vendredi 17 juillet 2020

7 HOMMES A ABATTRE de Budd Boetticher (1956) par Luc B.


Y sont forts ces américains. Quand Alain Delon a 3 hommes à abattre, Randolph Scott en a 7 ! On a évoqué avec LES AFFAMEURS le lien qui unissait un réalisateur et son comédien, Anthony Mann et James Stewart. Il en va de même avec Budd Boetticher et Randolph Scott qui ont tourné sept westerns ensemble à la fin des années 50, presque les derniers films de l’acteur qui tournera une dernière fois en 1962 avec Sam Peckinpah COUPS DE FEU DANS LA SIERRA. Si John Wayne est la figure du cowboy éternel (par ailleurs co-producteur de 7 HOMMES A ABATTRE avec sa société Batjac), on a un peu oublié quelle grande star était Randolph Scott au propre comme au figuré (1,90 m de barbaque, un côté Gary Cooper en moins charmeur) le héros solitaire, taiseux et monolithique adulé des foules, qui tournait trois ou quatre films par an. Il était aussi producteur, la plupart de ses films s’apparentent à la série B, petit budget mais bénéfices royaux.
Pour l’anecdote, il épouse avant-guerre l’héritière de la famille Dupont de Nemours, un bon parti… Séparé d’elle, il vit en colocation avec son pote Cary Grant pendant 10 ans, faisant naître la rumeur sur l’homosexualité des acteurs. Scott arrête les tournages en 62, et mourra 25 ans plus tard. C’est aussi le parcours de Budd Boetticher (aussi prénommé Oscar), réalisateur hors système qui recherchait une indépendance artistique, condamné aux petits budgets, passionné de tauromachie, vivant une partie de sa vie au Mexique, qui finira ruiné pour avoir voulu financer un documentaire sur la corrida, ARRUZA, à la fin des années 60. Le film sortira finalement en 1972. Après, plus rien. Il meurt en 2001.
7 HOMMES A ABATTRE (initialement titré 7 hommes restent à tuer) est la première collaboration entre les deux hommes, considérée comme un de leurs meilleurs films, et comme un des meilleurs westerns tournés après-guerre, si on écoute l’avis à l’époque des critiques français des Cahiers du Cinéma, André Bazin qualifiant le film de "sur-western". Et c’est vrai que c’est vachement bien, mais n’y voyez rien de comparable avec les fresques humaines de John Ford. Avec Boetticher, c’est du bien dégraissé sur l’os, le film dure 1h20, et on attaque directement dans le vif.
Premier plan : des montagnes noyées sous l’orage, de nuit. Ben Stride entre dans le cadre, trouve refuge dans une grotte ou deux gars s’abritent en buvant un café autour du feu. Discussion, du genre qui tu es, tu viens d'où ? A l’évocation de la ville de Silver Springs où a eu lieu un hold-up sanglant, les deux gars se crispent. Auraient-ils mauvaise conscience ? Puis Boetticher cadre le paysage extérieur, quand on entend deux coups de feu. On comprend, mais sans le voir (on reviendra sur cette idée géniale) que Ben Stride a tués les deux types. Pourquoi ? Pour le savoir il va falloir regarder jusqu’au bout !
Car le scénario remarquable de concision de Burt Kennedy (qui deviendra un médiocre réalisateur, on lui doit la série LE VIRGINIEN) donne les indications au compte-gouttes. Pas de scènes d’exposition, explicatives. Ben Stride va venir en aide à un couple de pionniers en route vers la Californie dont le charriot est embourbé. Là encore, le nom de Silver Springs rend John Greer mal à l’aise. Les Greer et Stride font route ensemble, rejoint par un certain Big Masters (le génial Lee Marvin dans un rôle qui rappelle le futur Liberty Valance) et son acolyte. Ils se rendent tous à Flora Vista, plus au sud, un voyage dangereux. Un détachement de l’armée prévient les Greer du danger indien. Mais Greer, pourtant peureux, un peu lâche, non armé, insiste pour ne pas dévier son chemin. Pourquoi ? 
A propos des indiens, le réalisateur ne les évoque pas comme belliqueux, mais davantage comme des victimes du système (à son image, lui qui quémandait des rallonges pour tourner ?). Au début dans la grotte, Ben Stride dit aux deux hommes qu’il n’a plus son cheval, volé par les indiens… pour le manger. Dans une autre scène, au relai, un groupe d’indiens dépenaillés se pointe au petit matin. Big Masters est prêt à tirer mais Stride se contente, très calmement, de détacher un cheval et de leur donner.
On va en apprendre un peu plus sur Ben Stride, sur ce qu’il s’est passé à Silver Springs, et le pourquoi de sa vengeance. C’est dans le titre : 7 hommes à abattre. C'est une des constantes du cinéma de Boetticher. Le héros nous apparait vierge de passé, à priori inoffensif, mais révélant plus tard son véritable caractère et ses motivations.
Ben Stride est considéré comme le plus rapide tireur de l’Ouest. Pour le prouver, Budd Boetticher a cette idée fabuleuse : on ne le voit jamais tirer ! Comme dans la grotte, où il n’aurait pas été possible de dégainer aussi vite, assis, vautré, revêtu d’un ciré. Le procédé culmine avec la confrontation finale. Au cinéma, on parle de "plan américain" quand on cadre l’acteur à mi-cuisse, c’est-à-dire qu’on voit les colts des cowboys dans les westerns. D’où le nom "américain", le western étant le genre de prédilection du pays de Trump.
Or dans ce duel, on voit le flingue de Big Masters, mais en contre-champs, pas celui de Ben Stride. Masters a à peine le temps de saisir son arme, qu’on attend le coup de feu. Plan suivant, Stride est cette fois pistolet en main, le canon ne fume même pas, déjà refroidi ! Le spectateur fronce les sourcils, se gratte le menton : j'hallucine ou quoi ? Y manque un truc ! Budd Boetticher, fier de sa trouvaille, racontait qu’il aurait pu gagner beaucoup d’argent en pariant : voit-on ou pas Randolph Scott dégainer et tirer ? Et le principe vaut sur tout le film. Le mec vient pour se venger mais on ne le voit jamais réellement le faire !
Autre idée superbe. Dans les montagnes, Masters qui ne souhaite pas partager un magot, élimine son coéquipier. Le pauvre était planqué dans une crevasse, de plus en plus étroite à mesure qu’on y pénètre. Quand il reçoit la balle, il est si serré qu’il ne peut pas tomber et meurt coincé debout. Autre scène fameuse, à l’abri du charriot. Le couple Greer et Stride sont rejoints par Big Masters qui fait du gringue à Annie Greer : « J’ai connu une femme qui vous ressemblait, mais un peu moins belle, mariée à un pleutre, un pleurnichard. Dès qu’elle a croisé la route d’un gars viril, costaud, méchant, elle est partie avec lui ». La scène est longue, il insiste, lourdement. C’est odieux pour le mari, mal à l’aise, qui balbutie des explications que Masters rejette d’un regard noir (faut oser affronter Lee Marvin !) gênant pour Annie Greer, humiliée, mais aussi pour Ben Stride qui se sent viser comme amant potentiel.
Il faut dire qu’Annie Greer est une sacrée femme, magnifique (waouh, quand elle apparait la chevelure défaite, ses yeux limpides, bleu clair) courageuse, aimante, qui voyage avec trois hommes contrariés dans leur libido. Elle va découvrir aux deux-tiers du film le vrai rôle de son mari dans l’intrigue (scénario génial j'vous dis) et en pincera effectivement pour Ben Stride, dans des circonstances que je ne révèlerai pas, sauf à me payer très cher (ci-joint un RIB). Le personnage est joué par Gail Russell. Ah la belle femme ! La scène classique du bain dans la rivière, nue imagine-t-on, avec Stride qui la zyeute, mais pas nous, elle reste hors-champ ! Vous avez remarqué que dans les westerns la fille se baigne toujours derrière un bouquet d’arbres ? Hélas, la timidité maladive de l'actrice la faisait boire pour supporter le stress, Gail Russell meurt d’alcoolisme à juste 36 ans. Quel gâchis.
7 HOMMES A ABATTRE est une vraie réussite, un film court, concis, nerveux, astucieux, solidement réalisé, sans chichi, un scénario qui réserve de belles surprises. Lee Marvin y vole presque la vedette à Randolph Scott dans un rôle de pur salopard, il est fabuleux. Quand Stride lui demande pourquoi il a tué son complice, il répond avec un tel naturel : « Pourquoi ? Pourquoi pas... ».  La classe.

couleur  -  1h18  -  format 1:1.85

    

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