Les BellRays sont toujours là, et bien vivants. Pour le bien du peuple. Still alive and well. Malgré les obstacles, les déceptions, en dépit d'un grossier et révoltant désintérêt des médias. Mais ils n'en ont cure. Dès leurs débuts, ils ont convenu qu'ils ne feraient pas de concessions, quitte à s'auto-produire et à être édité et distribué par d'obscurs petits labels. Un parti pris afin de garder leur indépendance. Et ils ont eu le courage de s'y tenir en dépit de l'adversité et des difficultés que cela implique. Rien que pour ça, déjà, ils méritent amplement le respect.
Dire que leur première réalisation, "In The Light of the Sun", date de 1993 (enregistré en 1992 !), et que par faute de moyens suffisants, ils n'avaient d'autre choix que d'adopter pour unique support, la cassette. Un premier jet fort bon, gorgé de Soul électrisante, parfois concupiscente, de Rhythm'n'Blues nerveux, de Rock garage, de sève, de verve, d'énergie. Et même de Jazz. Ben ouais. Heureusement, l'objet fut plus tard réédité en CD. C'est incompréhensible, mais, logiquement, avec une pièce de cet acabit, les maisons de disques auraient dû faire des pieds et des mains pour les signer. Au moins, pour les distribuer. Ce n'était pas le bon moment ? Pourquoi ? Il y aurait un bon moment pour réaliser de la bonne musique ? Il y aurait des saisons ? A ce moment là, c'était la "saison du Grunge". Dire qu'au même moment, on a crié au génie pour des disques moins bon que ce "In The Light of the Sun". Il n'y a pas de justice. Ou sinon c'est une justice qui touche des pots-de-vin. Peut-être qu'ils n'avaient pas le bon look ? Faut dire que la touche d'intello désabusée et blasée, le visage mangé par d'épaisse lunettes et une coupe négligée de mister Vennum ne correspond pas vraiment aux canons qu'une "élite protectrice" impose. Ou plutôt que, visiblement, ce n'étaient pas des jeunes gens faciles à manipuler.
Une injustice qu'ils ont traînée derrière eux pendant de longues années, mais ils ont tenu bon. Et malgré les ans, ils ont gardé toute leur fraîcheur. Possible que ce soit parce que, eux, peuvent se regarder dans le miroir. Bien sûr, le "ils" concerne l'inséparable couple Kekaula-Vennum, l'épine dorsale du groupe. Car le temps, les difficultés, l'insuffisance de notoriété, ont eu raison de bien des musiciens, faisant alors des Bellrays une formation à géométrie variable dont l'âme reste inchangée.
En plus de 25 années de carrière, les Bellrays n'ont pu réaliser que huit disques (non compris celui partagé avec les Streetwalking Cheetah). Huit sans compter celui sous l'appellation "Bob & Lisa", excellent disque live et acoustique, ou encore celui sous "Lisa & The Lips", plus porté sur le Funk, avec des musiciens espagnols (dont un second opus est toujours dans l'attente d'être édité). Deux excursions en marge des Bellrays. Mais qu'est précisément la musique des Bellrays ? Car, aucun de leurs disques ne se ressemble. Et d'ailleurs, on ne peut prétendre connaître ce groupe à travers seulement un ou deux, voire même trois de ses disques, tant chacun possède sa personnalité. A la limite, on peut concéder que "Let it Blast" et "Gran Fury" sont deux frères rendant hommage au Punk-rock le plus cru, et "Have a Little Faith" et "Hard Sweet & Sticky" deux sœurs redécouvrant la Soul et le Rhythm'n'Blues. En fait, The Bellrays est comme un arbre, robuste, un tronc dont les branches représentent sa discographie. Toutes de formes différentes et pourtant irréfutablement liées.
Aujourd'hui, tel un testament - ce que l'on n'espère pas - le couple Kekaula-Vennum balance des skeuds modestement baptisés "Punk, Funk, Soul, Rock". Quatre noms de quatre lettres, qui pour certains ont pratiquement autant d'importance que deux noms de quatre lettres : "live" et "love". Seulement différenciés par le numéro du volume. Le 1er est hélas bien succinct : un bien modeste Ep de quatre titres. Du torride certes, mais dont la modique quantité peut en laisser plus d'un sur sa faim. Heureusement, le second et salutaire volume n'a guère tardé. Un second volet, si bon, si fort, si intemporel que l'on vérifie à deux fois les crédits, persuadé d'y trouver quelques reprises dans le lot. Mais non, rien qui ne porte pas la double signature du couple marital.
En aparté, au sujet des reprises, ils aiment ça. Ce qu'attestent depuis longtemps leurs prestations scéniques. Un petit disque hommage, "Covers", leur a été consacré en 2016 ; il démontre l'étendue de leurs goûts musicaux et réussit à surprendre. "Dream Police" de Cheap Trick, "Highway to Hell" (repris depuis des années sur scène), "Whole Lotta Love" (dans une intéressante version Soul de panthère noire ; probablement inspirée par celle de Tina Turner mais, heureusement, dénuée des violons "disco" et des claviers condescendants qui avaient corrompu celle de la Tigresse de Nutbush. Là, c'est 100% Rock, Heavy-rock), "You Took Me by Surprise" de The Seeds (plombé avec Wayne Kramer en guest), "Never Say Die" de Black Sabbath et "Livin' in the City" de Stevie Wonder (avec l'apport de l'Australienne Dallas Frasca). Que du bon. Des versions sans additifs ni colorants. On en redemande. Car sincèrement, parmi les innombrables disques dédiés aux reprises, celui sort du lot. Ne serait-ce que parce que le répertoire ne se porte pas uniquement sur des classiques. Même les deux scies que sont celle d'AC/DC et de Led Zeppelin ne sont pas particulièrement ressassées. (même si celle inspirée par le "You Need Love" de Willie Dixon commence depuis quelques temps à surgir sur quelques disques - Santana, Beth Hart, Mary J Blige -. Alors qu'auparavant, on se contentait d'inclure un bref passage au milieu d'une chanson).
La voix de panthère de Lisa Kekaula, entre Bettye LaVette, Tina Turner et Rod Tyner (de MC5, évidemment ...) fait non seulement la différence, mais surtout, et c'en est d'ailleurs presque incroyable, elle se glisse dans ces chansons comme si elles avaient été composées pour elle. Au point où l'on en oublie les chanteurs originaux. Et là, c'est du lourd. Même ceux du Sabb' et de Cheap Trick ; deux formations aux vocalistes à la tonalité et au timbre si distants l'un de l'autre.
Pour en revenir au présent disque, visiblement, ils ont fait le choix de pochettes on ne peut plus sobres. Limite rebutante, frôlant le suicide commercial. Et cela dure depuis 2008. A croire qu'ils s'économisent les méninges, au profit du travail de composition. En fait, la présentation de leurs disques ne semble n'avoir jamais été un de leur soucis. Déjà, ils ont toujours revendiqué vivre avant tout pour la scène. Et c'est le contenu qui a son importance, et non le contenant (une lapalissade). A l'écoute, le titre de la galette n'est pas usurpé, ni présomptueux. "Punk" étant le terme le moins approprié. Néanmoins, pour Vennum et Kekaula, la frontière entre ces genres est ténue. Du moins, du moment qu'il s'agit de bonne musique.
Dorénavant, plus que jamais, leur musique représente un melting-pot de la musique populaire, prolétaire même. En particulier celle née dans les années 60 et 70. Celle permettant aux masses laborieuses de pouvoir, un instant, oublier leurs frustrations, leurs peines, leur accablement. Celle pouvant également servir d'exutoire, telle une soupape de sécurité pour évacuer la colère avant qu'elle n'ait raison de la santé mentale. Celle qui ressource, suffisamment pour affronter et supporter le labeur incessant. Source de chaleur réconfortante pour les cœurs et les âmes. Un peu paradoxalement, sachant qu'on l'imagine issue de lieux souillés par l'industrie, le béton, de contrées favorisant plutôt l'involution humaine. Voire le renfermement sur soi-même à cause d'un harassement continuel.
Qu'est donc "Bad Reaction" sinon une pure émanation de saines vibrations Rock'n'Roll galvanisantes (chaudement recommandé après une journée éreintante - garantie sans effets secondaires indésirables) ? Les chœurs appellent le docteur, mais le remède est déjà là : celui du Punk-Funk-Rock-Soul du couple Californien. Un morceau qui a la stature d'un futur classique. Tout comme "Perfect", manifestation d'un Heavy-rock velouté, taquiné par une basse funky et enrobé d'une Soul mordante. Ou "Brand New Day", véritable Rhythm'n'Blues solaire engendrant sourires d'assouvissement (Bouddha écoutait-il les BellRays ?). Faculté partagée avec "Every Change I Get", entre chant Soul et syntaxe instrumentale bluesy, irradiant d'une saine chaleur les conduits auditifs.
Même le Punk-rock de "Junior High", à l'instrumentation en partie Ramonesque, procure force et énergie. De l'EPO sonique.
Pour les plus amorphes, il y a la solution radicale avec "Man Enough", élément frénétique échappé du "Kick Out the Jams" du MC5 ou du "Live At Leeds" des Who (source d'inspiration revendiquée - le disque et le groupe -).
Et pour les plus sensibles, les plus timorés, "I Can't Hide" revisite les vieilles recettes des classiques des Rhythm'n'Blues des 60's. Avec un soupçon de mordant en sus.
Même "Never Let a Woman", bien qu'empreint de gravité et d'une certaine mélancolie, d'une relative noirceur, a également la compétence pour botter l'arrière-train.
Pas d’esbroufe, pas de chrome, rien de rutilant ou d'artificiel, ou de babillage soliste. Rien d'extravagant, d'alambiqué ou d'aventureux ici. Juste un bon et authentique Rock salvateur. L'absence de toutes formes d'aigus perçants ou stridents, engendre une douce patine naturelle propre aux œuvres de la Soul et du Hard-Blues des années 68-74 ; ça respire la prise live captée par d'antiques micros. La sobriété est de mise. Pas de chichis. Et c'est ce qui permet d'être imperméable à l'implacable et cruelle morsure au temps.
- "Blues is the Teacher. Punk is the Preacher"
- "Maximum Rock & Soul"
🎶
Autre article / The BellRays (lien): "Black Lightning" (2010)
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