La
séquence d’introduction de ce film est une des plus fabuleuses qui soient. A
ranger au côté du premier plan de LA SOIF DU MAL de Welles. La caméra cadre la
mention Sunset Boulevard. Pas un panneau, mais une inscription peinte sur un
trottoir, donc à hauteur de caniveau. Voilà où Billy Wilder semble placer son
estime de Hollywood. La caméra opère un travelling sur la route, on
entre dans une riche propriété, on s’approche d’une piscine où grouillent des
flics qui regardent le cadavre de Joe Gillis flotter dans l’eau, sur le ventre.
Plan suivant : depuis le fond de la piscine, on voit le cadavre de face et
à l’arrière-plan, au-dessus de la surface de l’eau, les policiers. En réalité,
le truc a consisté à déposer un miroir au fond de la piscine, la caméra restant
dehors, au sec, le cadrage et la focale faisant illusion.
Comment sait-on qu'il s'agit de Joe Gillis ? Parce qu'une voix-off accompagne cette séquence, et cette voix est la sienne ! Billy Wilder fait de la victime, un mort, un cadavre, le narrateur du film. Éblouissant. Il
avait déjà fait un coup similaire dans ASSURANCE SUR LA MORT (1944) où la
voix-off était celle du meurtrier qui enregistrait ses aveux avant de mourir. La
dernière séquence est elle aussi fameuse. En fait, tout est fabuleux dans ce
film !
Joe Gillis va donc nous raconter son histoire et sa fin tragique. Flashback. Joe Gillis est scénariste
pour la Paramout, qui ne trouve plus de travail. Ruiné, endetté, il échappe à
deux usuriers en se planquant dans ce qu’il pense être une propriété
abandonnée. Mais elle est habitée par Norma Desmond, une ancienne star du muet,
et son domestique Max von Mayerling. Norman Desmond prend Gillis pour le
croque-mort venu s’occuper d’un défunt… son singe. Voyez déjà l’aspect
mortifère et ironique du film. Gillis va finalement s’installer chez Norma
Desmond, qui lui commande le scénario de son futur come-back en échange du
gîte, des repas, de cadeaux somptueux.
Le
film laisse clairement entendre qu’ils deviennent amants, malgré la différence
d’âge, Gillis devient le gigolo de la vieille momie. La nuit, clandestinement,
il revient à ses bureaux de la Paramout pour travailler à des scripts avec une
jeune employée de production, Betty Schaefer. Ironie du sort, car Betty Schaefer avait rejeté en première lecture un
scénario de Gillis. Elle lui reprochait : « Y’a
pas de fond, pas de point de vue, vous vous contentez juste de raconter une
histoire ». A quoi Gillis rétorquait : « Eh ben avec vous, Autant
en emporte le vent aurait été recalé ! ».
Ce
genre de répliques vachardes va fuser pendant 2h00. Hollywood a toujours filmé
Hollywood de l’intérieur, CHANTONS SOUS LA PLUIE étant l’exemple le plus connu,
ou UNE ETOILE EST NÉE de Cukor, LES ENSORCELÉS de Minnelli, mais rarement avec
autant de sarcasmes. Billy Wilder règle ses comptes avec une institution
devenue une industrie comme une autre. Il fera dire à Norma Desmond : « Je
suis une grande, ce sont les films qui sont devenus petits ». Et vlan. Prétentieux
Wilder ? Sans doute, sauf que c’est un scénariste, producteur, réalisateur
très au-dessus du lot, sa filmographie en témoigne**.
Dans son dernier film, le splendide FEDORA (1978) avec encore William Holden, il en remettait une dernière couche faisant dire à un producteur « Aujourd'hui les gars font des films, ils n'ont même pas de scénario... ». Le film n'est pas uniquement une charge contre le système, c'est un film sur la nostalgie. Dans une très belle scène, Betty Shaeffer raconte à Gillis que lorsqu'elle était petite fille, ses parents travaillant au Studio, elle aimait rentrer chez elle en marchant dans les décors, préférant telle rue (reconstituée) à une autre.
Dans son dernier film, le splendide FEDORA (1978) avec encore William Holden, il en remettait une dernière couche faisant dire à un producteur « Aujourd'hui les gars font des films, ils n'ont même pas de scénario... ». Le film n'est pas uniquement une charge contre le système, c'est un film sur la nostalgie. Dans une très belle scène, Betty Shaeffer raconte à Gillis que lorsqu'elle était petite fille, ses parents travaillant au Studio, elle aimait rentrer chez elle en marchant dans les décors, préférant telle rue (reconstituée) à une autre.
Wilder
a eu l’idée de ce film lorsqu’il a emménagé sur Sunset Boulevard au début des
années 40, et qu’il découvrait les demeures somptueuses des anciennes stars, en
se demandant : mais que peuvent-elles faire de leurs journées puisqu’elles
ne tournent plus ? Norma Desmond vit dans ses souvenirs, bibelots poussiéreux, elle fantasme
son retour devant les caméras de Cecil B. de Mille, qui la rencontre dans le
cadre d’un tournage. Illusion, car de Mille n’est qu’intéressé par la voiture de
Norma Desmond, une antiquité qu'il souhaite lui emprunter. Cecil B. de Mille joue
son propre rôle, comme on verra Buster Keaton, ou la journaliste à potins Hedda
Hooper. Beaucoup de noms ou de titres réels sont cités dans le film, un ancrage presque
documentaire qui donne de la véracité au film.
Norma
Desmond est jouée par Gloria Swanson, immense star des années 20, qui livre une
interprétation dantesque, elle s’auto-caricature en tragédienne avec délectation. C’est fort,
car beaucoup d’actrices du muet avaient été contactées, Garbo, Pickford, Mae
West, mais il fallait une bonne dose d’autodérision pour accepter le rôle. Si
le public a aujourd’hui oublié ce que représentait Gloria Swanson dans les années
20, tout le monde se souvient de sa prestation dans SUNSET BOULEVARD.
Max
von Mayerling, le valet, est joué par Erich Von Stroheim. Prototype du cinéaste génial et mégalo rescapé
du muet, il avait d’ailleurs tourné QUEEN KELLY (1928) avec Gloria Swanson.
Wilder en fait l’ancien metteur en scène des succès de Norma Desmond, incapable
de se séparer de sa star au point d’en devenir le domestique. Et on apprendra
qu’il fut son premier mari. Voyez la mise en abime vertigineuse imaginée par
Billy Wilder ! D’où l’admirable plan de fin…
SUNSET
BOULEVARD est classé dans la catégorie Film Noir. Pourtant, pas de flics, de
détectives, de gangsters. Mais toutes les caractéristiques sont réunies : un
meurtre, une enquête (même si elle est racontée par la victime), flashback, voix-off, et
bien sûr la photographie du film. On la doit à John F. Seitz, un fidèle de
Wilder. Un noir et blanc superbe et contrasté, décors baroques encombrés, cadres
ingénieux, caméra très mobile, profondeur de champ, plan longs. Un
de ses trucs était de saupoudrer l’objectif de sa caméra de poussière pour
donner l’illusion de brouillard, d’étrangeté. Formellement, le film est
splendide, comme toujours chez Billy Wilder.
Après
un début malicieux, où on envie presque Joe Gillis de sa bonne fortune, la suite prend un tour plus dramatique. Norma Desmond, amoureuse, est jalouse à
double titre. De la relation entre Gillis et Betty Shaefer, qu’elle sait plus
jeune, plus sexy. D'ailleurs, Gillis qui sent Betty tomber amoureuse de lui, met en avant lui aussi la différence d'âge. Desmond se vengera en invitant
Betty Shaeffer chez elle, pour lui montrer le cadre de vie de Gillis, et leur relation ambigüe. Mais l’autre trahison est que Gillis travaille sur d’autres
scénarios. Elle vit cela comme une injure, un complot envers son statut de
star. Elle lui fait des scènes de plus en plus violentes, tente de se suicider,
devient une harpie hystérique. Gillis comprend qu’il est très mal barré…
On
pourrait parler de ce film pendant des heures, mais encore un mot sur William
Holden. C'est sa première collaboration avec Billy Wilder, il y aura STALAG 17,
SABRINA, FEDORA. Sur le tournage de ce dernier film, l’actrice Marthe Keller se plaint des
exigences de Wilder à Holden. L’acteur lui répond : « A chaque fois
que j’ai tourné avec cet enfoiré, j’ai été nommé aux Oscars ». Holden
était un acteur prodigieux, son rôle dans LA HORDE SAUVAGE de Peckinpah ne doit
pas éclipser le reste de sa carrière. Je vous ai déjà raconté à l’occasion de
BREEZY (Clint Eastwood, 1971) son triste destin. Alcoolique invétéré, il chute
dans son appartement, se blesse le crâne, et trop soul pour réagir, gît sur le
sol. On le retrouve quatre jours plus tard vidé de son sang.
Et
alors, ce dernier plan ? On y arrive… Fin du flashback. La demeure de
Norma Desmond grouille de journalistes, de policiers. Elle entend quelqu’un
dire : « les caméras sont là » faisant référence aux reporters télé. Une
étincelle s’allume dans les yeux. de la vieille actrice, elle se lève, s’avance sur le palier du
premier étage, dominant les inspecteurs et les badauds, qu'elle prend, dans son délire, pour l'équipe technique. Au rez-de-chaussée, Max
le domestique, digne et soumis, comprend le quiproquo. Placé entre deux
opérateurs télé, il annonce : « on est prêt Norma, moteur, ça tourne, action ! ».
Norma Desmond toute à ses illusions, descend l’escalier, majestueuse, récite
son texte, et arrivée sur la dernière marche dit : « Monsieur De Mille,
je suis prête pour mon gros plan » (« close-up » en anglais).
Elle s’approche de la caméra. Son visage envahit l’écran. Fin.
BOULEVARD
DU CREPUSCULE, en français, reste un film absolument fascinant, dont chaque
vision en redore encore l’aura. On pense le connaitre, mais à chaque fois on en sort
médusé. Donc on fait péter les 6 étoiles, parce que 7, y’a pas !
**ASSURANCE SUR LA MORT (le modèle du Film Noir / crime parfait) LE POISON, LA SCANDALEUSE DE BERLIN, LE GOUFFRE AUX CHIMÈRES, STALAG 17, SABRINA, les comédies SEPT ANS DE RÉFLEXION, CERTAINS L'AIMENT CHAUD, LA GARCONNIERE, TÉMOIN A CHARGE, IRMA LA DOUCE, FEDORA... N'en jetez plus !
*************************************
Le quizz : la semaine prochaine...
- Mieux qu'Alain Delon qui n'en comptait que trois
- 1ère collaboration d'un tamdem qui tournera 7 fois ensemble
- Qu'est ce que Cary Grant vient faire là dedans ?
**ASSURANCE SUR LA MORT (le modèle du Film Noir / crime parfait) LE POISON, LA SCANDALEUSE DE BERLIN, LE GOUFFRE AUX CHIMÈRES, STALAG 17, SABRINA, les comédies SEPT ANS DE RÉFLEXION, CERTAINS L'AIMENT CHAUD, LA GARCONNIERE, TÉMOIN A CHARGE, IRMA LA DOUCE, FEDORA... N'en jetez plus !
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Le quizz : la semaine prochaine...
- Mieux qu'Alain Delon qui n'en comptait que trois
- 1ère collaboration d'un tamdem qui tournera 7 fois ensemble
- Qu'est ce que Cary Grant vient faire là dedans ?
Moi c'est mon voisin qu'il faudrait abattre ( réveillé à 6 h du mat' par son clébard). Ça en fait 8...
RépondreSupprimerEt donc, le film est... Je veux le titre et le réalisateur.
RépondreSupprimerOn va dire Sept hommes à abattre de Budd Boetticher. Y'a Lee Marvin comme salopard, ça il sait bien le faire...
SupprimerSinon bien chagriné par la disparition de Joel Schumacher, Chute Libre (surtout), 8 mm et Phone Game m'avaient bien scotché.
J'ai bon m'sieur?
Re sinon, dans le mag' Première, ils ont mis premier Sunset Boulevard catégorie film sur le cinéma. Le HS juillet/Août. Tu bosses dedans?
RépondreSupprimerGagné ! Lee Marvin y est exceptionnel. Pour Première... les grands esprits se rencontrent... "Chute libre" j'avais bien aimé aussi.
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