mercredi 15 mars 2017

ELMORE JAMES - King of the Slide Guitar - (27/01/1918 - 24/05/1963), by Bruno


 
Elmore JAMES et sa Silvertone 1361


   Duane Allman, Billy Gibbons, Pete Wells, Derek Trucks, Johnny Winter, Rod Price, Micky Moody, Brian Jones, Lance Keltner, Ronnie Wood, Chris Whitley, Cyril Lance, Mick Taylor, Rickey Medlocke, Lowell George, Hound Dog Taylor, Ry Cooder, Warren Haynes, George Thorogood, Jeremy Spencer, Peter Green, Steve Miller, Kim Simmonds, JD Simo, j'en passe et des meilleurs. Tant de noms, tant de guitaristes qui ont marqué les esprits, qui ont érigé la guitare sur des hauts sommets que l'on aurait considérés comme le domaine des dieux dans l'Antiquité. Et plus particulièrement la guitare slide.
Des musiciens que tout le monde connaît (du moins j'ose l'espérer) et dont la plupart sont devenus des figures emblématiques de la culture Rock, parvenant même, pour quelques uns, à ouvrir d'autres portes jusqu'alors inconnues, menant à des dimensions parallèles.

     Oui mais … qu'en aurait'il été s'il n'y avait pas eu auparavant l’œuvre d'un afro-américain à l'aspect élancé et timide. Le visage du Blues et du Rock aurait probablement été tout autre. Ou du moins, sa progression vers d'autres lieux aurait été plus lente.
On peut même avancer qu'il a été un précurseur, un inventeur même du Blues-rock. Son œuvre a d'ailleurs eu un impact considérable sur la scène florissante du Royaume-Uni. Une scène que l'on appellera le British-Blues.

   Alors que précédemment l'utilisation du bottleneck était limitée aux soli et à quelques ornementations, avec des sons aigres et aigus, Elmore James allait apporter force et rage, incendiant ses guitares cheap à l'aide de cet accessoire.

     Elmore JAMES est né le 27 janvier 1918, à Richland dans le Mississippi. Enfant illégitime de Leola Brooks (seulement âgée de 15 ans). On présume que son père était Joe Willis James, l'homme qui vint vivre avec sa mère
Très tôt, il est accaparé par le travail dans les champs aux côtés de ses parents métayers. Très tôt aussi, il s'intéresse à la musique. Pauvre, il confectionne un Diddley Bow pour assouvir son besoin de produire de la musique. Avant de trouver un ersatz de guitare à trois cordes monté sur un bidon (une cigar-box ?). Le passage de musiciens itinérants Hawaïens jouant de la guitare à l'aide d'un tube en métal le séduit. Il n'a alors de cesse de développer une technique personnelle de guitare slide. D'après les témoignages, il n'aurait pas eu de vraie guitare entre les mains avant 1932 (certainement pas de modèle de qualité et onéreux). Année où il aurait commencé à se produire.
     En 1937, alors qu'il se produit dans des barrelhouses du Mississippi avec son frère adoptif (Robert Earl Hosten), il rencontre Alex Rice Miller et Robert Lockwood Junior, qui, à cette époque, a repris le flambeau de Robert Johnson en jouant sa musique. Réappropriation légitime puisque Robert Johnson fut son beau-père et qu'il apprit la guitare à ses côtés (même si Johnson n'aimait pas dévoiler ses plans). Il se produisit même avec lui. Et il est le dépositaire de « Mister Downchild » (1) que Robert Johnson lui apprit, alors qu'il n'eut jamais l'occasion de l'enregistrer. Chanson gravée pour la 1ère fois sur un disque de Rice Miller dont il se dit le signataire.
Une rencontre décisive car Elmore, par le biais de ce duo, découvre la musique de Robert Johnson et s'en imprègne.
Certains biographes content qu'Elmore l'aurait également rencontré. D'autres mentionnent uniquement Johnson et donc jamais Lockwood.

     En 1941, Rice Miller anime une émission de radio (sur KFFA d'Helena, Arkansas), avec Lockwood. Rice Miller devient
 Sonny Boy Williamson  et le groupe, avec Lockwood, baptisé pour l'occasion King Biscuit Boys. Parfois, le jeune Elmore les rejoint.

     En 1943, Elmore est enrôlé dans l'US Navy pour la Guerre du Pacifique (il participe à la bataille de Guam). Il ne retourne à  la vie civile que deux ans et demi plus tard. Entre-temps, on lui a décelé une faiblesse cardiaque. On lui conseille en conséquence de se ménager et de prendre soin de sa santé. Recommandations difficiles à suivre lorsque l'on est pauvre, black et que l'on vit dans les états du sud des USA. D'autant plus lorsque l'on est musicien, jouant dans des jukes joints jusqu'à « pas d'heure ». 
Il fonde un groupe avec son cousin, Homesick James Williamson. Un cousin que l'on retrouvera dans de nombreux groupes d'accompagnement d'Elmore, dont le dernier. 
Il s'installe à Memphis pour jouer dans les clubs de Beale Street.
En 1949, il rejoint les The Three Aces, l'orchestre de Willie Love (avec ou sans Rice Miller ?).

     Au début des années 50, alors qu'il accompagne souvent Sonny Boy Williamson - en studio et en concert - il est repéré par Lilian McMurry, fondatrice du label Trumpet (2) de Jackson (Mississippi). Elle souhaite ardemment l'enregistrer et le harcèle. Cependant, par timidité, il se dérobe. Heureusement, McMurry  persévère et parvient à capter à son insu une répétition qu'il effectuait avec son groupe et Sonny Boy. Probablement avec la complicité de ce dernier. 
C'est ainsi qu'en octobre 1951, une version revisitée du « I Believe, I'll Dust my Broom » de Johnson, rebaptisé « Dust my Broom », est commercialisée, avec « Catfish Blues » en face B. Quelques mois plus tard, c'est un véritable succès, le disque atteignant la 9ème place des charts de Rhythm'n'Blues. La chanson est entrée dans l'histoire.
Elmore avec son vieux copain : Sonny Boy Williamson II (à droite)

   « Dust my Broom », voilà un de ces monuments de la musique populaire américaine (afro-américaine). Un classique des classiques. Un standard inébranlable, inoxydable, immortel, capable d'enivrer, d'exalter les foules. Aujourd'hui encore, la chanson fait toujours son effet en concert. 1951 seulement, et tout est déjà là. La version originale de Robert Johnson a été durcie, la slide sert autant de riff que de gimmick. Un gimmick qui sera repris un nombre astronomique de fois, tout comme le court solo. Au point de devenir récurent et un passage obligé de tout joueur de slide.
S'il est connu pour son jeu rugueux de slide, il ne faudrait pas négliger l'importance de son chant. La voix est déclamatoire, forte, légèrement éraillée, empreinte d'une force vibratoire imposant le respect et proscrivant la contradiction. C'est un souffle chaud, raclant la trachée dans un élan dramatique. Dorénavant, « Dust my Broom » servira de maître-étalon (avec d'autres) ; tant pour la prochaine génération que pour Elmore même.
A propos de "Dust my Broom", si la première version jamais gravée est bien le « I Believe, I'll Dust my Broom » de Robert Johnson en 1936, il convient de spécifier qu'il y a un doute quant à la réelle paternité de cette fameuse chanson. D'ailleurs, James a bien apposé sa propre signature sur sa version. Ce qui n'est pas pour autant une preuve irréfutable, surtout à cette époque.

Pour être pleinement dans le sujet : "Dust my Broom", "Rollin' and Tumblin'" et "One Way Out"

     Ce succès attise la convoitise d'autres studio qui s'empressent de démarcher Elmore. Ainsi, avec son groupe, les « Broom Dusters », il enregistre une poignée de titres pour les frères Bihari qui ne tardent pas à le faire monter à Chicago. « Hand in Hand », « Hawaian Boogie », "My Baby's Gone" (avec Ike Turner), "Please Find Baby », « Lost Woman Blues », « Baby's What's Wrong », « Sinful Woman », « I Held my Baby Last Night » voient le jour sur les labels des Bihari, soit Meteor et Flair. Avec « I Believe » qui n'est qu'une relecture de « Dust my Broom ».

     L'influence de Robert Johnson est prégnante. On y retrouve les walking basses (issues du boogie-woogie) et la voix habitée, un falsetto coincé entre la déclamation et le désespoir. Cependant, chez Elmore, tout est retranscrit avec plus de puissance, comme libéré par l'énergie du désespoir. Sans aucune économie, comme si cela devait être l'unique et dernière fois qu'il jouait. De plus, ses guitares cheap : une Silvertone 1361 et une Kay acoustique avec un micro simple fiché dans la rosace et un second plaqué sur la table, sont très amplifiées (3), proches d'une saturation que l'on ne retrouvera que dans les années 60. Une douce saturation, parfois quelque peu épineuse, certainement générée par ses guitares cheap. Une sonorité peut-être accidentelle mais que toutefois il gardera tout au long de sa carrière.
Côté ampli, on a pu relever sur des photos un Silvertone 1384 et un Magnatone 280 (3ème photo). Toutefois, il est possible qu'il jouait avec ce qui était à sa disposition.

   Peinant à retrouver le succès, il se laisse tenter par un contrat chez Checker, une filiale des frères Chess. Il n'y enregistre que deux morceaux (« Country Girl » et « She Just Won't Do Right ») avant de retourner chez les Bihari qui l'incorpore à leur label principal, Modern Records.
Malheureusement, tout au long des années cinquante, il ne parvient pas à se poser, à rester plus de quelques mois chez la même compagnie. Enregistrant à droite et à gauche, pour divers labels et divers musiciens (dont Junior Wells, Big Joe Turner, Ike Turner). Nombreux sont ceux qui pensent que cette instabilité a nui à sa carrière. Toutefois, il n'a aucun mal à se produire, plusieurs clubs de Chicago lui ouvrant grandes leurs portes. Il fait aussi quelques tournées dans le Middle-west et les états du sud.

     En 1958, les ventes de disques dégringolent (et son 1er succès n'a pas été renouvelé), l'obligeant à redoubler d'efforts en donnant plus de concerts pour subvenir à ses besoins. Une cadence qui l'épuise, d'autant plus qu'il apprécie le whisky (il en aurait même distillé) et ne se contente pas d'un verre (4) ... Après une nouvelle crise cardiaque, il est contraint au repos, il redescend dans le Sud à Jackson, où il se résigne à se contenter, après de folles soirée bruyantes et enfumées où on l'acclamait, à pêcher, chasser, et à modestement animer, à son tour, une émission de radio. 

     En dépit d'un succès commercial déficient, le nom d'Elmore James reste gravé dans toutes les mémoires des amateurs de Blues. Certains le considèrent même déjà comme une des grandes figures du Blues d'après-guerre. Ainsi, lorsque Bobby Robinson, le premier afro-américain propriétaire de sa boutique à Harlem et occasionnellement producteur pour Ahmet Ertegun, crée son label en 1959, Fire Records, à New-York, il n'a pas oublié cet homme qui déclame son Blues rageur derrière son épaisse paire de lunettes. Il monte à Chicago bien décidé à le rencontrer et à le convaincre de descendre à New-York pour l'enregistrer. C'est la providence, alors que Robinson toujours en quête d'Elmore s'arrête dans un club de blues réputé, le présentateur annonce son retour. Pour la première fois depuis près de deux ans, Elmore James renoue avec la scène. Et c'est ce soir là, dans le club où s'est rendu Bobby Robinson.
Elmore, qui doit se sentir requinqué, après des mois au vert en a marre de sa petite vie tranquille. En dépit des recommandations du docteur, il finit par prendre ses guitares et un direct pour Chicago pour retrouver l'excitation et la joie d'interpréter sa musique devant un public réceptif.

   Cette rencontre concrétise le début de ce que l'on appelle communément la seconde carrière d'Elmore James, généralement considérée comme meilleure. Probablement régénéré, il a mûri et affirmé son Blues, lui donnant alors plus de force et d'aplomb. Plus d'acuité, de sensibilité. C'est la période qui a aussi donné naissance à ses slow-blues fondamentaux, âpres et émouvants.

     Il rappelle son cousin, Homesick James, et d'anciens compagnons de route : Odie Payne à la batterie, Johnny Jones au piano, et J.T.Brown au saxophone. Il enregistre de nouvelles versions d'anciennes compositions mais aussi de nouveaux titres dont certains deviendront des classiques. Le dansant « Shake Your Moneymaker », le poignant "The Sky is Cry", « Look on Yonder Wall », « Sunnyland », "Done Somebody Wrong", « I Can't Stop Lovin' You ». Il y a aussi ces reprises qui sont tellement marquées par sa personnalité qu'elles deviennent siennes, comme « Anna Lee », ou mieux, « It's Hurt me Too » ; à l'origine une chanson fragile de Tampa Red qu'Elmore a transformé en Blues déchirant.

     On remarque que même lorsqu'il est accompagné de cuivres, le Blues d'Elmore James n'a jamais rien de rutilant, il demeure âpre, rugueux. Il ne perd pas ses effluves de rouilles et de terres séchées par un soleil ardent. Il garde sa marque de prolétaire amer, conscient de sa dure condition et d'un avenir obstrué. Jouant avec abandon et une relative sauvagerie pour oublier les tourments de la vie.

     Il retourne à Chicago retrouver la scène Blues endémique où il donne ses derniers concerts. Déjà passablement fatigué par deux crises cardiaques, il décède le 24 mai 1963, au domicile de son cousin, "Homesick" James Williamson. Il est enterré à Durant (Mississippi) où de nombreuses personnalités du Blues sont descendues assister à ses funérailles, en un dernier et respectueux hommage.

     Elmore James
est parti trop tôt, au moment où sa carrière commençait à prendre de l'essor. Son impact est capital. Pourtant, il n'a jamais pu enregistrer un seul 33 tours ; sa discographie n'est constituée que de 78 et 45 tours. Le reste n'est en fait qu'une collection de compilations plus ou moins bonnes et complètes. Où il est bien difficile de s'y retrouver entre les différents labels (Trumpet, Flair, Chief, Checker, Meteor, Fire Records) et les prises alternatives dépoussiérées. D'autant plus aucune ne semble exhaustive.

Parti trop tôt, juste avant que l'on ne commence à sérieusement proposer aux bluesmen de graver des 33 tours (seuls quelques rares élus y avaient eu droit) (5). Et pas de live. On n'ose imaginer le son de sa guitare et de son orchestre après quelques verres d'alcool frelaté. On n'en sera jamais rien.

   Trop tôt pour pouvoir conter lui-même son histoire. Les témoignages et les biographies diffèrent et se contredisent. Avec le temps, certains souvenirs sont devenus flous. C'est parfois à se demander si certains faits n'ont pas été fantasmés ou exagérés. Finalement, il semblerait que parfois l'histoire d'Elmore James est plus proche de la légende que de l'absolue réalité.

     Trop tôt pour assister au renouveau du Blues, pour récolter les justes honneurs que n'auraient pas manqué de lui témoigner toute une jeunesse venue du Royaume-Uni, imbibée de Blues et notamment de sa musique, le considérant, à juste titre, comme une icône du Blues.
Par exemple, un jeune groupe Londonien, avec bientôt trois guitaristes (bien avant Lynyrd), féru de Chicago-blues, ne tarissait pas d'éloge envers Elmore James. Un des guitaristes, Jeremy Spencer, aurait été pleinement satisfait de ne jouer que sa musique. Le groupe, évidemment, s'appelait Fleetwood Mac.

(1) Titre dont Sonny Boy Williamson revendique la paternité.
(2) Label indépendant de Jackson (Mississippi), actif de 1950 à 1956, qui a permit à Sonny Boy Williamson, Willie Love, puis Little Milton d'enregistrer des 78 tours.
(3) Probablement un Dearmond 210 dans la rosace, et un Rhythm Chief 1000 contrôlé indépendamment par deux potentiomètres et un switch on/off. Il est conseillé d'avoir ce dernier pour tenter d'approcher le son particulier d'Elmore James.
(4) La plupart des musiciens avec qui il a joué étaient connu pour leur goût immodéré d'alcool fort. Sonny Boy Williamson II évidemment, mais également Johnny Jones et Willie Love.
(5) Par exemple, le premier d'Albert King date de 1962, et le suivant de 1967 seulement ; la même année que le 1er de Buddy Guy.



🎶

4 commentaires:

  1. Du bon blues et de la belle guitare !
    Elmore james fut le "héros" de Brian Jones -de son vrai nom : Lewis Brian Hopkins Jones-, qui adopta, avant la création des Rolling Stones, le pseudo "Elmo Lewis" lorsqu'il jouait "Dust my broom" avec Alexis Korner, au tout début des années 60, étant ainsi, sans doute, l'un des tout premiers guitaristes anglais à adopter la "bottleneck guitar" comme on disait alors ! On trouve d'ailleurs d'excellentes traces de son talent sur "Little red rooster", par exemple...
    Très jolie et intéressante chronique !

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    1. Merci.
      Elmo Lewis ! Bien sûr. Je l'avais oubliée celle-là.

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  2. Rien à ajouter. Mais à retrancher, si: le nom de la baleine au 1er paragraphe. Dust my broom est vraiment dur à faire sonner. Jamais trouvé un gratteux capable de bien l'envoyer.

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    1. Il est vrai qu'il y a beaucoup de versions en dehors du temps, trop rapides ou l'inverse, quand d'autres envoient inutilement la purée.
      J'aime bien celle de ZZ-Top ; je pense qu'elle a le mojo, le feeling.

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