vendredi 14 août 2020

PAT GARRETT ET BILLY LE KID de Sam Peckinpah (1973) par Luc B.


Big Sam sur la dolly
C’est le dernier western de Sam Peckinpah, qui en aura en tournés cinq, dont quatre en début de carrière, dans la foulée. Son dernier en date était LA HORDE SAUVAGE (1969), gros succès, donc la MGM imagine un film du même ordre, se frottant les mains à l’avance : avec l’histoire de Billy the Kid, Big Sam va faire péter la poudre. Eh ben non. Des coups de flingues et de la violence y'en a, mais ce n’est pas ce qui domine. PAT GARRETT ET BILLY THE KID s’apparente à une triste balade nostalgique, d'où le flop au box office.

L’expérience pour Sam Peckinpah a été rude. Il n’est pas à l’origine du projet, réécrit totalement le scénario, et fait face aux problèmes de casting initialement prévu : Jon Voight, Marlon Brando, Robert Redford, tout le monde se chamaille et Peckinpah enrage. Il choisira Kris Kristofferson (un chanteur qu’il apprécie) et James Coburn qu’il avait fait tourner dans MAJOR DUNDEE (1965). Ses derniers films n’ont pas trop marché, le réalisateur est sous pression, picole et se drogue de plus en plus. Il tourne au Mexique pour être loin des studios, ce qui oblige des allers-retours couteux pour faire développer les rushes. Une épidémie de grippe décime l’équipe, retarde le tournage – deux mois dans la vue – et fait monter la note. Parmi les premiers spectateurs à voir le bout à bout, le jeune Martin Scorsese (qui est alors monteur) se montre enthousiaste, mais le patron de la MGM James Aubrey déteste et ordonne de refaire le montage.

Pas facile de s’y retrouver dans les versions, 1h43, 1h50, 2h00, 2h20… En 1988, Patrick Brion (présentateur du Cinéma de Minuit) enjoint France 3 à racheter les droits. La fille de Sam Peckinpah confie des bobines inédites et les notes de son père. Une version director’s cut de 2h02 est rééditée, qui correspondrait au mieux aux souhaits du cinéaste. Pour cet article, je me base sur la version 1h50, qui même tronquée ici et là, est magnifique. PAT GARRETT ET BILLY THE KID est à mon sens le plus beau film de Sam Peckinpah.

Le film s’ouvre sur des images sépia. Datée en 1909, on y voit le shérif Pat Garrett se faire tuer par ses hommes. Montage parallèle : en 1881, Pat Garrett retrouve son ami Billy the Kid, alors que ses hommes et lui s’amusent à tirer sur des poulets enterrés, dont seules les têtes dépassent. Images d’une rare bestialité, typiques de Peckinpah. Pat et Billy ont bourlingué ensemble*, mais Garrett lui annonce qu’il va être nommé shérif, payé par les grands éleveurs du coin pour dégager les bandits qui contrarient leurs affaires. Billy a cinq jours pour quitter la région. « Les temps changent » se justifie Garrett. Billy répond : « les temps changent, mais pas moi ». Garrett laisse une chance à Billy de s’enfuir, au nom de leur amitié, sinon il reviendra l’arrêter. « Ne tente pas le diable » prévient Billy, malicieux et menaçant. Garrett rétorque : « Ce n’est pas au Diable qu’il faut dire ça ». S’ensuit un long échange de regards.

Comme dans LA HORDE ou COUPS DE FEU DANS LA SIERRA (1962) Sam Peckinpah décrit un monde qui change et des personnages qui n’y trouvent plus leur place. On entend Garrett dire « ce pays vieillit et j’ai bien l’intention de vieillir avec lui », et plus tard, « ce territoire vieillit, et moi aussi ». Billy veut rester l'éternel enfant jouissant de la vie, hors la loi, quand Pat Garrett choisit le camp des nantis, des éleveurs embourgeoisés. Le lien entre les deux hommes est très fort, presque intime (dans la version première du scénario il était question de rapports homosexuels, que Peckinpah a gommés), Garrett a pour mission d’arrêter Billy the Kid mais rechigne à le faire, retarde le moment.

Il voit sans doute en Billy ce qu’il était lui-même, plus jeune. Billy est un héros entouré de femmes et d’admirateurs. Une rock-star, d'ailleurs Kris Kristofferson a des faux-airs de Jim Morrison période "Morrison Hotel", ce même charme insolent et vénéneux. Quand il est arrêté la première fois par Garrett, il se rend, tenant son colt et son holster levés, les bras en croix : figure quasi christique. Il y a une séquence formidable, lorsque Billy attend sa pendaison. Il est gardé par deux adjoints, en prison. Garrett s’absente (pour se faire coiffer, il dit au merlan « fais-moi une beauté » qu'on peut comprendre par « fais-moi plus jeune »). Billy en profite pour s’échapper. Il tue le premier adjoint d’un coup de fusil chargé avec des pièces de monnaie, le type est littéralement déchiqueté, puis le second, un gars qu’il connaissait, qu’il aimait bien, qui lui dit « je te connais, tu ne me tireras pas dans le dos ? ». Tu parles…

Puis Garrett revient et constate le carnage. S’était-il volontairement absenté sachant que Billy essaierait de fuir ? Comme le personnage d’Alex dans ORANGE MECANIQUE, Billy est un salaud, un tueur, un vicieux, pourtant le spectateur prend parti pour lui parce que le système qu’il combat et la société qu'il condamne, sont plus violents que lui. Exemple avec la séquence d'Alamosa Bill, ancien complice reconverti aussi en adjoint, qui l'invite à sa table, en famille. Après ce repas fraternel, ils sortent pour s'affronter en duel. Pour Billy, Alamosa est passé dans le mauvais camp, celui du système. Dos à dos, Alamosa compte jusqu’à dix, mais au troisième pas Billy se retourne, sourire goguenard aux lèvres, et abat Alamosa. Vicieux, dégueulasse.
   
Au casting, Peckinpah convoque toutes les vieilles gloires du genre, beaucoup de visages sont connus, parmi lesquels Jason Robards, John Beck, Harry Dean Stanton, Emilio Fernandez, Slim Pickens. Et puis un petit frisé : Bob Dylan. Au départ Peckinpah ne voulait de ce chanteur pour midinettes. Les deux hommes font une bringue, picolent, fument et snifent toute la nuit, Dylan lui joue quelques airs. Peckinpah tombe sous le charme est l’engage, y compris pour écrire la musique du film. Qui est ce personnage que joue Dylan ? La première fois on lui demande son nom, il répond : « question judicieuse » La seconde fois il répond « Alias », comme il aurait répondu « avatar » ou « pseudo ». Bref, il n'est personne. Il traine sa silhouette malingre et son sourire ironique, taiseux, énigmatique, une présence presque irréelle.

Dans la fabuleuse séquence de l’arrestation de Holly (un complice de Billy) dans un troquet, Garrett demande à Alias de lire les étiquettes des boites de conserve rangées derrière le bar. Garrett défie Holly au poker, le force à se saouler, certain qu’Holly perdant toute mesure tentera un mauvais tour fatal, pendant qu’Alias égrène : « petits pois, haricots, choux… ». Dylan est présent dans une des plus belles scènes du film, mais en chanson. Le shérif Baker et sa femme (qui planque ses chevrotines dans son ample décolleté !) assiègent avec Garrett une maison où sont retranchés des complices de Billy.

En à peine quelques plans, Peckinpah arrive à nous rendre Baker (joué par Slim Pickens, le pilote déglingué de DR FOLAMOUR) sympathique, humain, attachant. Pendant l’attaque il se prend une balle. On le voit blessé, chancelant, s'éloigner, digne, comme résigné à mourir. Sa femme observe son agonie, elle sait qu’elle ne peut rien y faire. Peckinpah filme son visage démuni, et on entend « Mama take this badge off of me / I can’t use it anymore », les premiers vers de « Knockin’ on heaven’s door » la chanson de Dylan écrite pour le film. C’est beau à pleurer.

On pourrait parler de beaucoup de séquences, celle terrible où les hommes de Chisum (le propriétaire terrien qui a engagé Garrett) encerclent un type, abattent son cheval, puis le criblent de balles. Ou la visite de Garrett au bordel, quatre putes au pieu. Mais on retiendra évidemment la dernière séquence. Pat Garrett a retrouvé la trace de Billy the Kid dans une hacienda. C’est la nuit. Billy, comme s’il sentait venir son heure (Alias le prévient de l’arrivée prochaine du shérif) boit un dernier coup, parle avec un fabriquant de cercueil (sic) joué par Sam Peckinpah (re-sic) et se met au lit avec une femme, jouée par la chanteuse Rita Coolige, la femme à la ville du réalisateur. Pat Garrett, silencieux, la mine sombre, glisse comme une ombre, repère sa cible, son ami, et lui laisse finir sa nuit d'amour en attendant sous le porche dans une balancelle jusqu’au petit matin. Aux premières lueurs du jour, Billy sort chercher à manger, Pat est là. Ils se regardent une dernière fois.

Kris Kristofferson*** campe un Billy the Kid jovial, romantique, séduisant, légèrement bedonnant, bon vivant, mais qui sait son destin scellé. Dans la chanson « Billy's song » Dylan écrit « Billy, they don’t like you to be so free / ils n’aiment pas te voir si libre ». Kristofferson tournera encore pour Peckinpah dans APPORTEZ-MOI LA TETE D’ALFREDO GARCIA (1974) et LE CONVOI (1978). James Coburn impressionne, mince, sec, cigare aux lèvres, très classieux, un type qui perd sur tous les tableaux, représentant la loi corrompue, contraint d’abattre son seul ami et alter-égo, et lui-même abattu par ses employeurs (scène pré-générique). Les deux acteurs se retrouveront dans PAYBACK (1999) de Brian Helgeland, interprétant de vieux mafieux.
  
Comme beaucoup de films de Sam Peckinpah, PAT GARRETT ET BILLY THE KID suinte la mort et les regrets. Il y a beaucoup de fusillades, Peckinpah se devait presque contractuellement de filmer des tueries, mais ce qui domine est moins l’action qu’une balade désenchantée, une randonnée mortelle** où on laisse le temps au temps, pendant qu’il en est encore temps.

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*Les lieux, dates, personnages et situations sont conformes à la réalité historique, à ceci près, que Pat Garrett et William Bonney (Billy le Kid) n'ont jamais été amis avant que le premier ne traque le second. Ces deux personnages apparaissent dans une vingtaine de films.
**merci Claude Miller !
*** Est-ce sa présence dans les deux films, mais PAT GARRETT me fait penser parfois à LA PORTE DU PARADIS de Michael Cimino, autre film magnifique sur l’Ouest vieillissant, autre tournage dantesque, autre échec commercial qui a scellé la fin d’un grand cinéaste.

couleur  -  1h50 (montage classique)  -  format scope 2.39

La bande annonce originale :  
  
         

7 commentaires:

  1. "Le plus beau film de Sam Peckinpah", on a le droit de l’estimer.
    La version de 1h50, de 2005, c'est celle que j'ai aussi, mais dans le disque bonus y'a la version Turner de 1988.
    La présence de Dylan (et sa musique) me semble énormément participer au charme du film, et je trouve pour une fois excellent le choix de Kristofferson dans le rôle du Kid. Coburn est comme d'hab'parfait.
    Un vrai bijou, je confirme!
    Toi et Brutor devez apprécier Mortelle randonnée, avec à la fin l'autre zinzin l’œil crevé gisant dans la baignoire...un vrai moment de poésie...

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    1. "Mortelle Randonnée" avec Michel Serrault et Adjani ??

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    2. Oups!...Je confonds avec "Rien ne va plus" de Chabrol, y'a bien Serrault mais c'est Huppert qui lui donne la réplique, et je crois que c'est Cluzet qui finit dans la baignoire.
      Désolé!!!!!!

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  2. Ok pour Dylan le binoclard qui apporte une touche spéciale au film, presque surréaliste, et son aura personnelle, même dans un troisième rôle pas causant. Et comme il chante aussi sur la bande son, il semble là sans être là... Sans doute ce que souhaitait Peckinpah ! Comment ce réalisateur dont on ne retient que la brutalité, l'hémoglobine à foison, le montage haché, la vulgarité, arrive à un tel niveau de sentiment et de poésie ? Mystère... Le talent peut être ?

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  3. Le talent, sûrement. Je retiens un propos de Chrissie Hynde disant qu'elle a passé sa vie en s'entourant de gens qu'elle trouvait meilleurs qu'elle. Des fois je me plante, mais je conçois pas la vie autrement

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  4. Joli. C'est pourquoi tu viens nous lire ?

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