Y
sont forts ces américains. Quand Alain Delon a 3 hommes à abattre, Randolph
Scott en a 7 ! On a évoqué avec LES AFFAMEURS le lien qui unissait un
réalisateur et son comédien, Anthony Mann et James Stewart. Il en va de même
avec Budd Boetticher et Randolph Scott qui ont tourné sept westerns ensemble à
la fin des années 50, presque les derniers films de l’acteur qui tournera une
dernière fois en 1962 avec Sam Peckinpah COUPS DE FEU DANS LA SIERRA. Si John
Wayne est la figure du cowboy éternel (par ailleurs co-producteur de 7 HOMMES A
ABATTRE avec sa société Batjac), on a un peu oublié quelle grande star était Randolph Scott au
propre comme au figuré (1,90 m de barbaque, un côté Gary
Cooper en moins charmeur) le héros solitaire, taiseux et monolithique adulé des
foules, qui tournait trois ou quatre films par an. Il était aussi producteur,
la plupart de ses films s’apparentent à la série B, petit budget mais bénéfices
royaux.
Pour
l’anecdote, il épouse avant-guerre l’héritière de la famille Dupont de Nemours,
un bon parti… Séparé d’elle, il vit en colocation avec son pote Cary Grant
pendant 10 ans, faisant naître la rumeur sur l’homosexualité des acteurs. Scott
arrête les tournages en 62, et mourra 25 ans plus tard. C’est aussi le parcours
de Budd Boetticher (aussi prénommé Oscar), réalisateur hors système qui
recherchait une indépendance artistique, condamné aux petits budgets, passionné
de tauromachie, vivant une partie de sa vie au Mexique, qui finira ruiné pour avoir voulu financer un documentaire sur
la corrida, ARRUZA, à la fin des années 60. Le film sortira finalement en 1972.
Après, plus rien. Il meurt en 2001.
7
HOMMES A ABATTRE (initialement titré 7 hommes restent à tuer) est la première collaboration entre les deux hommes,
considérée comme un de leurs meilleurs films, et comme un des meilleurs
westerns tournés après-guerre, si on écoute l’avis à l’époque des critiques
français des Cahiers du Cinéma, André Bazin qualifiant le film de "sur-western". Et c’est vrai que c’est vachement bien, mais
n’y voyez rien de comparable avec les fresques humaines de John Ford. Avec
Boetticher, c’est du bien dégraissé sur l’os, le film dure 1h20, et on attaque
directement dans le vif.
Premier plan : des
montagnes noyées sous l’orage, de nuit. Ben Stride entre dans le
cadre, trouve refuge dans une grotte ou deux gars s’abritent en buvant un café
autour du feu. Discussion, du genre qui tu es, tu viens d'où ? A l’évocation de la ville de Silver Springs où a eu lieu un hold-up sanglant, les deux gars se crispent. Auraient-ils mauvaise
conscience ? Puis Boetticher cadre le paysage extérieur, quand on entend deux
coups de feu. On comprend, mais sans le voir (on reviendra sur cette idée
géniale) que Ben Stride a tués les deux types. Pourquoi ? Pour le savoir il va
falloir regarder jusqu’au bout !
Car
le scénario remarquable de concision de Burt Kennedy (qui deviendra un médiocre réalisateur, on lui doit la série LE VIRGINIEN) donne les indications au
compte-gouttes. Pas de scènes d’exposition, explicatives. Ben Stride
va venir en aide à un couple de pionniers en route vers la Californie dont le
charriot est embourbé. Là encore, le nom de Silver Springs rend John Greer mal
à l’aise. Les Greer et Stride font route ensemble, rejoint par un certain Big
Masters (le génial Lee Marvin dans un rôle qui rappelle le futur Liberty
Valance) et son acolyte. Ils se rendent tous à Flora Vista, plus au sud, un
voyage dangereux. Un détachement de l’armée prévient les Greer du danger
indien. Mais Greer, pourtant peureux, un peu lâche, non armé, insiste pour ne
pas dévier son chemin. Pourquoi ?
A
propos des indiens, le réalisateur ne les évoque pas comme belliqueux, mais davantage
comme des victimes du système (à son image, lui qui quémandait des rallonges
pour tourner ?). Au début dans la grotte, Ben Stride dit aux deux hommes
qu’il n’a plus son cheval, volé par les indiens… pour le manger. Dans une autre
scène, au relai, un groupe d’indiens dépenaillés se pointe au petit matin.
Big Masters est prêt à tirer mais Stride se contente, très calmement, de
détacher un cheval et de leur donner.
On
va en apprendre un peu plus sur Ben Stride, sur ce qu’il s’est passé à Silver Springs, et le pourquoi de sa vengeance. C’est dans le titre : 7 hommes à
abattre. C'est une des constantes du cinéma de Boetticher. Le héros nous apparait vierge de passé, à priori inoffensif, mais révélant plus tard son véritable caractère et ses motivations.
Ben Stride est considéré comme le plus rapide tireur de l’Ouest. Pour
le prouver, Budd Boetticher a cette idée fabuleuse : on ne le voit jamais
tirer ! Comme dans la grotte, où il n’aurait pas été possible de dégainer
aussi vite, assis, vautré, revêtu d’un ciré. Le procédé culmine avec la confrontation finale. Au cinéma, on parle de "plan américain" quand on
cadre l’acteur à mi-cuisse, c’est-à-dire qu’on voit les colts des cowboys dans
les westerns. D’où le nom "américain", le western étant le genre de prédilection
du pays de Trump.
Or
dans ce duel, on voit le flingue de Big Masters, mais en contre-champs, pas celui de Ben Stride.
Masters a à peine le temps de saisir son arme, qu’on attend le coup de feu. Plan
suivant, Stride est cette fois pistolet en main, le canon ne fume même pas, déjà refroidi ! Le spectateur fronce les sourcils, se gratte le menton : j'hallucine ou quoi ? Y manque un truc ! Budd Boetticher, fier
de sa trouvaille, racontait qu’il aurait pu gagner beaucoup d’argent en pariant :
voit-on ou pas Randolph Scott dégainer et tirer ? Et le principe vaut sur tout le
film. Le mec vient pour se venger mais on ne le voit jamais réellement le faire !
Autre
idée superbe. Dans les montagnes, Masters qui ne souhaite pas partager un
magot, élimine son coéquipier. Le pauvre était planqué dans une crevasse, de
plus en plus étroite à mesure qu’on y pénètre. Quand il reçoit la balle, il est
si serré qu’il ne peut pas tomber et meurt coincé debout. Autre scène fameuse,
à l’abri du charriot. Le couple Greer et Stride sont rejoints par Big
Masters qui fait du gringue à Annie Greer : « J’ai connu une femme qui vous
ressemblait, mais un peu moins belle, mariée à un pleutre, un pleurnichard. Dès
qu’elle a croisé la route d’un gars viril, costaud, méchant, elle est partie
avec lui ». La scène est longue, il insiste, lourdement. C’est odieux pour
le mari, mal à l’aise, qui balbutie des explications que Masters rejette d’un
regard noir (faut oser affronter Lee Marvin !) gênant pour Annie Greer, humiliée,
mais aussi pour Ben Stride qui se sent viser comme amant potentiel.
Il
faut dire qu’Annie Greer est une sacrée femme, magnifique (waouh, quand elle apparait la chevelure défaite, ses yeux limpides, bleu clair) courageuse, aimante, qui
voyage avec trois hommes contrariés dans leur libido. Elle va découvrir aux deux-tiers du film le vrai
rôle de son mari dans l’intrigue (scénario génial j'vous dis) et en
pincera effectivement pour Ben Stride, dans des circonstances que je
ne révèlerai pas, sauf à me payer très cher (ci-joint un RIB). Le personnage
est joué par Gail Russell. Ah la belle femme ! La scène classique du bain
dans la rivière, nue imagine-t-on, avec Stride qui la zyeute, mais pas nous,
elle reste hors-champ ! Vous avez remarqué que dans les westerns la fille
se baigne toujours derrière un bouquet d’arbres ? Hélas, la timidité
maladive de l'actrice la faisait boire pour supporter le stress, Gail Russell meurt d’alcoolisme à juste 36 ans. Quel gâchis.
7
HOMMES A ABATTRE est une vraie réussite, un film court, concis, nerveux, astucieux, solidement réalisé, sans chichi, un scénario qui réserve de belles surprises.
Lee Marvin y vole presque la vedette à Randolph Scott dans un rôle de pur
salopard, il est fabuleux. Quand Stride lui demande pourquoi il a tué son complice, il répond avec un tel naturel : « Pourquoi ? Pourquoi pas... ». La classe.
couleur - 1h18 - format 1:1.85
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