mercredi 15 juillet 2020

The BARDOGS "Southern Soul" (2019), by Bruno



     Voilà sans contexte un des meilleurs albums de l'année précédente. Point. Il suffit d'y poser une seule fois ses trompes d’Eustache, une seule fois pour être converti.
     Et pourtant, encore une fois, sans l'appui d'une major, cet excellent quatuor risque fort de végéter.  Pire. Péricliter jusqu'à la cessation complète d'activité et l'oubli total. Non. Plutôt l'injuste et totale ignorance. The Bardogs est la preuve que l'on peut être réellement talentueux et méritant, et ne jamais pouvoir récolter, sinon des retombées financières à la hauteur de ses qualités, au moins une juste et digne reconnaissance. D'autant qu'à ce jour, cette somptueuse perle rare que constitue "Southern Soul" n'a toujours pas l'honneur d'avoir le droit à un support physique pour propager sa musique. Le groupe doit se contenter d'une diffusion via bandcamp (1)


   La raison principale de cette espèce de dénuement est certainement à mettre principalement au crédit de la nationalité des musiciens constituant ce groupe. En effet, tout porte à croire que pour les majors, l'Indonésie n'a aucune raison de perdre son temps à créer de la musique que l'on attribuerait normalement à l'Amérique-du-Nord. A la limite une tolérance pour les cousins Européens (d'autant qu'ils ont tout de même contribué à rendre populaire - et bancable - la musique Black, Afro-américaine). Mais l'Asie, l'Indonésie ... Non, chacun chez soi. Pas touche à la musique des patriotes. D'ailleurs, l'excellent GuGun Power Trio, en fait déjà les frais depuis des années (2004 et même avant, avec le Gun Project en 1999). Même les efforts de Grooveyard Records n'ont pas réussi à extirper cet excellent power trio du Pacifique. Et puis, dans le même ordre d'idée, il est indéniable que si Savoy Truffle n'avait pas été Japonais, il aurait brûlé les planches pendant bien des années aux USA, faisant de l'ombre à tous les forçats du Southern Rock et Jam bands assimilés. On peut certes trouver légitime de vouloir protéger ses enfants, mais lorsqu'on devrait être au service de l'Art, en l'occurrence ici de la musique, on devrait aussi faire fi des nationalités et être motivé par le talent, quel qu’en soit l'origine.

     Evidemment, il y a bien longtemps que les cadres des grosses compagnies internationales de l'industrie musicale, sont avant tout au service de l'argent. Certains avancent même à l'abrutissement des masses. Ce qui doit être exagéré, mais parfois, il y a de quoi se poser des questions.

   Mais qu'est-ce qui manquerait à ces Indonésiens pour mériter l'attention d'une major ? Peut-être que sur scène, ils devraient gesticuler comme des danseuses et prendre des poses d'adolescents en rut, ou de mannequins narcissiques (pléonasme ?), mais on parle bien de musique, pas de spectacle. Encore moins de théâtre... Mais là encore, on a eu un peu trop tendance à systématiquement mélanger les deux.

     Si The Bardogs n'a pas l'étoffe d'un Allman Brothers Band, il a par contre largement de quoi bousculer - d'envoyer tête la première dans le marais - bon nombre de groupes de Southern-rock actuels. D'autant que beaucoup ont un peu tendance à confondre envoyer le bois, lâcher de temps à autre les chiens, ou les watts, et envoyer continuellement la purée, les potards bloqués à onze, avec un max de saturax. Cela évidemment au détriment de l'émotion. Et justement, The Bardogs en a à revendre, de l'émotion.

Une émotion qui transpire à grosses gouttes des instruments, en particulier des guitares de Paul Ramhan et de Weldy Tua Pangeran. De ces grattes friandes de sonorités graves, rondes et crémeuses, typiquement du Humbucker marié à l'acajou et branché dans un bon vieux Marshall. Et lorsque Paul prend son bottleneck, il fait preuve d'une sensibilité à fleur de peau. Il approche sensiblement le style coulé et expressif de Derek Trucks. D'ailleurs, tout comme lui, il joue aux doigts. Comme sur "Reality" où la slide conclut cette poignante ballade sur presque deux minutes d'intense feeling. Ce n'est plus vraiment une expression soliste mais plutôt une guitare qui chante. Une belle chanson qui aurait fait le bonheur du Tedeschi-Trucks Band.

     Serait-ce des conditions de vie particulière, précaire, ou simplement une histoire, un récent passé (personnel ou familial) qui a peu de chance d'être reluisant, qui ont donné à ces musiciens les facultés de pouvoir émettre ces émotions à travers une musique de prime abord plutôt brute. Il y a d'ailleurs du Blues - avec un "B" majuscule - dans leur musique. Pas un Blues soigneusement appliqué - et forcément édulcoré ? - mais juste son émanation, simple et authentique. Comme si le cheminement de leur vie leur avait forgé une âme de bluesman (de ceux qui ont dû trimer, non pas pour récolter une quelconque gloire, mais juste pour pouvoir monter sur une scène et jouer, contre vents et marées).
 Certes, sans savoir si ces musiciens font partie des classes relativement aisées, prolétaires, pauvres ou totalement démunies, bien peu d'Indonésiens ont les moyens de s'offrir le luxe que s'offrent leurs nombreux visiteurs.
Lorsque l'on se prend "It's Over" - right in the face - il n'y a pas de doute : le Blues, ils connaissent. Ils l'ont ingéré et savent l'expulser dans de saines vibrations expurgeant de sombres pensées transformées en sonorités réconfortantes. Même si derrière l'espoir, demeure une brume d'amertume.
 

   Cependant, tout en étant apparemment très marqué par l'Allman Brothers Band, ce groupe originaire de Bali est parvenu à se forger sa propre personnalité. Certes, les références jaillissent parfois avec une évidence éclatante. Outre celle de l'Allman (même le jeu à la basse de Deny Hidayat est proche de celui d'Oteil Burbridge) on peut avancer celle de Derek Trucks, de Derek & The Dominoes, probablement de Savoy Truffle (si l'Indonésie s'est ouverte à ces Japonais), et même celle des Rolling Stones - ère Mick Taylor - d'après l'orchestration de certains mouvements du vivifiant "Colorado".

Ce qui fait la différence, c'est l'aspect du chant de Paul Ramhan, chargé de Gospel et de Soul. On est d'ailleurs fort étonné de voir ce petit gars qui, mouillé, ne doit même pas atteindre les soixante kilos, déployer autant de force et d'énergie. Probablement qu'il vibre des orteils à la racine de ses longs cheveux pour parvenir à délivrer un chant visiblement habité, où l'on sent poindre une certaine fragilité. Même si, sur scène, il semble faire montre d'une certaine timidité, ou retenue.
Sur le remuant "Ain't Gonna Look Back", bien qu'il lui manque un brin de rugosité, tous les éléments sont réunis pour prétendre fièrement se fondre dans le répertoire des premières galettes des Allman.
Toutefois, dans l'ensemble, c'est également assez proche de Savoy Truffle. Si ce n'est que ce dernier est plus mordant et rugueux. Ayant tendance à s'enhardir à la moindre occasion - et pas qu'un peu - alors que The Bardogs préfère assaisonner son Southern-rock de Soul, le rendant ainsi plus lumineux et enjoué.
Le jeu de Ramhan semble aussi tributaire de celui de Toshihiro Sumitomo, leader et excellent guitariste de cette non moins excellente formation japonaise, honteusement ignorée et aujourd'hui disparue.

     Ce quatuor de Bali, fondé en septembre 2014, met du cœur et de l'émotion dans son torride Blues-rock, de la bonne humeur et une certaine jovialité communicative. Même les titres les plus foncièrement Rock, les plus vigoureux, sont au moins illuminés par un refrain ravigotant et ragaillardissant, auréolé d'une douce allégresse. D'ailleurs particulièrement souriants, ces musiciens ont pour habitude d'afficher des sourires jusqu'aux oreilles. Un exemple à suivre pour tous les apprentis dur-à-cuir qui se sentent obligés d'arborer constamment des airs renfrognés. 

     En écoute régulière depuis novembre 2019, ce "Southern Soul" n'a rien perdu de son éclat, de ses qualités à rendre les journées plus faciles, à les teinter d'un voile protecteur contre la morosité, les sombres pensées et les emmerdeurs.

P.S. : La chanson "Corona" est une douce ballade romantique et n'a rien à voir avec l'actualité mondiale. Elle est issue de leur Ep éponyme - et premier essai discographique - de 2017. (Bali a été bien moins touché que la France avec seulement 0,07 % de cas)




(1) Heureusement qu'il existe celui-là.


Attention : Ces enregistrements en concert sont forcément plus ou moins différents des versions studio. Pour une écoute fidèle, prière d'aller sur Bandcamp.

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