vendredi 24 juillet 2020

ETE 85 de François Ozon (2020) par Luc B.




Le film est adapté du roman « Dance on my grave » de l’anglais Aidan Chambers, dont François Ozon avait adoré la lecture, l’été de ses 17 ans. Il s’était promis d’en faire une adaptation à l’écran si jamais il devenait cinéaste. 35 ans et 18 films plus tard, c’est chose faite. Initialement le film devait s’appelait ETE 84. Ozon tenait absolument à avoir au générique la chanson de The Cure « In between days » dont le clip l'avait fasciné. Robert Smith accepte mais objecte que sa chanson est sortie en 1985, et ne peut donc pas apparaître dans une fiction se déroulant un an plus tôt ! Le film est donc devenu ETE 85, CQFD.     
Le film, bâti en un long flashback, est à la fois un récit initiatique, un mélodrame psychologique, pas loin de la chronique meurtrière, puisque le héros Alexis semble au début du film accusé de meurtre sur la personne de David Gorman. Alexis attend son jugement au tribunal. Une éducatrice sociale tente de la faire parler, pour comprendre le drame. C’est le prof de français d’Alexis, monsieur Lefèvre, qui va débloquer la situation en conseillant à son élève d’écrire sa version des faits.
L’action se déroule au Tréport. Alexis part en bateau, seul, est pris dans un orage, chavire. Il est sauvé par David. A la seconde où leurs regards se croisent, on comprend que pour Alexis rien ne sera plus comme avant. David le fascine, l’intimide aussi. Ils deviennent inséparables. David est beau mec (voir comment Ozon filme son apparition salvatrice en bateau, chemise ouverte sur les abdos) affable, charmeur, à l’aise en toutes circonstances, mais son emprise psychologique parait presque malsaine, suspecte. A l’image de cette scène, au début du récit : David ramène Alexis chez lui, pour le réchauffer la mère de David lui fait prendre un bain, « Bah vas-y, déshabille-toi ! », il est gêné, hésite, madame Gorman avec un naturel déconcertant lui lance un « et ho, pas de chichi ! » s’agenouille, lui baisse le froc, et lâche un « waouh » admiratif devant le sexe d’Alexis. Malsain.
On retrouve bien ici le cinéma de François Ozon, qui distille du venimeux chez ses personnages sous une apparence d’anges solaires, comme le personnage joué par Terence Stamp dans le THEOREME de Pasolini, comme ses huit femmes dans son film du même nom. On pourrait dire : c’est trop beau pour être vrai. Alexis habite dans une maison ouvrière avec ses parents prolos, un père taiseux, une mère aimante, et ses escapades avec David le changent d’univers. Il va même travailler dans le magasin d’articles de pêche et de sports de madame Gorman, fofolle excentrique, veuve depuis peu.
Le film baigne dans une ambiance d’été, de fêtes foraines, de musique, on y entend par deux fois « Sailing » de Rod Stewart, choix judicieux « I am sailing stormy waters, to be near you, to be free » et judicieusement utilisée lors de deux scènes contraires, scènes de danse, heureuse et insouciante pour l’une (clin d'oeil au film LA BOUM), un peu moins pour la seconde… On entend aussi du Bananarama « Cruel summer », Jeanne Mas « Toute première fois », on voit la pochette de Taxi Girl « Chercher le garçon ». On résume : été cruel + première fois + chercher le garçon... Judicieux, disais-je.
Mais le film baigne aussi dans une ambiance mortifère. Le père de David est mort récemment, on sait que David mourra, Alexis se passionne pour les momies, entretient une relation avec la mort assez ambigüe, voire la scène à la morgue, le couteau-peigne… Et puis ce pacte entre les deux : au premier qui meurt, l’autre doit promettre d’aller danser sur sa tombe. Le regard d’Alexis est alors très inquiétant, on se souvient de la première image, au tribunal…
On retrouve les thèmes chers au cinéaste, le trouble amoureux, les liaisons sulfureuses, dangereuses, l’amour et la mort presque filmées comme un même sentiment, l’homosexualité (ici deux jeunes hommes, mais ce n’est pas ce qui compte), le travestissement, la jalousie. Alexis pense que David est à lui seul, qu’il lui appartient, est sa chose. Il se vexe lorsque David aide un autre type, totalement saoul, dans la rue. Il l’interroge sur son emploi du temps lorsqu’ils ne sont pas ensemble, devient presque violent quand il comprend que David a vraisemblablement couché avec Kate, une anglaise fille au pair rencontrée sur la côte. La scène sur la plage de galets est révélatrice, David et Kate ont des chaussures, Alexis non, ce qui le place en position d'infériorité, presque grotesque et ridicule. 
La mise en scène est moins sophistiquée qu’à l’accoutumée, Ozon a d’ailleurs filmé en pellicule Super 16, qui donne un grain un peu vintage, le film est moins intellectualisé, plus charnel, bien qu’il n’y ait aucune scène érotique ou de sexe à l’écran, Ozon filme une passion finalement assez pudique, sensible, la caméra s’arrête à la serrure de la chambre, la voix-off d’Alexis précisant qu’il ne nous dira pas ce qu’il s’est passé derrière.
Les deux jeunes acteurs sont formidables, dans les seconds rôles où retrouve l’habitué Melvil Poupaud (le prof), Valeria Bruni-Tedeschi, Isabelle Nanty ou Bruno Lochet. ETE 85 n’est sans doute pas le meilleur d’Ozon, moins mystérieux, moins "élaboré", bref différent. Mais c'est aussi pour ça qu'on aime le travail de François Ozon, sans cesse en renouvellement. Pour cette génération (moi, j'étais pas né) la nostalgie va jouer à fond, c'est fait pour... La construction du film le rend intéressant de bout en bout à défaut d’être palpitant.
couleur  -  1h40  -  format 1/1.85  - super 16

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