- Je les trouve bien
académiques les pochettes de la collection ADRM chez Decca M'sieur Claude. Quand je pense
que vous disiez à M'sieur Vincent de ne jamais écrire en jaune…
- Moui Sonia, c'est assez
vrai, l'illustration n'a aucun rapport avec le contenu de l'album, un portrait
de Proserpine du début du XIXème, allez-y, rigolez un bon coup…
- Pfff Proserpine, la
déesse des saisons pfff hi hi. Hum… Parlez-moi donc de Ravel…
- Dans les années 1900, Debussy et Ravel ont été
amenés à écrire des pièces pour de nouveaux modèles de harpe. En été, on peut écouter
cette musique en pensant à un petit ruisseau qui serpente…
- Vous avez choisi Ravel :
l'introduction et l'allegro pour 7 instruments, des artistes peu connus, le Melos Ensemble de Londres… En analogique, c'est bizarre…
- Et oui, une gravure de
1962 donc de 54 ans… mais aucune ride !
Petite histoire de la harpe moderne...
Harpe Chromatique et ses deux jeux de cordes |
Gustave Lyon (1857-1936) |
- Heu M'sieur Claude,
c'est quoi cet engin en deux mots, sur la photo on voit deux jeux de cordes,
pourquoi donc ? Ne risque-t-on pas de se pincer les doigts ?
- Je
vais essayer de vous la faire courte, pour vous Sonia, et pour nos lecteurs…
J'ai
souvent parlé de chromatisme, cette technique qui consiste à altérer avec des ♯, des ♮ ou des ♭ les notes d'une
gamme prédéfinie parmi les douze tonalités majeures ou les douze mineures. Un procédé
qui permet d'obtenir des dissonances, des sons étranges et mystérieux… En
classique, le pape du chromatisme fut Richard Wagner
suivi par ses disciples.
Facile
à jouer sur un piano qui possède les douze tons et demi tons (notes noires), une
mélodie chromatique devient quasi impossible à exécuter sur la harpe traditionnelle dite
diatonique qui n'autorise le jeu que sur une gamme d'une tonalité donnée et
rien d'autre, sachant déjà que les 7 pédales complexifient grandement les
ruptures de tonalité avec un système sophistiqué de biellettes.
Gustave Lyon, travaillant
chez le fabricant de piano Pleyel, imagine
en cette fin du XIXème siècle une harpe à double jeu de cordes. L'un permettant de jouer les notes naturelles
(♮)
l'autre les altérations. Par contre, pas de glissandi possible comme sur la
harpe diatonique. Une combinaison des deux instruments devait voir le jour en 1914. La grande guerre en décidera autrement.
L'instrument Pleyel n'a pas fait
école par la suite… À l'inverse, celui de Erard, la harpe diatonique et son système de pédalier s'imposera comme la harpe de concert
moderne.
Soyons
clair, comme on le dit de nos jours, c'était "une usine à gaz" ardue à accorder mais
elle témoigne de l'imagination aventureuse d'un inventeur à qui on doit aussi un piano à
double clavier et quelques autres instruments insolites.
Trois
compositeurs au moins ont relevé le défi de composer pour promouvoir ces deux tpes de harpes : Claude Debussy et ses Danses sacrées et profanes pour
harpe et cordes de 1904, André Caplet et son conte fantastique, et
Maurice Ravel pour Introduction et allegro,
un morceau concertant et chambriste commandé en 1905, non pas par la firme Pleyel,
mais par Erard, créateur du prototype de la harpe concurrente.
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Maurice Ravel et Lily Laskine en 1935 XXXXX |
Quelques
mots sur les artistes. Le Melos ensemble
(ne pas confondre avec le quatuor Melos
à l'honneur en juin avec le quatuor N°15 de Schubert)
est un orchestre de chambre fondé à Londres en 1950. Il comportait une bonne vingtaine d'instrumentistes de haut
niveau et d'horizons divers.
Il
rappelle par sa démarche l'Orpheus Chamber
Orchestra américain si souvent présent dans mes articles. Pas de
chef pour diriger un répertoire éclectique de Mozart
jusqu'aux compositeurs modernes : Prokofiev,
Janacek, etc. On doit à cette formation
des gravures qui font encore références pour des œuvres aux combinaisons instrumentales peu usuelles : les octuors de Mendelssohn, Schubert
ou Spohr par exemple. Des compositeurs
contemporains anglais ont écrit des œuvres originales pour le Melos Ensemble, et de citer : Benjamin Britten, Peter
Maxwell Davies ou Roberto Gerhard,
catalan d'origine, mais anglais d'adoption car ayant dû fuir son pays à la fin
de la guerre d'Espagne.
Ravel possédait une personnalité introvertie et raffinée, celle d'un homme peu
enclin à s'épancher et à courir les salons. Ce manque apparent de passion
aurait pu faire craindre pour cet Introduction et
allegro l'écriture d'une commande virtuose mais un peu vaine,
simplement destinée à mettre en valeur la harpe (ici placée sous les doigts du
harpiste Osian Ellis du Melos Ensemble). C'est bien mal connaître
l'auteur d'un quatuor à cordes tour à tour sensuel et virevoltant.
Flûte
et clarinette suivies des cordes aiguës accompagnent les premiers arpèges de la
harpe. Bien difficile de classer cet ouvrage : ballade ? nocturne ? septuor
rêveur ? Comme toujours Ravel
joue la carte de la poésie, des jeux d'ombres et de lumières, de la facétie, de
la forme totalement libre. Un discours musical qui fait songer à l'impressionnisme
par une absence totale de programme, plutôt une évocation ludique. Au centre de
la pièce, une courte cadence de l'instrument soliste surprend par des staccatos virils. Lyrique et romantique mais résolument moderne, cette petite partition
ravit par sa légèreté. Les instrumentistes sont en osmose, le phrasé est
allègre et articulé, chassant toutes les superpositions de timbre non conformes à
l'esprit concertant voulu par Ravel. Tout pathos signerait la mort de l'interprétation...
Pour
rester dans le sujet de la harpe en ce début du XXème siècle et
compléter ce programme : les danses sacrées
et profanes de Debussy
interprétées par Nicanor Zabaleta et l'orchestre Paul Kuentz.
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