- Tiens un papier Saint-Saëns M'sieur Claude… Il me semble que vous
détestez ce compositeur français… D'où ma surprise…
- Houlà Sonia, détester, le vilain mot… Disons que je ne choisirai pas en
premier sa musique pour l'île déserte. Pourquoi ? Bof, manque de souffle
épique, des facilités…
- C'est curieux ce surnom "l'égyptien"… Le piano fait la danse du ventre
? Pfff, je suis un peu bête…
- Camille Saint-Saëns a composé ce concerto en Égypte, il voyageait
beaucoup cet homme… Il y a un petit style orientalisant dans le mouvement
lent… Sympa…
- C'est le premier article consacré à Jean-Yves Thibaudet je crois, mais
il n'y a que les concertos 2 et 5, un choix délibéré ?
- Ce sont les plus réussis sur une série de cinq. Un grand pianiste
français… C'est en visualisant une vidéo live enflammée que m'est venue
l'idée de cette chronique…
Je suis en train de découvrir les cinq concertos pour piano de notre
Camille
national par
Pascal
Rogé et
Charles Dutoit. Ma foi, de la bien belle musique. Comme quoi, il n'y a que les morts et
les imbéciles qui ne changent jamais d'avis 😎. Pour contredire Sonia, nous avons déjà écouté des "tubes" de
Saint-Saëns
:
le carnaval des animaux, la tonitruante
Symphonie avec orgue
(tonitruante car conforme à la commande pour inaugurer l'immense salle du
Trocadéro avec son orgue) et deux
concertos, l'un pour
violon, l'autre pour
violoncelle
dans un chouette disque réunissant les
frères Capuçon
(Clic). Ce dernier disque a confirmé mon sentiment que
Saint-Saëns
doit trouver ses interprètes. De la musique souvent enjouée qui ne cède pas
à la dramaturgie anglo-saxonne. Jouer les concertos pour piano de
Saint-Saëns
comme ceux de
Beethoven
ou de
Brahms
est une co**ie. Et je découvre là avec gourmandise des ouvrages sans
prétentions métaphysiques, pleins de verve, pas forcément très subtils, mais
très séduisants ; je vais creuser le sujet… Il n'est jamais trop
tard !
Exception : la vidéo avec Jean-Yves Thibaudet
au clavier n'est pas celle du CD, mais au diable les dogmes. Un live avec le
Concertgebouw
d'Amsterdam
ne se refuse pas, surtout sous la baguette du jeune et fougueux
Andris Nelsons. Quant à
Jean-Yves Thibaudet, j'ai de bonnes raisons de croire que sa conception de l'ouvrage "très
pianistique" n'a pas dû profondément évoluer entre ce concert et la gravure
du disque. Un disque très bien accueilli par les critiques et les mélomanes
et que l'on peut écouter dans de bonnes conditions sur Deezer
(Clic).
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Camille Saint-Saëns vers 1896 |
Ô ça me revient, petite anecdote personnelle. Le tout jeune pianiste
Lucas Debargue, nominé dans la catégorie
Révélation soliste instrumental lors des Victoires de la musique
classique 2018
a interprété sur scène le final survolté de ce concerto avec une fougue peu
commune. Et ce jeune artiste de 27 ans m'a bluffé et amené à chercher plus
avant. Sans lui, cette chronique n'aurait peut-être jamais été rédigée. Il
n'a pas reçu la récompense, mais merci à ce jeune virtuose prometteur…
Pour revenir à
Saint-Saëns, je lis de-ci de-là que les mélomanes boudent ce compositeur ; diable, je
ne serais pas le seul alors. La raison la plus communément avancée étant que
: même au début du XXème siècle, le compositeur (mort à 86 ans en
1921) continuait d'écrire dans
un style datant du Second Empire, pas la meilleure époque pour la musique
française. Il était et reste bizarre le public. Dans ces années-là, il
allait siffler copieusement
Debussy
(Prélude à l'après-midi d'un Faune) ou
Stravinsky
(Le sacre) car trop modernistes ou provocants et négligeait un musicien chenu devenu
soi-disant trop académique, mais qui avait connu la gloire au
XIXème. Par ailleurs, en cette fin de l'époque romantique, on se
chamaillait entre les admirateurs de
Wagner
entrainés par
Vincent d'Indy
et
César Franck
et les tenants du classicisme comme… Saint-Saëns. Certes, les plus novateurs et géniaux cités avant ont gagné la partie,
mais je m'en veux d'avoir été influencé par les détracteurs zélés d'un
musicien qu'il faut sans doute redécouvrir, mais interprété par des artistes
qui resituent son univers musical dans son style non germanique. On m'aurait
menti ?
Les grandes lignes de la vie et de la carrière de
Saint-Saëns
sont à lire dans une chronique consacrée à deux concertos
(Clic).
Saut dans le temps en 1896.
Même âgé, le compositeur sillonne la planète musicale : Saint-Pétersbourg,
les grandes villes US, les colonies dont l'Algérie et l'Égypte. Il mourra
d'ailleurs à Alger en 1921 où
il séjourne pour travailler à… 86 ans ! Donc
1896, à Louxor.
L’Égypte est très à la mode
depuis Napoléon : les pyramides, les mirages de l'Orient, les récits
bibliques, les contes des mille et une nuits. Un univers qui inspire les
compositeurs :
Ravel
(Shéhérazade),
Florent Schmitt
(La Tragédie de
Salomé,
Antoine et
Cléopâtre,
Salammbô) et bon nombre d'opéras :
Hérodiade
ou encore
Cléopâtre
de
Massenet
et évidement le kitchissime
Samson et Dalila
de
Saint-Saëns, etc. Est-ce à dire que le
5ème concerto
va nous entraîner dans les délices d'un harem ou chercher à séduire une
princesse momifiée ? Non, juste quelques citations dans l'andante.
Saint-Saëns
est un virtuose d'exception, donc voici un ouvrage de musique pure,
mais… pas que…
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Andris Nelsons |
Jean-Yves Thibaudet
: né en 1961, ce pianiste ne nous avait
pas encore rendu visite dans
le blog. Élève d'Aldo Ciccolini, il connait une carrière internationale. Il s'est vu décerné une Victoire
d'honneur de la musique classique en 2007. Son répertoire est
éclectique, l'artiste enregistre en exclusivité pour le label DECCA.
De
Liszt
à
Rachmaninov, en passant par
Debussy. Il a également gravé quelques B.O. et même un album de standards de Jazz
de
Bill Evans…
Charles Dutoit
: Ce chef d'origine suisse accompagne
Jean-Yves Thibaudet
à la tête de l'Orchestre de la Suisse Romande. Un retour aux sources pour ce maestro qui a dirigé longtemps l'orchestre de Montréal et a été marié deux fois à
Martha
Argerich. Une personnalité déjà rencontrée lors d'une chronique consacrée à une
symphonie d'Albert Roussel (Clic).
Andris Nelsons
: ce jeune chef d'origine lettone a déjà une belle carrière derrière lui,
notamment comme chef d'opéra. Cette saison, Il a pris ses fonctions de
directeur du
Gewandhaus
de Leipzig
succédant ainsi à
Riccardo Chailly. Dans le live proposé pour ce billet, il accompagne
Jean-Yves Thibaudet
au
Concertgebouw d'Amsterdam, orchestre de très haut niveau mondial comme le savent les
mélomanes.
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Le concerto se compose de trois mouvements et son orchestration hormis le
tam-tam est celle héritée de
Beethoven, donc fondamentalement classico-romantique. Bizarrement, il n'y a pas de
trompettes !
1 Piccolo, 2/2/2/2, 4 cors et 3 trombones, timbales, tam-tam et
cordes.
Ajouter une légende |
1 - Allegro animato
: Il était une fois une suite d'accords legato aux sonorités veloutées, aux
accents pimpants, joués de concert par flûtes, hautbois, clarinettes et
bassons : les premières mesures du
concerto
"l'Egyptien" ! Des pizzicati des cordes (sans les contrebasses) les rejoignirent, des
petites notes en mesures syncopées, de petites notes volées plus tard par le
piano. Un enchaînement cordes-piano d'une fraîcheur toute française, et
diablement habile en termes d'orchestration. Une délicieuse bonne humeur. La
thématique exposée par le piano n'est qu'une suite d'accords et d'autres
syncopes sur une tessiture restreinte. Donc pas d'envolée lyrique ou
dramatique, mais une mélodie rêveuse peut-être inspirée par la torpeur des
jardins de Louxor. [0:24] Les cordes vont reprendre ce thème charmeur.
Saint-Saëns
développe ces motifs et accélère le mouvement. Le tempo allegro semblait
jusqu'alors usurpé. Une musique très vivante avec certes un jeu du piano
très présent, les échanges concertants avec l'orchestre traité avec humour
peignent une atmosphère plutôt légère. [1:06] Seconde idée plus énergique
énoncée par le piano sur des trémolos des cordes précédés des trilles de
cors. Pas vraiment de forme sonate au sens strict (sauf dans la reprise
finale) mais une invitation au voyage à la suite de la promenade poétique et
guillerette du piano.
Toujours un peu groggy à la fin du final mastodonte de la
symphonie avec Orgue, je découvre un
Saint-Saëns
facétieux, débonnaire et épicurien. À ce stade, aucune influence orientale
ne se manifeste.
Jean-Yves Thibaudet
cristallise son jeu autour d'un staccato peu appuyé, distillant avec
gourmandise toute la malice de cette musique. [6:52] Petit passage un peu
tragique pour épicer le récit. [7:17] Annonciateur de la coda, un dialogue
hautbois-flûte-clarinette et piano intervient avec drôlerie. Quelques
mesures qui résument à elles-seules la bonhomie de ce concerto, de cet
allegro en forme d'allegretto…
Jean-Yves Thibaudet
exalte la partition par son jeu articulé, très accentué, réjoui, sans
pathos. L'orchestre sous la houlette d'Andris Nelsons
ne s'impose jamais, révélant le rôle important des pupitres des bois aux
sonorités acidulées.
- Eh, voilà une belle réconciliation M'sieur Claude, à lire ce début
d'analyse…
- Oui, c'est chouette… Ô tous les rédacteurs découvrent le temps venu des
musiques qui semblaient mineures…
XXXXXXXX
2 – Andante : [9:38] Vous en connaissez beaucoup des andante qui commencent frénétiquement par des fracas de timbales ? Moi, non. Saint-Saëns ose tout. Les cordes s'élancent dans une cavalcade (joute de dromadaires 😊). Le piano insinue un thème animé aux accents orientalisants ; enfin. Le tempo se calme dans ce mouvement composé d'épisodes variés. [12:08] Le soliste aborde un passage en forme de cadence avec des sonorités qui évoquent sans ambages la torpeur de l'orient, la lascivité des belles égyptiennes. [15:12] Autre invention mélodique : une petite marche promenade bien rythmée mais aux accents nocturnes.
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2 – Andante : [9:38] Vous en connaissez beaucoup des andante qui commencent frénétiquement par des fracas de timbales ? Moi, non. Saint-Saëns ose tout. Les cordes s'élancent dans une cavalcade (joute de dromadaires 😊). Le piano insinue un thème animé aux accents orientalisants ; enfin. Le tempo se calme dans ce mouvement composé d'épisodes variés. [12:08] Le soliste aborde un passage en forme de cadence avec des sonorités qui évoquent sans ambages la torpeur de l'orient, la lascivité des belles égyptiennes. [15:12] Autre invention mélodique : une petite marche promenade bien rythmée mais aux accents nocturnes.
[16:31]
Saint-Saëns
invente-t-il la musique minimaliste d'un
Glass
par une suite étrange de notes dans l'extrême aigu à la main droite ? Les
trilles des violons sont de la partie également, le pianiste contant à la
main gauche un motif mélodique qui ferait son petit effet dans
Samson et Dalila
ou tout autre œuvre à la manière de péplum musical.
[17:21] Le compositeur est décidément plein de ressources et enchaîne sur
une thématique qui me fait songer au style coloré et aux influences arabo
andalouses des
Nuits dans les Jardins
d'Espagne de
de Falla
écrites en 1909. Je ne parle
pas de plagiat, l'Espagne étant très à la mode à cette époque (Boléro
et
Pavane
de
Ravel,
Iberia
de
Debussy, etc.). Ce mouvement lent dépourvu de toute répétition académique se
termine par un soleil couchant offrant les couleurs ocre aux ruines
millénaires.
Jean-Yves Thibaudet
poursuit son voyage un tantinet exotique sur le Nil en ciselant chaque
changement de climat, me démontrant, j'en avais besoin, l'extrême
imagination et la volubilité de ce concerto. J'irai jusqu'à dire que par cet
abandon de la forme sonate pure vers des frontières rhapsodiques,
Saint-Saëns
nous entraine dans le monde impressionniste de son temps…
3 – Molto Allegro
: [20:35] Moins étonnamment poétique, le final retrouve le style énergique,
tambours battants, et virtuoses souvent attribué au compositeur. Un final
court au tempo vif qui donne la part belle aux exploits du clavier. Il faut
bien un final à un concerto, il est hâtif et débonnaire mais ne retrouve pas
l'enchantement de l'allegro initial et surtout de l'andante, une page
d'exception. (Partition)
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Je suis en train de découvrir l'intégrale des cinq concertos sous les
doigts de
Pascal Rogé, autre grand pianiste français, accompagné par trois orchestres
différents, mais de nouveau sous la direction de
Charles Dutoit. Si les concertos 2 & 5, en effet, dominent le cycle, on ne s'ennuie
jamais dans les trois autres ouvrages. Prise de son excellente pour ces
disques de 1981 (DECCA –
5/6).
Autre intégrale réputée d'après mes sources, celle de
Stephen Hough, pianiste américain connu pour son jeu franc et alerte et qui doit donc
bien convenir au style de
Saint-Saëns. Je ne connais pas ces disques, mais critiques et mélomanes le citent
comme une référence. Le label est aussi une garantie de qualité (Hypérion
- ?).
Brigitte Engerer
malgré sa disparition récente continue grâce à son héritage discographique à
nous surprendre avec un touché raffiné. Sans déplacer son phrasé vers le
romantisme d'un
Schumann, elle nous apporte une interprétation d'une subtilité affirmée, avec une
frappe sans esbroufe, mais alors pas du tout ! Ses admirateurs n'en seront
pas surpris (Mirare –
5/6)
Comme vous le voyez, en ce moment, je savoure cette musique que je
connaissais mal. Honte à moi pour mes préjugés…
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Ha ha!! Le vernis craque ! Bientôt une chronique sur "La danse macabre", "le rouet d'Omphale" et autres sonates ??? :-)
RépondreSupprimerLa danse macabre en juillet (avec un dessin animé rigolo et Daniel Barenboïm à la baguette) :0)
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