L’histoire
est vraie, celle d'un des premiers lanceur d'alerte. Gareth Jones (1905 – 1935), entre deux voyages
en Union Soviétique dont il vend les comptes rendus aux journaux,
conseille Lloyd George, premier ministre britannique, sur sa politique étrangère. Son
principal fait d’arme est d’avoir interviewé Adolph Hitler, tout juste élu
chancelier. Son rêve est d’obtenir une entrevue avec Joseph Staline, dont il
admire la gestion économique, tout en se demandant : mais d’où vient tout
cet argent ? Comment cet immense pays peut-il avoir d’aussi brillants
résultats sur le plan industriel et agricole, en à peine 5 ans ?
Les
démarches ne sont pas simples, mais Gareth Jones s’envole pour Moscou un visa
en poche, et une lettre de recommandation de Lloyd George. Il loge à l’hôtel
Métropole, avec toute la presse étrangère. Il apprend que son contact sur place
vient d’être assassiné, victime d’un cambriolage. Il se tourne vers Walter
Duranty, correspondant du New York Times, auréolé de son prix Pulitzer.
Le
film de la polonaise Agnieszka Holland se divise en trois parties plus ou moins équilibrées, avant, pendant, après. La première,
à Londres, est sans doute trop longue, suite de séquences d’expositions par
forcément nécessaires. La deuxième est plus prenante. Fraichement débarqué
à Moscou, rempli d’illusions (et de souvenirs, sa mère ayant par le passé
enseignée en Ukraine), Gareth Jones découvre une presse étrangère à la botte du
Parti, les fêtes somptueuses et décadentes arrosées de champagne et d’opium. Il
est suivi, surveillé, l'appartement de Ada Brooks, qui l'assiste, est sur écoute, il apprend que son collègue décédé travaillait sur le même sujet : l'Ukraine, le grenier à blé du pays. Le ton est kafkaïen, mais trop vaguement inquiétant, on aurait aimé un Polanski derrière la caméra.
Gareth va devoir ruser pour obtenir une autorisation d'aller en Ukraine, et pour déjouer la surveillance de son guide. La réalisatrice oppose habilement deux scènes de trains (trop de plans des roues, bielles....), la scène dans le wagon à bestiaux est
réussie, les restes de fruits jetés à terre, le manteau du voisin troqué contre un morceau de pain. Gareth Jones
découvre les réelles conditions de vie des ukrainiens, spoliés, affamés,
il comprend ce qui se trame, l’holodomor, c’est-à-dire l’organisation au plus
haut de l’Etat de la famine en Ukraine. Les réserves de grains y sont
systématiquement détournées pour le seul profit de la classe dirigeante et du
commerce, les morts se comptent par millions.
Agnieszka
Holland sait rendre palpable cette situation terrifiante, ce décor apocalyptique, ciel plombé, arbres morts ou noircis, peuplés de
morts-vivants, de gamins laissés à l’abandon, cadavres gelés au bord des chemins,
ces grandes étendues désertes et glacées qui contrastent avec les dorures des
palaces moscovites. Abominable
scène avec les gamins (« elle vient d’où cette viande ? – c’est mon frère...»), Gareth Jones observe, prend quelques photos, témoin d’autant
plus impuissant que cette réalité est censée ne pas exister.
La
troisième partie, retour au bercail, au Pays de Galles, est elle aussi trop
diluée. Gareth Jones y croise deux grandes figures de l’époque, l’écrivain
George Orwell (allusion à « La ferme des animaux ») et Randolph
Hearst, le magnat de la presse américaine, qui acceptera de passer l’article de
Gareth. « Pourquoi chez moi » lui demande Hearst ? « Parce
que vous avez les meilleurs avocats » répond Jones, allusion au forfait
des autres titres trop frileux de s’attaquer à l’ogre Staline, seul rempart à l’époque
du nazisme galopant.
Le
sujet aurait mérité un traitement plus palpitant. Agnieszka Holland ne trouve
pas le rythme, le bon dosage, entre l’analyse politique, l’Histoire (les décideurs soviétiques brillent par leur absence à l'écran, nous n'avons qu'un seul point de vue), et le suspens.
Le pauvre Gareth semble un peu fade (James Norton n’y brille pas spécialement)
le personnage de Walter Duranty est paradoxalement plus intéressant, ambigu, mais
trop rapidement expédié. Je vous avais parlé en son temps du film allemand LE
LABYRINTHE DU SILENCE (2014) sur l’enquête dans les années 50 d’un jeune procureur
qui découvrait les crimes nazis, sur le même principe du drame historique traité
à la manière d’un thriller (voir les films de Costa Gavras). L’OMBRE DE STALINE
suit cette tendance sans parvenir au même résultat. Le film se suit sans
déplaisir, la direction artistique est très belle, mais ne bouleverse pas, rendant presque anecdotique une réalité
historique pourtant abominable.
M'enfin?...T'as changé ta Kalachnikov d'épaule?
RépondreSupprimerTa réplique "elle vient d’où cette viande ? – c’est mon frère" est tragiquement redoutable, je t'en fais passer une lue dans R & Folk ce mois ci:
"La tauromachie, c'est l'exercice subtil de l'acupuncture sur une entrecôte vivante"
Pas mal la réplique ! J'aime bien cette sortie de Steph' de Monac' il y a quelques années : "la tauromachie ce n'est pas bien, après tout, un taureau est un être humain comme les autres". Celle du film est issue d'une scène plus longue, y'a trois gamins dans une pièce, la fillette fait bouillir de la viande. On pense que le frère en question est le chasseur, sauf que c'est le garde-manger.
RépondreSupprimerLe programme a été bousculé, désolé, les salles de cinoche sont rouvertes, ceci expliquant sans doute cela. Pour le Randolph Scott, ce n'est que partie remise.