La direction d'acteur n'est pas la plus moderne qui soit, mais l'actrice se révèle intense dans les scènes tragiques, violentes, celles avec Kennedy au restaurant, ou à la prison. John Garfield imprime un jeu moderne et naturel pour l'époque - mais désuet aujourd'hui ? - il deviendra le modèle des James Dean et autres Brando, de Niro. Alain Delon le considère comme le plus grand. 

* réformé pour problèmes cardiaques, John Garfield oeuvre pour la propagande anti-nazie. Il sera un des acteurs poursuivis par le maccarthysme, accusé d'être communiste, il refusera de dénoncer quiconque. Il meurt d'une crise cardiaque à 52 ans. 

Le titre du roman est sujet à caution, mais une interprétation est donnée par les scénaristes du film, qui font dire à Franck Chambers parlant au procureur Sackett : "quand on attend un colis, impatiemment, on a peur de rater le coup de sonnette, de ne pas être là pour ouvrir, mais c'est oublier que le facteur sonne toujours deux fois. Il a sonné deux fois pour Cora, et maintenant il sonne une deuxième fois pour moi"

LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS est un film qui épate à chaque fois par sa complexité, sa richesse, par son rythme effréné et son sens du tragique. C'est en cela un pur Film Noir, parmi les plus célèbres, même si le mythe surpasse les réelles qualités formelles du film. 
 

noir et blanc - 1h53 - 1:1.37
 
La bande annonce n'est pas terrible, on se regarde la première scène au restau...
 
 

4 commentaires:

  1. Pas vu depuis longtemps ... chef-d'œuvre certainement, culte sûrement ... L'apparition de Lana Turner toute en blanc est une de ces images qui te fait t'apitoyer encore plus sur la condition de Gilbert Montagné ...
    J'avais beaucoup aimé la version de Visconti, plus sombre, plus (néo)réaliste ...

    D'après Alain Delon, le plus grand acteur est Alain Delon, of course ...

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  2. J'avais beaucoup aimé le Visconti, sans savoir que c'était l'adaptation, je m'en suis rendu compte au fur et à mesure ! J'ai vu aussi celle de Pierre Chenal, y'a longtemps, et Nicholson/Lange, peu de souvenir, à part la scène sur la table de la cuisine...

    Le regard puis roulement de hanche de Lana Turner lorsqu'elle repart, véxée, avec son tube, juste avant de refermer la porte, c'est dantesque ! Et après ça on nous explique que ce n'est pas bien de mater le cul des filles...

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  3. Bon, c'est quoi le prochain ? Sept ans de réflexion ? Y'a aussi une femme tout de blanc vêtue ...

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  4. J'ai dans les tuyaux un film tourné au même moment, avec une actrice non moins sexy, platine aussi, souvent vêtue de blanc, sauf dans la scène (mythique) finale, où elle est en noir. Moins rigolo que Sept ans de réflexion.

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