samedi 14 avril 2018

BACH – Concerto pour violon BWV 1042 - FREIBURGER BAROCKORCHESTER – par Claude Toon



- Dites M'sieur Claude… Un article riquiqui pour un samedi ?! C'est vrai que vous étiez en Savoie avec M'sieur Vincent pour une réunion sur la stratégie du Deblocnot région Alpes-Grand Sud…
- Ah ah, surtout en vacances après une longue série d'articles étoffés dont celui sur Tristan de Wagner. Alors, petite pause avec un joli concerto de Bach… Voilà !
- Bonne idée, la musique baroque fait toujours plaisir… On pense un peu à Vivaldi en écoutant ce concerto…
- Pas complètement faux Sonia, Bach s'intéressait beaucoup à la musique vénitienne, mais inutile de préciser qu'il y apporte sa patte personnelle…
- Pas trop austère quand même pour le compositeur des cantates et des passions ?
- Non Sonia, au contraire, des innovations… nous sommes dans l'esprit des concertos brandebourgeois ou des concertos pour clavier, les soirées entre amis du Café Zimmermann

Petra Müllejans
Il est vraisemblable que des mélomanes confirmés soient un peu déroutés voire en désaccord profond avec certaines des opinions et choix qui ont guidé la rédaction de ce billet. Et pourquoi pas ? Je ne me suis jamais érigé en musicologue ou critique professionnel, donc mes chroniques ne sont destinées qu'à partager (avec un petit effort pédagogique) mes passions et coups de cœur pour des œuvres et des interprétations (je ne dis pas interprètes). Précautions liminaires pour montrer la part de subjectivité à l'écoute de la musique baroque depuis la révolution de son interprétation "sur instruments d'époque" des années 50 sous la houlette de personnalités comme Nikolaus Harnoncourt.
Quand j'écoutais l'émission "La tribune des critiques de disques" dans les années 60-70, cet assemblée d'anciens n'avaient pas de mots assez méchants vis-à-vis de ce regard nouveau sur la musique baroque. On parlait de musiciens qui jouaient faux, de trahison, etc. L'académisme scolaire régnait en maître et pourtant je rends grâce à feux ces papis de m'avoir aidé de découvrir un grand nombre d'œuvres… d'autres époque (classique et romantique). J'étais jeune, pas intégriste par nature et pourtant Monteverdi me semblait prendre de bien jolies couleurs avec cette nouvelle donne…  
Cinquante ans ont passé. Et je n'appartiens toujours à aucune école… La Passion selon Saint-Mathieu ou Le Messie en format 4 heures avec des chanteurs d'opéra d'un Scherchen m'emballent tout autant que ces oratorios magnifiés en effectif réduit par Gustav Leonhardt ou Paul Mac Creesh… Seul le respect de l'esprit et de la lettre, l'expressivité, la beauté et la pertinence du jeu instrumental a droit de citer dans mes sélections d'enregistrements et donc le jugement intime dont je vous fais part. Point !

Tout ce préambule pour résumer mes recherches quant à une interprétation vivante. En cherchant une vidéo Youtube pour écouter ce concerto assez connu, j'ai eu de drôles de surprises. Forcément attirés par des grands noms, j'ai écouté : Yehudi Menuhin - Masters en 1960 (virtuosité incontestable, mais dieu que c'est lent), Oïstrakh - Ormandy, Heifetz - Wallenstein. Rien que cela et dans tous les cas : bof !!! Techniquement irréprochable, mais j'ai le sentiment d'entendre cette musique si gouleyante revue et corrigée à la sauce romantique épicée Mendelssohn… Ô c'est surtout l'accompagnement orchestral dépourvu de toute vitalité qui coince. Quant à Heifetz et ses sempiternelles coquetteries hédonistes… Des beaux témoignages du passé, bien sûr, mais qui dit passé dit hélas dépassé tant ce que l'on va écouter ce jour respire la fraîcheur, la joie de vivre et l'humilité dans le sens où les instrumentistes rendent Bach à sa quintessence. Je reviendrai plus loin sur quelques albums anciens ou récents qui redonnent sur instruments modernes peut-être pas la grande virtuosité de ses illustres violonistes cités, mais une vivacité festive, incontournable dans les ouvrages concertants de Bach… Pavé dans la mare comme l'on dit…
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Freiburger Barockorchester
On situe vers 1713 l'écriture des concertos pour violons sans aucun doute influencée par les œuvres similaires dans le style vénitien de Vivaldi. Bach avait transcrit pour l'orgue des pages de son confrère. Plagiat ? Non, fréquent à l'époque où la SACEM n'existait pas. Haendel fera de même avec des airs de Bach… J'émettais des réserves sur mon intérêt à l'écoute de ce concerto joué par un grand soliste virtuose à la manière des grands concertos romantiques de Mendelssohn, Brahms, Sibelius, Tchaïkovski, etc… Pour ces derniers, la partition est réellement conçue pour un affrontement violoniste-virtuose vs orchestre. Pour le concerto de Bach, deux différences fondamentales en font une divertissement destiné à être joué hors de concerts guindés, au café Zimmerman (Clic) par exemple, entre une suite ou un concerto brandebourgeois… Deux argument donc : la partition comporte cinq portées, deux pour les premier violons qui jouent à l'unisson, le "leader" jouant la partie soliste en suivant l'indication Solo (dans l'allegro uniquement). Trois autres portées : second violons, altos, violoncelles. Par ailleurs les passages solistes sont prévus pour un bon violoniste, certes, mais en aucun cas un prince de l'archet. La technique exigée est assez facile et ne retient pas les difficultés inventées par Bach (double cordes, écarts vertigineux) et rencontrées dans les sonates et partitas. En résumé, ce concerto n'est en aucun cas destiné à faire briller un violoniste illustre comme dans ces six pièces célèbres mentionnées ou dans les beaux concertos romantiques. CQFD. 2 exemples extraits du concerto et de la sonate N°1 pour étayer ma théorie :


Logique avec mon propos, écoutons l'interprétation du Freiburger Barockorchester, une formation fondée en 1987. Dirigé à l'origine par Thomas Hengelbrock (auteur d'une Messe en si de Bach sidérale de 1997 – (Clic, discographie)), l'orchestre s'est vu coacher par de grands chefs baroqueux comme Trevor Pinnock, René Jacobs, Philippe Herreweghe et Ton Koopman. Mais la plupart du temps, l'ensemble travaille de manière autonome, notamment pour cet album des concertos de Bach. La soliste n'est autre que Petra Müllejans, musicienne allemande, l'un des premiers violons et cofondatrice de l'orchestre ; également pédagogue et spécialiste de la musique des époques baroque et classique. À noter un continuo du clavecin tenu par Torsten Johann.
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Café Zimmerman
1 - Allegro : MI ! SOL ! SI ! Trois noirs piquées, trois coups assenés à l'unisson par les cordes, un motif offensif digne d'un Beethoven mais aussi d'un Vivaldi (rappelons-nous les premières mesures éclatantes du "printemps"). Un fil musical très dansant découle de ces trois notes qui constitueront le leitmotiv qui va traverser l'allegro. Allègre, c'est le mot pour le flot mélodique en forme de ritournelle endiablée et incisive qui cède la parole au premier violon chargé, non pas de s'opposer à l'orchestre par une thématique très individualisée, mais de prolonger en écho le style du discours commun… [0:27]. La forme est classique avec ses reprises et réexpositions, mais les instrumentistes Freiburger Barockorchester animent gaiement le propos par une articulation vivifiante ce qui parfois sonne de manière disons… bien prosaïque. [2:07] Un second thème très rythmé, un perpetuum mobile insistant assure une fantasque transition avant les reprises. Bach nous entraîne dans une ronde folle. Petra Müllejans négocie avec alacrité sa place au sein de l'orchestre, cherchant à s'imposer, mais justement, sans jamais parvenir à voler la chorégraphie facétieuse de l'accompagnement, et là est la malice de Bach. L'orchestre ne sera jamais le faire-valoir du violon virtuose.

2 - Andante [07:33] : Dans ce mouvement qui côtoie les plus beaux arias de Bach, le violon solo développera un chant tendre, presque sensuel (adjectif rarement utilisé en commentant Bach). Le continuo basse-clavecin fait jeu égal avec les cordes de l'orchestre. On ne peut nier une certaine gravité à cet andante mais dans le sens crépusculaire du mot, avec une pincée de spiritualité, sans atteindre cependant les dimensions cosmiques chères au compositeur. Petites remarques : Bach impose la secrète tonalité relative ut # mineur pour tous le concerto et, contrairement à l'allegro, le premier violon solo joue seul, jamais à l'unisson avec son groupe. D'ailleurs c'est très net à l'écoute.

3 - Allegro assai [13:42] : le concerto s'achève sur un mouvement guilleret mais au tempo plus sage que l'allegro. Un style réjouissant qui préfigure avec son style propre et bien scandé, l'empreinte de Bach, les divertimentos de Mozart. Malgré ses sonorités plus sévères, très germaniques, on ne peut échapper à l'image de Vivaldi. Freiburger Barockorchester confirme ce sentiment par la belle couleur acidulée, pour ne pas dire ensoleillée, de leur phrasé capricieux basé sur le rythme d'une danse de cours appelé passe-pied (proche du menuet et d'origine bretonne dit-on).
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1975, Abbey Road. Les trois potes Itzhak Perlman, Pinchas Zukerman (pour le double concerto) et Daniel Barenboïm avec l'English Chamber Orchestra se réunissent pour graver deux vinyles consacrés aux concertos de Bach. Près de vingt minutes pour le BWV 1042 ! Mais une plastique sonore et un climat de bienêtre qui permettent à ces disques d'être toujours présents au catalogue depuis plus de quarante ans. Aucune lourdeur ou virtuosité gratuite… Des tenues dans l'aigu de Perlman à verser une petite larme (EMI/Warner – 5,5/6).
Autre approche baroque, avec un violon plus en avant, celle de l'English Concert sous la houlette de Trevor Pinnock. Raffiné et élégant, très en place et poétique (andante) comme toujours. Une alternative sachant que trois concertos et 46 minutes pour un CD classique, voilà qui fait chiche face (Archiv – 4/6).
On va encore penser que je n'ai d'yeux que pour la jolie Hilary Hahn 😊. Pour ces débuts chez DG en 2003, la jeune femme revenait à ses premiers amours : Bach et ses concertos. Sur instruments modernes et un orchestre un peu fade, une interprétation avec beaucoup de rigueur et de probité. Quelques pisse-vinaigres ont flingué ce disque à vue, comme si les jeunes artistes étaient de facto incapables de rivaliser avec les grands virtuoses cités en introduction. Résultat : un Bach dégraissé sans métaphysique hors de propos à l'intention des allergiques aux sonorités acides des baroqueux (DG – 4,5/6). Un peu vert mais très vivant, Maggy Toon adore…
Quant aux grands anciens (comme disait Lovecraft), on pourra écouter avec plaisir l'art et l'éloquence d'un Oïstrakh ou d'un Menuhin en faisant abstraction d'un accompagnement massif et d'une prise de son brouillonne…
- Eh Sonia, il n'est pas si riquiqui que ça mon papier de rentrée…
- Oui, en effet, juste une impression par rapport aux précédents…

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Deux vidéos : le concerto dans la version baroque et pétulante de ce jour. Puis le phrasé miraculeux de David Oïstrakh malgré une prise de son bien datée de 1956 avec Eugène Ormandy et l'orchestre de Philadelphie. Le charme indiscutable des antiquités… Austère, mais pas dénué de grandeur mystique.



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