samedi 14 octobre 2017

Arnold BAX – November Woods (1917) – Vernon HANDLEY (2006) – par Claude Toon



- Eh eh M'sieur Claude… On reprend le cycle des compositeurs à découvrir… L'idée de l'année… Qui est ce M'sieur Bax ? Drôle de nom…
- Très (trop) mal connu en France, Arnold Bax est un compositeur anglais de la première moitié du vingtième siècle. Pas un réel novateur, mais quel orchestrateur !
- Ah je vois, donc un confrère de Vaughan Williams dont vous parlez souvent, ou encore de Elgar ou de Holst, l'homme des planètes…
- Super Sonia, vous vous passionnez pour mes chroniques, on pourrait ajouter Walton et Britten, encore des papiers à venir…
- J'aime beaucoup l'esprit automnal de ce que j'entends : "novembre dans les forêts ou les bois" si mon anglais ne me trahit pas. En effet, une orchestration rutilante mais douce…
- Dites Sonia, vous allez bientôt écrire les articles à ma place mon petit…

Arnold Bax (1883-1953)

De la liste des compositeurs cités par Sonia lors de sa visite matinale pour le café, Arnold Bax est sans doute le moins connu de tous. Pourtant sa musique ouvre des portes plus modernes et enchantées que celles de ses confrères. J'ai d'ailleurs choisi justement d'aller à sa rencontre avec un superbe poème symphonique où certains pourront savourer des réminiscences de Debussy, Ravel, Bartók (en moins rugueux) et même Stravinski.
Il y a peu, j'avais souligné le rôle prépondérant joué par Berlioz et Rimski-Korsakov dans la maîtrise de l'orchestration moderne. On pourrait ajouter notre invité du jour qui a su comme personne exploiter les mille couleurs des grands orchestres symphoniques. Mais j'anticipe mon propos. Qui était Arnold Bax ?

Né en 1883 dans une banlieue chic de Londres, Arnold Bax est le pur produit intellectuel de la bourgeoisie cultivée de l'époque victorienne. Très présent dans les programmes anglo-saxons, il est totalement ignoré dans l'Hexagone hormis des mélomanes curieux… Arnold Bax ne s'attachera pas à la capitale mais vivra essentiellement en Irlande et en Écosse, deux régions propices à nourrir son inspiration. Dès l'âge de douze ans il compose pour le piano, instrument qu'il maîtrise parfaitement même si la carrière de virtuose ne l'intéresse guère.
Bien entendu, Bax composera beaucoup pour le clavier, principalement pour la pianiste anglaise Harriet Cohen qui, au-delà d'être son interprète de prédilection, sera sa maîtresse… (Même chez les musiciens classiques, il y a du people. D'ailleurs j'ai trouvé une photo séduisante de la belle pianiste.)
C'est pourtant la musique orchestrale qui permet à Bax de demeurer un compositeur de renom dans son pays. Comme Sibelius qu'il admirait, il composera 7 symphonies ; la 4ème sera un jour un sujet de chronique. Par ailleurs, nombre de poèmes symphoniques illustrent les talents de poète de Bax. (Il publiera de nombreux poèmes.) Même si l'influence du meilleur Wagner semble présente, la couleur subtile de son orchestration l'écarte des lourdeurs teutonnes de certaines œuvres de Liszt, lui aussi wagnérien convaincu et inventeur du poème symphonique.
Harriet Cohen (1895-1967), la muse
Son écriture et son orchestration trouvent aussi des échos dans la technique chère à Richard Strauss de superposition des phrases mélodiques par vagues successives, mais là encore sans les boursouflures parfois entendues dans la musique du bavarois (quelques pages de Ainsi parla Zarathoustra entre autres). La production dans d'autres domaines : vocal, musique de chambre, etc. est abondante mais demeure plus confidentielle.
Arnold Bax est considéré comme un postromantique tardif pour son inspiration plutôt expressionniste. Absent des écoles modernes comme le sérialisme, il n'hésitera pas cependant à s'aventurer comme Bartók ou Debussy dans les gammes tonales, le chromatisme élaboré et autres solfèges propres à la musique du XXème siècle.
Anobli en 1937, Sir Arnold Bax cessera de composer intensément en 1940. Il composera la B.O. d'Oliver Twist de David Lean en 1948 avant de s'éteindre en 1953.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Vernon Handley (1930-2008)
Le chef anglais Vernon Handley est peu connu dans nos contrées. Disparu en 2008 à l'âge de 78 ans, le maestro, élève de Sir Adrian Boult, a principalement défendu la musique de son pays pendant sa carrière.
Sa discographie, essentiellement réalisée pour le label british Chandos, témoigne de cette passion, notamment pour la musique du XXème siècle et les compositeurs contemporains de la perfide Albion (Tippet, Bridge, Stanford…).  
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Nous sommes en 1917. Jeune compositeur de 33 ans, Arnold Bax écrit November Woods sans programme bien défini, a contrario des œuvres de Debussy comme la mer ou les nocturnes. Le titre se suffit à lui-même : l'automne, les feuilles dorées, le vent… Une ballade romanesque avec Harriet Cohen la jolie musicienne dont il est follement amoureux ? À l'écoute de sa musique échevelée et suggestive, notre imagination peut vagabonder… Il vient juste de quitter son épouse, la pianiste Elsita Luisa Sobrino, après six ans de vie conjugale. L'œuvre sera créée en 1920 à Manchester.
L'orchestration, comme je l'évoquais plus haut est généreuse et rappelle Bartók et Strauss : 3 flûtes + piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes + clarinette basse, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones + tuba, 2 harpes, timbales, cymbales, glockenspiel, célesta et les cordes.
D'une durée d'une vingtaine de minutes, le poème symphonique voit se succéder divers épisodes aux intentions descriptives affirmées. On pense au naturlaut (bruit de nature) de Gustav Mahler

Henry Stannard (1870-1951)
[0:00] Une mélodie gracile des flûtes illuminée par des arpèges de harpes plante un décor brumeux et enchanteur, celui des forêts à cette période où le soleil tente de percer les nuées, de faire miroiter les dernières feuilles jaunies et couvertes de gouttelettes. Les cordes s'élancent discrètement ppp sur des longues tenues d'accords, un bruissement de zéphyr. Arnold Bax signe de son style particulier, mélange de réalisme et d’expressionnisme ce tableau bucolique et méditatif. Rapidement les bois et les cors viennent ajouter d'autres couleurs sous les ramures. L'orchestration se révèle très légère, peu surchargée dans son traitement, et comme Strauss, les thèmes se chevauchent habilement, reproduisant le climat venteux et épique souhaité… Je ne précise pas que l'orchestre de la BBC est la formation rêvée pour magnifier cette musique caractéristique du style anglais de cette époque. On ne peut pas ne pas songer d'une part à la symphonie "pastorale" de Ralph Vaughan Williams (Clic) et d'autre part aux murmures de la forêt d'un certain Richard Wagner… Un crescendo inexorable illustre la montée en force des éléments, des bourrasques automnales, pour introduire une seconde partie. Il présente une évidente volonté de proposer un jeu concertant, un chassé-croisé des différents pupitres.
[2:14] Sans réelle transition un passage plus dramatique se déploie, les lignes mélodiques s'enchevêtrent, les timbales marquent le rythme. Trompettes et timbales vont conclure ce passage aux accents tragiques. Arnold Bax ne se contente pas de peindre la forêt mais mêle les pensées et sentiments suggérés par les paysages.
[4:54] Le compositeur renoue avec une plus grande sérénité, l'entrée dans une clairière où le phrasé se fait à la fois aventureux et délicat, éclairé par les notes cristallines du célesta et le chant sensuel du violon solo.
[10:12] Après un nouveau passage plus âpre, retour de la douceur, de la nostalgie. Pourtant, quelques trémolos de cordes précèdent une section inquiétante. Pizzicati d'une rare sécheresse, tintement glacé du glockenspiel, feulement des flûtes. Chaque groupe de mesures apporte une surprise dans cette musique qui semble tourner le dos au concept habituel des variations sur des thèmes, technique empruntée à la forme sonate et à ses variantes. La musique de Bax se révèle poétique, étrange et hiératique, étonnamment moderne en un mot… Quand je parle de poésie, le mot vaillance me vient à l'esprit.
L'ouvrage suivra jusqu'à sa conclusion tranquille cette incessante variation d'ambiances, ce principe constant d'exploiter la richesse des timbres de l'orchestre dans toutes ses possibilités esthétiques. Arnold Bax fait preuve d'une grande imagination dans l'usage des tonalités, obtenant nombre d'effets féériques. Une œuvre à découvrir d'urgence par les mélomanes amateurs de musiques échappant aux moules classiques sans pour autant devenir absconses.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Les poèmes symphoniques de Arnold Bax sont gravés fréquemment. Une grande partie de sa musique symphonique a été enregistrée par un chef anglais dont nous avons déjà parlé dans le blog : Bryden Thomson. (Clic) Ces disques, dont ce poème symphonique, sont disponibles également chez Chandos. Ils sont d'un intérêt égal.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire