vendredi 11 décembre 2020

OUTLAND de Peter Hyams (1981) par Luc B.



Je suis allé voir ce film au cinéma à sa sortie, et une image m’est restée gravée : une tête qui explose. Ou implose. Je ne sais jamais la différence, le résultat est le même, ça fait des saletés. Des bobines de films sont depuis passées sous les ponts, mais à l’époque pour moi c’était une première. Je classe OUTLAND parmi mes films de chevet, à savoir, des films bien foutus sans être pour autant des classiques ou encore moins des chefs d’œuvre, mais avec ce petit truc en plus… Ici, le p’tit truc, c’est Sean Connery.

Comme LA NUIT DES GÉNÉRAUX dont nous avons causé la semaine dernière, OUTLAND se situe entre deux genres : la SF et le polar, mâtiné de western, dont il recycle avantageusement les clichés. Pas de pistolet laser ou de gentils robots, mais des bars à putes, du bourbon et de bons vieux fusils à pompe. En ne misant pas uniquement sur les effets spéciaux, le film n’a finalement pas si vieilli que ça. Il utilise l’introvision, une technique d’incrustation photographique qui permet de coller des acteurs dans un décor, en mouvement, et directement visible au tournage. D’où ce superbe plan au début avec des astronautes au loin qui sortent d’un ascenseur, une caméra en long travelling arrière qui en recadre d’autres au premier plan, armés de marteaux piqueurs. Nous sommes sur Io, une lune de Jupiter, où on exploite du titane. 

Un des ouvriers commence à danser une gigue. Il panique, hurle « elle monte sur moi, au secours, elle est dans mon casque ! ». Il se débranche, privé de pressurisation, sa tête gonfle comme un ballon et explose. Beurk. Plus tard un autre ouvrier descend sans combinaison dans l’ascenseur qui mène à l’extérieur : il retapissera la cabine de ses tripes. Un troisième agresse une pute. Incontrôlable, la sécurité doit l’abattre. Trois décès violents, dus au stress d’après la direction du conglomérat minier. Ce n’est pas l’avis du marshal William O'Niel (Sean Connery) fraîchement débarqué sur Io pour y prendre ses fonctions. Un prélèvement sur le cadavre du troisième ouvrier (car des autres il ne reste rien) détermine qu’il prenait une amphétamine de synthèse, qui à haute dose vous bousille les neurones... 

Derrière la caméra c’est Peter Hyams, habile technicien à qui on doit aussi CAPRICORN ONE (clic), PRESIDIO avec de nouveau Sean Connery, ou 2O1O, la suite inutile mais pas médiocre pour autant de 2OO1. Les références visuelles au film de Kubrick ne passent pas inaperçues, dans les décors, les couloirs hexagonaux, ce plan où l’ouvrier devenu fou dérive vers l’espace infini, ces extérieurs de la base avec Jupiter en fond. Il trousse un bon film d’action, au suspens soutenu, baladant sa caméra en travelling dans ce décor industriel métallique, construit en étage, escaliers, grillages, voir la belle course poursuite dans ce labyrinthe de couloirs, jusqu’au réfectoire et l’arrière cuisine. Efficace, solide.

L’enquête de William O'Niel dérange. L’administrateur de la mine, Mark Sheppard, qui doit rendre des comptes aux actionnaires, tente d’amadouer le policier. Le film est clairement une critique du système économique où le rendement et les bénéfices sont la règle. Oui les ouvriers se dopent, mais travaillent plus, mieux, et touchent des primes. O'Niel ne trouve qu’une oreille attentive auprès du médecin, le docteur Lazarus, interloquée que ces morts suspectes ne soient jamais suivies d’autopsies. 

Les liens qui unissent O’Niel et Lazarus sont la grande qualité du film, Sean Connery, comme à son habitude** a réécrit ses scènes, ses dialogues, pour que son personnage ne soit pas simplement un redresseur de tort. Les deux sont d’âge mûr, pas d’amourettes de pacotille, mais du respect pour leurs fonctions, on appréciera les reparties humoristiques, les piques. 

Sheppard dit à O’Niel qui persiste à jouer les vertueux : « vous êtes un idiot, vous êtes un fou, vous êtes mort ». Allusion non masquée. Sheppard lance un contrat sur la tête du shérif, trois tueurs débarqueront de la prochaine navette pour l’éliminer. O’Neil demande de l’aide, mais il est seul sur ce coup, tout le monde se désolidarise, ses adjoints semblent corrompus jusqu’à la moelle, il devra son salut à une femme. Ça vous rappelle quelque chose ? LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS (Fred Zinnemann, 1952) où trois tueurs arrivent par le prochain train de midi dessouder le shérif Gary Cooper, lâché par ses administrés. L’intrigue a été décalquée, ce n’est pas un remake, encore moins un plagiat, mais une libre adaptation.   
    

Le dernier tiers est vraiment bien mené. Compte à rebours, la navette qui atterrit, O’Niel demande une dernière fois de l’aide, un lourd silence comme réponse, on ne répond pas à un homme mort. Peter Hyams orchestre habilement le duel, beaucoup de scènes vues à travers des écrans de surveillance, O’Niel à l’avantage du terrain, il joue à domicile, il a sans doute lu Horace de Corneille et son adage diviser pour mieux régner, isoler les tueurs à gages pour s’en occuper un par un… On pense à la fin du film WITNESS (1985, Peter Weir) où Harrison Ford était aux prises avec deux flics véreux.

Hyams exploite très bien son décor, éclairé avec contraste, les plans sont ingénieux, la serre, le tunnel de tissu blanc, les combats extérieurs, rien de tape à l’œil. On sent encore l’influence des films de SF des 60’s, en 1981 il n’y avait pas encore les ROBOT COP ou TERMINATOR qui ont changé la donne, mais ALIEN est passé par-là. Sans esbroufe, Hyams mise sur l’efficacité de son scénario (qu’il a écrit) et de sa mise en scène, se repose sur ses interprètes. Sean Connery plein d’humanité, de doute, est juste impeccable, ce film fait pourtant parti de sa période dite creuse avant son retour fracassant dans LE NOM DE LA ROSE (1986) et LES INCORRUPTIBLES (1987). Frances Sternhagen qui interprète Lazarus est un visage connu des seconds rôles, comme Peter Boyle en Sheppard, superbe salaud, vu dans TAXI DRIVER ou FRANKESTEIN JUNIOR où il jouait le monstre. 

J’adore la fin conclue par un « Et merde… » et un bon coup de poing dans la gueule !

OUTLAND est sans doute un film injustement méconnu, c’est dommage, moi je l’aime bien ! Du bel ouvrage.

**Sean Connery exigeait toujours de retravailler ses rôles avec son metteur en scène, Brian de Palma peut lui dire merci, dans LES INCORRUPTIBLES on en oublierait presque que c’est Kevin Costner qui tient le premier rôle ! Il est sans doute le seul acteur à avoir osé répondre à Alfred Hitchcock alors au faîte de la gloire en 1964, pour MARNIE : « ok pour faire un film avec vous, mais envoyez-moi quand même le scénario » ! 

couleur  -  1h50  - format scope 1:2.35 (35 et 70 mn)   


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