samedi 24 mars 2018

SIBELIUS – Symphonie N° 7 (1924) – Paavo BERGLUND (1996) – par Claude Toon



- Retour en Finlande M'sieur Claude… Une symphonie de Jean Sibelius… Un compositeur dont quelqu'un aurait dit que "c'était le plus mauvais compositeur du monde" !
- Ah vous connaissez ça Sonia. Un certain René Leibowitz, compositeur, chef d'orchestre, intégriste pur sucre de l'atonalité et, lui, complètement oublié et oubliable, hi hi…
- Ce n'était pas très sympa en effet, j'écoute le CD là, c'est assez inhabituel, on dirait qu'il n'y a pas de mouvements… une mélodie en continue… Voyez c'que je veux dire ?
- Oui, vers la soixantaine, à sa manière, Sibelius cherche des voies nouvelles et explose la forme habituelle dans cette ultime et courte symphonie… Majestueuse…
- Vous aviez fait le RIP de ce chef, Paavo Berglund, à vos débuts dans le blog je crois ?
- En effet, ce chef a beaucoup enregistré Sibelius et de belle manière, on lui doit plusieurs intégrales de ses symphonies….

Revenons à la remarque de Sonia à propos de la citation tirée du pamphlet de René Leibowitz (1913-1972). Cette vacherie suffisante instruisait un procès et un jugement sur le style postromantique du compositeur finlandais. Bien que de peu l'ainé de Schoenberg (le professeur dudit Leibowitz), Sibelius n'a jamais été tenté, à la fin prématurée de sa période créative1, de rejoindre le mouvement atonal et sérialiste de l'École de Vienne… Cela en faisait un ringard aux yeux de certains soi-disant progressistes donneurs de leçons. Cela dit, si on regarde les dates de naissance des compositeurs contemporains de Sibelius (né en 1865), beaucoup seraient tout aussi mauvais en suivant le même critère d'appréciation : Puccini (1858), Mahler (1860), Debussy (1862), Strauss (1864), etc. Et puis il faut rappeler que le grand Schoenberg, qui professait que le sérialisme était une simple invention et non une découverte, disait à ses élèves : "il y a encore de belle musique à écrire en do majeur". Alors hein… M'sieur Leibowitz, couchez, panier !! Même son élève Pierre Boulez, adepte assidu du dodécaphonisme, prendra ses distances avec lui.
(1) Sibelius s'arrêtera de composer réellement début des années 30, bien qu'il nous quittera plus que nonagénaire en 1957.

Deux symphonies, la 2ème et la 4ème, cette dernière étant un véritable tournant dans l'écriture de Sibelius par sa crépusculaire sobriété, ont déjà donné lieu à des chroniques dans ce blog. La biographie générale est à lire dans celle consacrée à la 4ème (Clic). Cette œuvre de 1910 reflète les angoisses de Sibelius qui avait presque miraculeusement survécu à un cancer de la gorge. Les symphonies qui vont suivre sont très différentes les unes des autres. Fidèle à un style postromantique a contrario d'un Bartók ou d'un Debussy qui explorent des solfèges innovants, le compositeur se réinvente sans cesse par la profondeur des climats, l'étrangeté des tonalités employées, le symbolisme de l'inspiration très opposée à celle plus descriptive des premières symphonies de forme plus classique.
La genèse de cette symphonie est peu banale et explique sa forme monolithique. À l'évidence, Sibelius ne souhaitait sans doute pas écrire une symphonie en plusieurs mouvements comme à l'accoutumée, mais une fantaisie symphonique puisant sa thématique, une fois de plus, dans la mythologie finnoise. Après moult hésitations, la symphonie sera moins proche du monde des légendes, qu'une œuvre de musique pure, un hymne à la nature et à l'humain. Il préféra donc le titre de 7ème symphonie. Commencée sans enthousiasme, la 8ème symphonie ne verra jamais le jour, les manuscrits ayant sans doute été détruits.

Tableau de famille : à partir de la gauche: Frederik Schnedler-Petersen, Robert Kajanus,
Jean Sibelius (habillé en noir), Georg Høeberg, Erkki Melartin*,
Wilhelm Stenhammar, Carl Nielsen*, Johan Halvorsen.
Photo prise à l’occasion d’un concert le 20 juin 1919.
(*) Chroniques dans le blog.
Il semblerait que l'écriture se soit étalée sur plusieurs années donnant naissance à divers projets insatisfaisants. Le travail de Sibelius a conduit à un ouvrage sans rupture formelle, à l'image de ses grands poèmes symphoniques (Tapiola composé un an plus tard – Clic, ou En saga). Les commentateurs essaient de découper la symphonie en mouvements enchaînés, mais on obtient suivant les sources de 4 à 12 mouvements ! Tout cela fleure bon la prise de tête un peu vaine, car les frontières s'appuient sur les indications de changement de tempo figurant sur la partition. Je ne retiens donc aucun plan précis, préoccupation trop secondaire pour cette œuvre. Ceux que le sujet passionnent pourront se référer à la Partition en Ligne sur le site IMSLP. On peut juste remarquer que deux parties disons "adagio" encadrent un développement plus "allegro". Point.
Il est possible que des esquisses aient été couchées sur les portées dès 1914. Mais c'est en 1924 que Sibelius, à grand renfort de Whisky comme souvent, achèvera sa composition qui sera créée en décembre de la même année, à Stockholm, sous la direction du compositeur. Elle sera rapidement publiée, en 1925.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Quelques mots sur Paavo Berglund, chef finlandais qui tenait sa baguette de la main gauche, à qui j'avais rendu hommage lors de sa disparition début 2012.
Paavo Berglund est indissociable de Jean Sibelius. Le compositeur avait reconnu de son vivant un jeune homme qui comprenait à merveille le feu, la lave et la poésie de sa musique. Certains chefs ont parfois tendance à s'épancher sur une musique bien plus épique que contemplative de par son inspiration nourrie de légendes âpres parfois cruelles. (Poèmes de l’épopée du Kalevala.)
Paavo Berglund a gravé trois intégrales du cycle symphonique de son compatriote : dans les années 70 avec l'orchestre de Bournemouth, rebelote dans les années 80 avec l'orchestre d'Helsinki et enfin, dix de der dans les années 90, avec l'Orchestre de chambre d'Europe. Sans compter divers albums isolés. Aucune n'a vraiment pris un coup de vieux grâce à l'engagement du chef.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) : Glace sur le Lac Ruovesi - 1917
L'orchestration est héritée de l'époque romantique, celle de Brahms. Seule curiosité, les pupitres des cordes sont séparés en 2 groupes :
2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes en si, 2 bassons, 4 cors en fa, 2 trompettes en si, 3 trombones, timbales, 1 harpe, premiers et seconds violons  en 2 groupes, idem pour les altos et les violoncelles, contrebasses.
Il est évidemment surprenant pour une œuvre datée de 1924 qu'aucune percussion ou bois additionnels comme le cor anglais ou le contrebasson ne soient présents. Le public commençait à apprécier les couleurs chamarrées d'une orchestration à la Debussy, à la Mahler ou encore à la BartókSur ce plan, la 7ème symphonie s'inscrit dans la continuité du XIXème siècle.

Imaginons l'analyse de cette symphonie tel un carnet de voyage symphonique. L'idée paraît subjective, elle l'est ! Mais la démarche évite de se heurter aux obstacles guère passionnants d'un découpage en mouvements pour le moins ésotérique pour un néophyte. J'y ai substitué mes propres indications globales de tempo pour simplifier les choses.
[Lento - maestoso] Deux discrets coups de timbales invitent les cordes à un élégiaque crescendo ascendant. Inutile d'être un expert de Sibelius pour ressentir le souffle épique du vent dans les forêts de bouleaux et de résineux de ce pays de bois et de lacs, cet espace sans limite, encore vierge et peuplé de créatures et de dieux mythiques. Ah, Sibelius et ses "glissandi" diatoniques de notes tenuto, l'expression la plus primordiale de l'immensité… Il aurait inspiré le style de Ligeti dit-on ; donc pour un "ringard", on a fait pire 😊. Un accord sombre des bois sera le point culminant de ce crescendo, accord suivi d'une belle mélodie ondulante reflet du clapotis à la surface des lagunes. La nature s'éveille, l'obscurité des nuits boréales s'éloigne. Les cordes prolongent de leurs phrases languides ce climat onirique jusqu'au lever grandiose du soleil, le réveil des forces vitales émergeant des roches et des flots. [4:29] Pizzicati des contrebasses et variation sur la thématique jusqu'à un choral de trombones [5:12] qui clôt cette majestueuse introduction. Le discours est complexe, mais lisible malgré ses sonorités héritées d'un Wagner. Comparaison toute relative, car Sibelius ne fait appel à aucun chromatisme, do majeur simplement. Par ailleurs et étrangement, la mélodie se développe avec de belles sonorités et une grande spontanéité, alors que la densité de notes sur la partition est forte. Double confirmation que si Sibelius ne s'aventure pas dans des audaces tonales, il joue habilement sur des agrégats de timbres, ce qui n'est pas une solution de facilité. Quant à Paavo Berglund, grâce lui soit rendue pour la franchise de sa direction : clarté du phrasé, absence de fioritures. Un successeur de Kajanus, ami de Sibelius réputé pour ses interprétations "cash" de cette musique aux accents naturellement farouches et rugueux.

Akseli Gallen-Kallela : Paysage de Ruovesi
[Agitato - animato] [6:04] Une transition est assurée grâce à un passage au tempo encore retenu mais dans lequel les trilles des cordes et divers nouveaux éléments mélodiques vont prendre place pour [7:51] déchaîner les passions. Une grande fantaisie chorégraphique surgit des bois en complicité avec les cordes. Oui, un chant bucolique aux ruptures de tempo incessantes, humoristiques et endiablées. L'orchestration se révèle joyeusement concertante, évoquant une fête villageoise ou les facéties des lutins et petits habitants des forêts, ceux des contes de grand-mères du Kalevala…
[10:37] Nouvel épisode tout aussi agité mais suggérant une chevauchée dans un récit chevaleresque. La musique nous rapproche de l'esprit de certains poèmes symphoniques comme "Chevauchée nocturne et levé de Soleil" (CLic). Le ton est plus grave et pathétique, voire grinçant par rapport au début de cet allegro. Les jeux des instruments s'entrechoquent par instant, mélodiquement et orchestralement. L'inventivité est au rendez-vous associée à des groupes de mesures très courts, d'où le choix de mon pseudo tempo général : Agitato - animato.
[16:54] De nouvelle idées romanesques et héroïques se font jour. Une symphonie courte mais diaboliquement imaginative. Sibelius semble préparer la coda par un récapitulatif formel des innombrables motifs égayant cette partie centrale effervescente. La direction au cordeau, énergique mais jamais précipitée de Berglund magnifie ce tissu orchestral aux milles couleurs, aux rythmes frôlant la désarticulation. À noter que la prise de son sert admirablement l'œuvre.

[Moderato - maestoso] [17:42] C'est une cavalcade frénétique qui va nous reconduire au tempo initial à travers un rappel du choral des trombones. Sibelius adopte un style vigoureux et dramatique, retrouvant ses immenses phrases bouleversantes aux cordes et ses halètements suggérant une musique qui s'est épuisée dans la partie allegro. Les bois entonnent une élégiaque mélodie ; coucher de soleil ? L'orchestre plonge dans les extrêmes graves quasi lugubres pour nous préparer à un ultime et titanesque double accord de l'orchestre qui s'arrête… NET !!! Fin de la symphonie. Silence éternel.
Certains chefs (Karajan ?) prolongent à leur gré et parfois avec emphase cet effet inhabituel (pour le moins) qui semble indiquer que Sibelius n'a plus rien à nous confier, qu'il est inutile de terminer un ouvrage aussi intense par dieu sait quel point d'orgue académique. Ce qu'il mettra en application en ne publiant plus rien, hélas pour nous…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

La discographie est riche. Le disque de ce jour est un must à mon sens. Dans l'intégrale réalisée par le jeune Lorin Maazel à Vienne dans les années 60, les symphonies 4 & 7 étaient les plus réussies. Certes, c'est le merveilleux orchestre autrichien, et donc le style quitte les brumes et la rudesse nordique pour un climat plus germanique. Prise de son magnifique DECCA de cette époque. Une immense poésie, beaucoup d'articulation (DECCA – 6/6).
Le Chef finlandais au look de géant barbu et hirsute Leif Segerstram a gravé deux intégrales. Héritier de la culture finnoise, il redonne un aspect un peu glaçant et rude à la symphonie, inspiré sans doute par l'énergie d'un Kajanus dont aucun témoignage n'est actuellement disponible. Très personnel (Ondine - 5/6).
De nouveau un chef proche de la culture des pays baltes, Namee Järvi a enregistré une intégrale passionnante avec l'orchestre suédois de Göteborg. Un compromis très bien capté entre le romantisme d'un Maazel et la détermination des chefs finlandais (DG – 5/6). Un disque isolé réunit les symphonies 5 & 7
On citera aussi : Kurt Sandeling, Guennadi Rozhdestventsky et Herbert von Karajan à Berlin…

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~


4 commentaires:

  1. Tu parles de René Leibowitz dans avant propos, il est vrai que, qu'il y a beaucoup de zone d'ombre dans sa vie et que, parait-il, sa manière d'enseigner etait très rigide d'après Pierre Boulez qui, comme tu le dis toi même, est passé entre ses mains, mais je trouve le bonhomme intéressant avec quand même un catalogue bien fournis. Sinon pour Sibélius, je ne dirais rien, j'ai toujours adoré. La fameuse anecdote de la 8 ème symphonie qui après une commande Goebbels, Sibélius condamnera la politique racial allemande et brûlera la partition.

    RépondreSupprimer
  2. Houla ! Goebbels ?
    La 8ème symphonie a été commencé dans les années 20 sur un souhait (commande ?) de Serge Koussevitzky, le patron de l'orchestre de Boston.
    De procrastination en procrastination, la symphonie n'a jamais vraiment vu le jour. Les ébauches ont été détruites vers la fin de la vie de Sibelius sans doute après la capitulation de l'Allemagne. A ce propos, les allemands aimaient Sibelius, sans doute parce que du même âge que Richard Strauss et de la même mouvance postromantique.
    Du coup, c'est vrai, Goebbels avait créé une association pour promouvoir sa musique. Mais comme tu le précises si justement, si Sibelius aimait le pays "historique" de la musique, il détestait ce régime nazi surtout quand celui-ci a commencé à montrer son vrai visage raciste dans les années 30. Le compositeur n'a d'ailleurs guère quitté son pays pendants le conflit.

    RépondreSupprimer
  3. Quant à Leibowitz… C'est vrai, je ne suis pas tendre. On peut ne pas aimer les choix stylistiques d'un compositeur, mais on peut y mettre les formes, ne pas tomber dans l'opprobre pour ne pas dire l'insulte.
    Oui le catalogue de Leibowitz n'est pas très mince, mais ses pièces de cinq minutes qui ne sont que des ersatz en forme de copier-coller de Berg ou Webern, elles le sont, minces. Même des pointures comme William Steinberg ont du mal à susciter l'enthousiasme :
    https://www.youtube.com/watch?v=95VJEoSXSLw
    Cela dit, pour adoucir mon propos, Leibowitz était un excellent chef. Et ce qui curieux c'est qu'il ait dirigé par exemple une petite pièce comme dernier printemps de Grieg qui fleure bon la musique de genre, bien plus que celle de Sibelius. Vaste débat :
    https://www.youtube.com/watch?v=2Zb9wyze4fc

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. oui, il est vrai que Berg et Webern se ressente énormément dans son écriture et que la longueur de ses pièces sont plutôt courtes ! Mais je viens d'en écouter plusieurs dont :'Marijuana,' Variations non sérieuses Op. 54 (1960) qui est écoutable mais avec une oeuvre de 6'26...on reste sur sa faim !

      Supprimer