Haifaa al-Mansour est la première réalisatrice saoudienne, une gageure quand on sait la condition féminine dans ce pays. Pour son premier long métrage en 2013, elle dirigeait son équipe d’acteurs et de techniciens cachée dans une camionnette à proximité, par talkie-walkie, parce que vous comprenez, hein, une femme qui dirige des hommes, tout de même… Elles ont depuis peu le droit de conduire, alors faire du cinoche, faut pas exagérer… Rappelons qu’officiellement le cinéma était interdit par le régime saoudien jusqu’en 2017 !
Maryam est donc médecin dans une clinique, dès la première
scène elle se heurte à un vieux patient qui refuse d’être ausculté par une
femme. « Laissez les infirmiers s’en occuper » lui lance le directeur,
que le tapage a alerté. Puis Maryam ose passer un coup de fil au conseiller
municipal local pour se plaindre de l’état de la route qui dessert la clinique.
Un chemin gadouilleux impraticable. L’édile la renvoie à ses casseroles.
Ensuite elle veut prendre l’avion pour Dubaï, assister à une conférence
médicale, mais son autorisation n’est plus valide, il lui faut l’accord de son
tuteur, son père, injoignable. Elle se souvient d’un cousin haut placé dans l’administration,
qui pourrait l’aider. Mais il ne reçoit que les candidats aux prochaines
élections municipales. Qu’à cela ne tienne, Maryam s’inscrit !
Et voilà comment le docteur Maryam se retrouve en campagne électorale, avec comme programme : goudronner la route de la clinique. Excellente scène d’interview télévisée où le journaliste l’interroge sur les parcs, les toboggans, les nounous, des trucs de femmes, alors que Maryam veut communiquer sur les besoins de sa ville, de son quartier, de sa clinique.
Le scénario est joliment construit entre deux récits
parallèles, celui de Maryam en campagne électorale, et celui du père, Abdulaziz,
en tournée avec son groupe. Il chante est joue du oud. Les premiers concerts se
font devant trois péquins, mais à chaque représentation attire davantage les
foules. De même que Maryam réunit un peu plus de monde à chaque fois, jusqu’à
cette scène assez drôle où elle est contrainte à parler en visio-conférence à
un public masculin, en réalité, depuis une tente juste à côté, car une femme ne
peut prendre la parole devant un public d’hommes. Lorsque, chahutée,
vilipendée, elle ne peut plus s’exprimer, Maryam brave l’interdit et rejoint la
tente des hommes pour leur dire leurs quatre vérités !
La direction d’acteur pêche un peu, le comédien qui joue Abdulaziz semble à peine concerné, regard neutre, voix atone, et j’ai parfois des doutes sur la capacité de l’actrice principale à endosser le rôle. Sa sœur Selma est plus convaincante. On peut aussi regretter une mise en scène sans saveur particulière, est-ce par manque de temps ou de moyen qu’Haifaa al-Mansour se contente de cadrer comme le premier vidéaste amateur venu ? Pourquoi ce format scope jamais exploité ? C’est dommage car le sujet vaut la peine, on aurait aimé un peu plus de vivacité, d’invention. Par contre j’ai aimé la conclusion de l’intrigue où enfin affleure une grimace de dégoût, de regret, d'impuissance, sous le vernis optimiste d’une comédie plaisante à suivre.
couleur - 1h35 - scope 1:2.35
Curieuse bande-annonce qui ne se fixe que sur la candidate, et rien sur l'intrigue à propos du père, pourtant d'égale importance dans l'intrigue...
J'avais vu son premier, qui était passé à pas d'heure sur arte ou ciné+ club ... l'histoire d'une gamine qui veut une bicyclette ...
RépondreSupprimersympathique ramené au contexte (le pays, une nana qui dirige, les conditions de tournage ...). Abstraction faite de ça, c'était juste un document, un témoignage, un truc que des milliers de zozos en école de cinéma peuvent réaliser avec 5ooo euros de budget ...
D'après ce que tu en dis, celui-ci, cinématographiquement parlant, vole pas plus haut ...
J'ai peur qu'on en vienne à des jugements condescendants sur les films de ces pays "émergeants" en matière de cinéma. Qui a envie de se fader en boucle des films iraniens de contrebande (Taxi Téhéran au hasard), l'intégrale de Sissoko en Afrique, des niaiseries de Bollywood (alors que c'est le pays du monumental Satyajit Ray, times are beaucoup changin' au pays de Mother India) ... il manque pas que les moyens, il manque la technique, les idées, le scénario, les acteurs, etc ...
Qu'un migrant érythréen tourne 4 gigas d'images avec un iphone 3, tapis rouge et palme d'or au prochain festival de cannes, si prochain festival de cannes il y a un jour ... Je prône surtout pas le cinéma des gros budgets marvel, je sais qu'il en faut pour tous les goûts, mais s'il y avait davantage de gens qui filment juste une histoire proprement, ça suffirait à mon bonheur ...
De bonnes intentions ne font pas forcément un bon film. C'est le cas ici, sans doute assez faible en terme de "cinéma". Il faut aussi laisser aux gens le temps d'apprendre, de maitriser l'outil, l'art, surtout s'ils viennent d'un pays où le cinéma c'est trois VHS pourries vendues sous la djellaba. Ton exemple de Taxi Téhéran est très juste, mais le mec filme dans un taxi avec un téléphone, ou c'est la prison à vie... Laissons les pays émergents émerger. Si Marvel peut leur laisser un peu de place... Souviens-toi du "Voleur de bicyclette"... Là aussi c'est un gars qui passe 1h30 à chercher son vélo, filmé à l'arrache dans les rues.
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