- Retour en Finlande M'sieur Claude… Une symphonie de Jean Sibelius… Un
compositeur dont quelqu'un aurait dit que "c'était le plus mauvais
compositeur du monde" !
- Ah vous connaissez ça Sonia. Un certain René Leibowitz, compositeur,
chef d'orchestre, intégriste pur sucre de l'atonalité et, lui,
complètement oublié et oubliable, hi hi…
- Ce n'était pas très sympa en effet, j'écoute le CD là, c'est assez
inhabituel, on dirait qu'il n'y a pas de mouvements… une mélodie en
continue… Voyez c'que je
veux dire ?
- Oui, vers la soixantaine, à sa manière,
Sibelius
cherche des voies nouvelles et explose la forme habituelle dans cette
ultime et courte symphonie… Majestueuse…
- Vous aviez fait le RIP de ce chef, Paavo Berglund, à vos débuts dans le
blog je crois ?
- En effet, ce chef a beaucoup enregistré Sibelius et de belle manière,
on lui doit plusieurs intégrales de ses symphonies….
Revenons à la remarque de Sonia à propos de la citation tirée du pamphlet
de
René Leibowitz
(1913-1972). Cette vacherie suffisante instruisait un procès et un jugement
sur le style postromantique du compositeur finlandais. Bien que de peu
l'ainé de
Schoenberg
(le professeur dudit
Leibowitz), Sibelius n'a jamais été tenté, à la fin prématurée de sa période
créative1, de rejoindre le mouvement atonal et sérialiste de
l'École de Vienne… Cela en faisait un ringard aux yeux de certains
soi-disant progressistes donneurs de leçons. Cela dit, si on regarde les
dates de naissance des compositeurs contemporains de
Sibelius
(né en 1865), beaucoup seraient tout aussi mauvais en suivant le même
critère d'appréciation :
Puccini
(1858),
Mahler
(1860),
Debussy
(1862),
Strauss
(1864), etc. Et puis il faut rappeler que le grand
Schoenberg, qui professait que le sérialisme était une simple invention et non une
découverte, disait à ses élèves : "il y a encore de belle musique à écrire en do majeur". Alors hein… M'sieur
Leibowitz, couchez, panier !! Même son élève
Pierre Boulez, adepte assidu du dodécaphonisme, prendra ses distances avec lui.
(1) Sibelius s'arrêtera de composer réellement début des années 30,
bien qu'il nous quittera plus que nonagénaire en 1957.
Deux symphonies, la
2ème
et la
4ème, cette dernière étant un véritable tournant dans l'écriture de Sibelius
par sa crépusculaire sobriété, ont déjà donné lieu à des chroniques dans ce
blog. La biographie générale est à lire dans celle consacrée à la
4ème
(Clic). Cette œuvre de 1910 reflète
les angoisses de Sibelius
qui avait presque miraculeusement survécu à un cancer de la gorge. Les
symphonies qui vont suivre sont très différentes les unes des autres. Fidèle
à un style postromantique a contrario d'un Bartók
ou d'un Debussy
qui explorent des solfèges innovants, le compositeur se réinvente sans cesse
par la profondeur des climats, l'étrangeté des tonalités employées, le
symbolisme de l'inspiration très opposée à celle plus descriptive des
premières symphonies de forme plus classique.
La genèse de cette symphonie est peu banale et explique sa forme
monolithique. À l'évidence, Sibelius
ne souhaitait sans doute pas écrire une symphonie en plusieurs mouvements
comme à l'accoutumée, mais une fantaisie symphonique puisant sa thématique,
une fois de plus, dans la mythologie finnoise. Après moult hésitations, la
symphonie sera moins proche du monde des légendes, qu'une œuvre de musique
pure, un hymne à la nature et à l'humain. Il préféra donc le titre de
7ème symphonie. Commencée sans enthousiasme, la 8ème symphonie
ne verra jamais le jour, les manuscrits ayant sans doute été
détruits.
Il semblerait que l'écriture se soit étalée sur plusieurs années donnant
naissance à divers projets insatisfaisants. Le travail de Sibelius
a conduit à un ouvrage sans rupture formelle, à l'image de ses grands poèmes
symphoniques (Tapiola
composé un an plus tard –
Clic, ou
En saga). Les commentateurs essaient de découper la symphonie en mouvements
enchaînés, mais on obtient suivant les sources de 4 à 12 mouvements !
Tout cela fleure bon la prise de tête un peu vaine, car les frontières
s'appuient sur les indications de changement de tempo figurant sur la
partition. Je ne retiens donc aucun plan précis, préoccupation trop
secondaire pour cette œuvre. Ceux que le sujet passionnent pourront se
référer à la
Partition en Ligne
sur le site IMSLP. On peut juste remarquer que deux parties disons "adagio"
encadrent un développement plus "allegro". Point.
Il est possible que des esquisses aient été couchées sur les portées dès
1914. Mais c'est en
1924 que
Sibelius, à grand renfort de Whisky comme souvent, achèvera sa composition qui sera
créée en décembre de la même année, à Stockholm, sous la direction du
compositeur. Elle sera rapidement publiée, en
1925.
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Quelques mots sur
Paavo Berglund, chef finlandais qui tenait sa baguette de la main gauche, à qui j'avais
rendu hommage lors de sa disparition début 2012.
Paavo Berglund
est indissociable de
Jean Sibelius. Le compositeur avait reconnu de son vivant un jeune homme qui comprenait
à merveille le feu, la lave et la poésie de sa musique. Certains chefs ont
parfois tendance à s'épancher sur une musique bien plus épique que
contemplative de par son inspiration nourrie de légendes âpres parfois
cruelles. (Poèmes de l’épopée du Kalevala.)
Paavo Berglund
a gravé trois intégrales du cycle symphonique de son compatriote : dans les
années 70 avec l'orchestre de Bournemouth, rebelote dans les années 80 avec l'orchestre d'Helsinki et enfin, dix de der dans les années 90, avec l'Orchestre de chambre d'Europe. Sans compter divers albums isolés. Aucune n'a vraiment pris un coup de
vieux grâce à l'engagement du chef.
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Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) : Glace sur le Lac Ruovesi - 1917 |
L'orchestration est héritée de l'époque romantique, celle de Brahms. Seule curiosité, les pupitres des cordes sont séparés en 2 groupes
:
2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes en si, 2 bassons, 4 cors en fa, 2
trompettes en si, 3 trombones, timbales, 1 harpe, premiers et seconds
violons en 2 groupes, idem
pour les altos et les violoncelles, contrebasses.
Il est évidemment surprenant pour une œuvre datée de
1924 qu'aucune percussion ou
bois additionnels comme le cor anglais ou le contrebasson ne soient
présents. Le public commençait à apprécier les couleurs chamarrées d'une
orchestration à la Debussy, à la Mahler
ou encore à la Bartók… Sur ce plan, la
7ème symphonie
s'inscrit dans la continuité du XIXème siècle.
Imaginons l'analyse de cette symphonie tel un carnet de voyage symphonique.
L'idée paraît subjective, elle l'est ! Mais la démarche évite de se
heurter aux obstacles guère passionnants d'un découpage en mouvements pour
le moins ésotérique pour un néophyte. J'y ai substitué mes
propres indications globales de tempo
pour simplifier les choses.
[Lento - maestoso] Deux discrets coups de timbales invitent les cordes à un élégiaque
crescendo ascendant. Inutile d'être un expert de Sibelius
pour ressentir le souffle épique du vent dans les forêts de bouleaux et de
résineux de ce pays de bois et de lacs, cet espace sans limite, encore
vierge et peuplé de créatures et de dieux mythiques. Ah, Sibelius
et ses "glissandi" diatoniques de notes tenuto, l'expression la plus
primordiale de l'immensité… Il aurait inspiré le style de Ligeti dit-on
; donc pour un "ringard", on a fait pire 😊. Un accord sombre des bois sera le point culminant de ce crescendo, accord
suivi d'une belle mélodie ondulante reflet du clapotis à la surface des
lagunes. La nature s'éveille, l'obscurité des nuits boréales s'éloigne. Les
cordes prolongent de leurs phrases languides ce climat onirique jusqu'au
lever grandiose du soleil, le réveil des forces vitales émergeant des roches
et des flots. [4:29] Pizzicati des contrebasses et variation sur la
thématique jusqu'à un choral de trombones [5:12] qui clôt cette majestueuse
introduction. Le discours est complexe, mais lisible malgré ses sonorités
héritées d'un Wagner. Comparaison toute relative, car Sibelius
ne fait appel à aucun chromatisme, do majeur simplement. Par ailleurs et
étrangement, la mélodie se développe avec de belles sonorités et une grande
spontanéité, alors que la densité de notes sur la partition est forte.
Double confirmation que si Sibelius
ne s'aventure pas dans des audaces tonales, il joue habilement sur des
agrégats de timbres, ce qui n'est pas une solution de facilité. Quant à
Paavo
Berglund, grâce lui soit rendue pour la franchise de sa direction : clarté du
phrasé, absence de fioritures. Un successeur de
Kajanus, ami de Sibelius
réputé pour ses interprétations "cash" de cette musique aux accents
naturellement farouches et rugueux.
Akseli Gallen-Kallela : Paysage de Ruovesi |
[Agitato - animato] [6:04] Une transition est assurée grâce à un passage au tempo encore
retenu mais dans lequel les trilles des cordes et divers nouveaux éléments
mélodiques vont prendre place pour [7:51] déchaîner les passions. Une grande
fantaisie chorégraphique surgit des bois en complicité avec les cordes. Oui,
un chant bucolique aux ruptures de tempo incessantes, humoristiques et
endiablées. L'orchestration se révèle joyeusement concertante, évoquant une
fête villageoise ou les facéties des lutins et petits habitants des forêts,
ceux des contes de grand-mères du Kalevala…
[10:37] Nouvel épisode tout aussi agité mais suggérant une chevauchée dans
un récit chevaleresque. La musique nous rapproche de l'esprit de certains
poèmes symphoniques comme "Chevauchée nocturne et levé de Soleil"
(CLic). Le ton est plus grave et pathétique, voire grinçant par rapport au début
de cet allegro. Les jeux des instruments s'entrechoquent par instant,
mélodiquement et orchestralement. L'inventivité est au rendez-vous associée
à des groupes de mesures très courts, d'où le choix de mon pseudo tempo
général :
Agitato - animato.
[16:54] De nouvelle idées romanesques et héroïques se font jour. Une
symphonie courte mais diaboliquement imaginative. Sibelius
semble préparer la coda par un récapitulatif formel des innombrables motifs
égayant cette partie centrale effervescente. La direction au cordeau,
énergique mais jamais précipitée de
Berglund
magnifie ce tissu orchestral aux milles couleurs, aux rythmes frôlant la
désarticulation. À noter que la prise de son sert admirablement
l'œuvre.
[Moderato - maestoso] [17:42] C'est une cavalcade frénétique qui va nous reconduire au tempo
initial à travers un rappel du choral des trombones. Sibelius
adopte un style vigoureux et dramatique, retrouvant ses immenses phrases
bouleversantes aux cordes et ses halètements suggérant une musique qui s'est
épuisée dans la partie allegro. Les bois entonnent une élégiaque mélodie ;
coucher de soleil ? L'orchestre plonge dans les extrêmes graves quasi
lugubres pour nous préparer à un ultime et titanesque double accord de
l'orchestre qui s'arrête… NET !!! Fin de la symphonie. Silence
éternel.
Certains chefs (Karajan ?) prolongent à leur gré et parfois avec emphase cet effet inhabituel (pour
le moins) qui semble indiquer que Sibelius
n'a plus rien à nous confier, qu'il est inutile de terminer un ouvrage aussi
intense par dieu sait quel point d'orgue académique. Ce qu'il mettra en
application en ne publiant plus rien, hélas pour nous…
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La discographie est riche. Le disque de ce jour est un must à mon sens.
Dans l'intégrale réalisée par le jeune
Lorin Maazel
à
Vienne
dans les années 60, les
symphonies 4
&
7
étaient les plus réussies. Certes, c'est le merveilleux orchestre
autrichien, et donc le style quitte les brumes et la rudesse nordique pour
un climat plus germanique. Prise de son magnifique DECCA de cette
époque. Une immense poésie, beaucoup d'articulation (DECCA –
6/6).
Le Chef finlandais au look de géant barbu et hirsute
Leif Segerstram
a gravé deux intégrales. Héritier de la culture finnoise, il redonne un
aspect un peu glaçant et rude à la symphonie, inspiré sans doute par
l'énergie d'un
Kajanus
dont aucun témoignage n'est actuellement disponible. Très personnel (Ondine - 5/6).
De nouveau un chef proche de la culture des pays baltes,
Namee Järvi
a enregistré une intégrale passionnante avec l'orchestre suédois de
Göteborg. Un compromis très bien capté entre le romantisme d'un
Maazel
et la détermination des chefs finlandais (DG – 5/6). Un disque isolé
réunit les symphonies 5
&
7.
On citera aussi :
Kurt Sandeling,
Guennadi Rozhdestventsky
et
Herbert von Karajan
à Berlin…
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Tu parles de René Leibowitz dans avant propos, il est vrai que, qu'il y a beaucoup de zone d'ombre dans sa vie et que, parait-il, sa manière d'enseigner etait très rigide d'après Pierre Boulez qui, comme tu le dis toi même, est passé entre ses mains, mais je trouve le bonhomme intéressant avec quand même un catalogue bien fournis. Sinon pour Sibélius, je ne dirais rien, j'ai toujours adoré. La fameuse anecdote de la 8 ème symphonie qui après une commande Goebbels, Sibélius condamnera la politique racial allemande et brûlera la partition.
RépondreSupprimerHoula ! Goebbels ?
RépondreSupprimerLa 8ème symphonie a été commencé dans les années 20 sur un souhait (commande ?) de Serge Koussevitzky, le patron de l'orchestre de Boston.
De procrastination en procrastination, la symphonie n'a jamais vraiment vu le jour. Les ébauches ont été détruites vers la fin de la vie de Sibelius sans doute après la capitulation de l'Allemagne. A ce propos, les allemands aimaient Sibelius, sans doute parce que du même âge que Richard Strauss et de la même mouvance postromantique.
Du coup, c'est vrai, Goebbels avait créé une association pour promouvoir sa musique. Mais comme tu le précises si justement, si Sibelius aimait le pays "historique" de la musique, il détestait ce régime nazi surtout quand celui-ci a commencé à montrer son vrai visage raciste dans les années 30. Le compositeur n'a d'ailleurs guère quitté son pays pendants le conflit.
Quant à Leibowitz… C'est vrai, je ne suis pas tendre. On peut ne pas aimer les choix stylistiques d'un compositeur, mais on peut y mettre les formes, ne pas tomber dans l'opprobre pour ne pas dire l'insulte.
RépondreSupprimerOui le catalogue de Leibowitz n'est pas très mince, mais ses pièces de cinq minutes qui ne sont que des ersatz en forme de copier-coller de Berg ou Webern, elles le sont, minces. Même des pointures comme William Steinberg ont du mal à susciter l'enthousiasme :
https://www.youtube.com/watch?v=95VJEoSXSLw
Cela dit, pour adoucir mon propos, Leibowitz était un excellent chef. Et ce qui curieux c'est qu'il ait dirigé par exemple une petite pièce comme dernier printemps de Grieg qui fleure bon la musique de genre, bien plus que celle de Sibelius. Vaste débat :
https://www.youtube.com/watch?v=2Zb9wyze4fc
oui, il est vrai que Berg et Webern se ressente énormément dans son écriture et que la longueur de ses pièces sont plutôt courtes ! Mais je viens d'en écouter plusieurs dont :'Marijuana,' Variations non sérieuses Op. 54 (1960) qui est écoutable mais avec une oeuvre de 6'26...on reste sur sa faim !
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