- Marcel Tyberg ? Ce
prénom sonne comme celui d'un compositeur bien de chez nous M'sieur Claude… Je me
trompe ?
- Complètement ma petite
Sonia. Ce compositeur était autrichien comme Bruckner ou Mozart mais a disparu
des écrans musicaux à cause d'un destin tragique…
- Je le vois sur une photo
début de XXème siècle, et puis oui : 1943 pour la date de composition, c'est
déjà l'époque moderne…
- Curieusement le très
oublié Tyberg est un romantique égaré dans la Vienne de l'époque du sérialisme
de Schoenberg. Pourtant une jolie musique, sans prise de tête…
- Mais, c'est une élégante
dame blonde qui dirige l'orchestre ! JoAnn, un jolie prénom, l'orchestre de
Buffalo, ça me donne envie de manger un steak… hi hi…
- À 9 heures du mat', je
prendrais plutôt un petit café qu'une entrecôte ma belle…
Marcel Tyberg (1893-1944) |
Né
à Vienne en 1893 dans une famille catholique,
le jeune Marcel est le fils d'un
violoniste de la capitale autrichienne et d'une mère pianiste de la même
génération que Arthur Schnabel (les deux
pianistes avaient le même professeur). La famille est liée d'amitié avec Jan Kubelik, compositeur tchèque dont le
fils Rafael Kubelik deviendra l'un des chefs
d'orchestre les plus célèbres du XXème siècle (Clic) et jouera un rôle dans la
transmission du patrimoine musical laissé par Marcel
Tyberg. Bien que Marcel Tyberg soit plus âgé que le futur maestro de près de vingt
ans, une forte amitié va lier les deux hommes.
Il
est possible qu'enfant, Marcel Tyberg
ait suivi à la fois un enseignement auprès de ses deux parents virtuoses et sans doute dans des conservatoires de Vienne. Les infos sont rares. En 1927 son père décède et la famille part
s'installer en Croatie à Abbazia,
ville baignée par le nord de l'Adriatique. En cette époque l'Italie fasciste a
déjà la main mise sur la région. Pourtant dans cette Europe où les bruits de
bottes se font entendre, Marcel Tyberg
joue de l'orgue, dirige, enseigne et compose des pièces dans un style romantique
qui peut paraître daté historiquement parlant, mais de belle facture comme on
va le voir. Et de citer Schoenberg,
papa du sérialisme répétant inlassablement à ses élèves "il y a encore de
belles musiques à composer en do majeur". Tyberg
sera plus un poète qu'un novateur.
Dans
cette période créatrice vont naître 3 symphonies (la seconde
sera créée à Prague avec la Philharmonie tchèque par Rafael Kubelik),
des pièces pour piano,
un sextuor
et un trio
(qui complète ce disque), et aussi des lieder et deux messes. Par ailleurs,
Tyberg, comme d'autres, s'est essayé à
apporter deux mouvements conclusifs à la symphonie "inachevée" de Schubert. En réalité il participait à un
concours destiné à proposer le scherzo et le final jamais écrits par le grand Franz.
En
1943, le nazisme a étendu ses
tentacules empoisonnés à toute l'Europe. La mère de Tyberg
doit remplir les formulaires concernant les lois raciales et en toute bonne foi
déclare qu'un arrière grand parent était juif. Inquiet le compositeur confie ses
partitions à son ami Milan Mihich.
Il est arrêté l'année suivante par la Gestapo et déporté vers l'enfer d'Auschwitz. On a parlé de suicide, mais
il semble que Tyberg ait disparu fin 1944
comme des millions d'autres en cet endroit maudit, soit un mois avant l'arrivée
de l'armée rouge.
En
1948, Milan Mihich confie les partitions à son fils Enrico qui, médecin
mais élève un temps de Tyberg, les laisse dormir jusque dans les années 80 où il s’intéresse de nouveau au précieux héritage. Au milieu
des années 90, il retrouve son vieil ami et chef d'orchestre Rafael
Kubelik qui trouve l'initiative passionnante, mais hélas
disparaît en 1996. En 2005, Enrico Mihich, patron du
centre de recherche sur le cancer de Buffalo, remet les partitions à JoAnn Falletta qui vient de prendre ses
fonctions définitives de directrice de l'orchestre de la ville. Emballée, l'artiste grave
la 3ème
symphonie en 2008 et 3 jeunes musiciens enregistrent la trio.
Le premier CD consacré à Marcel Tyberg
voit enfin le jour. En 2011, la maestro a gravé un second CD avec la 2ème
symphonie complétée par une sonate pour piano.
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J'aime
toujours présenter les femmes chefs d'orchestre. Ce métier a sans doute été
l'un des derniers à être investi par la gente féminine. Dans le blog, nous
avons déjà parlé de Simone Young, maestro
australienne qui exerce à Hambourg et bien entendu de notre compatriote Laurence Equilbey (Clic) & (Clic).
Originaire
de New-York, JoAnn Falletta ne fait pas la
une des revues spécialisées françaises, on s'en doute. La dame affiche une
toute petite soixantaine et dirige depuis 1998
l'Orchestre de Buffalo. Oui, bon OK,
l'orchestre de Buffalo ne rivalise peut-être pas avec les phalanges de Boston,
Chicago, Cleveland et patati et patata, mais j'avoue avoir été surpris par son
homogénéité et sa couleur joyeusement enflammée…
JoAnn Falletta après un parcours sans faute dont un
passage à la Julliard School a commencé sa
carrière en jouant de la guitare et de la mandoline au Metropolitan Opera et dans la Philharmonie de New-York. Petit à petit, elle occupe le podium et commence à
diriger et à engranger les plus hautes récompenses dans divers concours : prix Toscanini, Stokowski
et Bruno Walter !!! Un CV à
faire pâlir pas mal de ces messieurs fiers de leur baguette… (Rockin', tais-toi !!)
Après
un passage à la tête de l'orchestre "provincial" de Virginie, elle est la
première femme à diriger (depuis près de 20 ans) un orchestre yankee de renom.
Buffalo : l'amérique profonde ? Pas vraiment car parmi les prédécesseurs de JoAnn on cite entre autres quatre grands
de la direction : William Steinberg
(1945–1952), Josef Krips
(1954–1963), Lukas Foss (1963–1971),
Michael Tilson Thomas (1971–1979).
Des contrats assez longs qui permettent un maintien à haut niveau de l'orchestre…
JoAnn Falletta a donc précédé de peu à un poste prestigieux
sa compatriote Marin Alsop, autre grande
figure de la direction d'orchestre outre Atlantique et patronne de l'orchestre de Baltimore depuis dix ans.
Si
JoAnn Falletta défend avec fougue la riche
musique américaine moderne (Gershwin,
Corigliano, John
Knowles Paine), elle ne
dédaigne pas d'enregistrer des œuvres du répertoire classique sortant des
sentiers battus : Glière, Erno
Dohnány, Respighi
et même le français Florent Schmitt boudé par l'Hexagone,
un comble ! Une très belle discographie dont je ne donne qu'un aperçu…
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Jan Kubelik (1880-1940) XXXXX |
Impossible
évidement de trouver la partition en ligne de cette symphonie et par conséquent
son orchestration. À l'écoute, la rutilance de l'orchestration fait mentir ceux
qui voudraient classer Tyberg
parmi les postromantiques ringards. Aux instruments incontournables : cordes,
hautbois, flûtes, clarinettes, bassons, trompettes, cors et trombones, le
compositeur viennois lorgne vers Richard Strauss
et Mahler et ajoute généreusement tuba ténor,
d'autres bois comme cor anglais, contrebasson, et une percussion clinquante : xylophone,
triangle, cymbales, caisses diverses… Et dans cette 3ème symphonie,
l'extension de l'effectif dans sa diversité est sensible par rapport à la 2ème
symphonie de 1927, plus sombre, à la manière d'un Bruckner avec
des couleurs quand même un peu lourdes et râpeuses…
La
symphonie d'environ 36 minutes possède classiquement quatre mouvements, mais le
premier représentant à lui seul une petite moitié de l'œuvre, Tyberg a cru bon de place son scherzo en
seconde position.
1 – Andante maestoso –
Solenne e sostenuto
: L'introduction est surprenante : des pizzicati ppp au cordes graves à peine audibles même sur un matériel
audiophile. Je suis pour la fidélité aux indications des partitions, mais un petit
coup de potentiomètre n'aurait pas nui… Bref. Un premier thème solennel énoncé
au tuba ténor solo émerge de ces premières mesures mystérieuses. Tuba ténor
solo d'entrée ? Ça ne vous rappelle rien ? Si, le même solo funèbre au début de la 7ème
symphonie de Mahler, sa symphonie la plus biscornue… Un motif qui sonne comme
un lointain appel. Cordes et cuivres vont le développer de manière sombre et
martial, majestueusement comme précise l'indication de tempo. [1:47] Changement
complet de climat sonore avec une plus joyeuse transition à la flûte et aux
harpes lançant une pittoresque chevauchée très aérienne. Une lyrique mélodie
qui s'oppose au dramatisme introductif. (On pense au Haydn des symphonies 103 et
104.) J'ai encore lu que Bruckner,
Mahler et Strauss
s'insinuent dans ces pages. Plagiat ? Non, Tyberg
fait siennes avec reconnaissance certaines innovations de ces grands maîtres,
mais son langage reste personnel, joyeux, olympien et surtout très viennois. On
pourrait penser que dans ces années noires où la bête à croix gammée va tout laminer,
Marcel Tyberg devrait, comme artiste et intellectuel, se faire
militant et combattant. Et bien non, sa musique respire la vie à chaque mesure. Une
musique désuète dans sa forme ? Aucunement ! La forme sonate et ses règles
encore présentes laissent une large place à un style rhapsodique très libre que
JoAnn Falletta égaye avec une direction étincelante.
L'air circule entre tous les pupitres qui se renvoient la balle de manière
ludique. J'aurais la tentation de parler de concerto pour orchestre en écoutant
les facéties de cette instrumentation. Le discours n'est pas exempt de quelques
facilités, mais le résultat est captivant. Orchestre aux cuivres brillants et
prise de son de bon aloi pour une gravure Naxos.
Rafael Kubelik à la fin des années 30 |
2 – Scherzo – Allegro non troppo : [14:20] Dès
les premières mesures, Tyberg
joue la carte de l'ironie, introduisant après quelques mesures guillerettes un
thème de danse villageoise. Un solo grotesque des bassons (contrebasson ?) et
des trémolos de flûte témoignent de nouveau d'une volonté d'écrire une musique
fantasque et bucolique. Comme ses confrères viennois (on pense à l'ironie
mordante d'un Mahler), Tyberg s'amuse. Mais là où le grand Gustav
laissait planer en permanence et avec sarcasme l'ombre noire de la grande
faucheuse, Marcel Tyberg
nous entraîne dans une farandole drolatique où, même un instrument balourd comme
le tuba basse lance sa petite "vanne" ! De nouveau une orchestration
féérique, une mélodie enjouée avec intervention du xylophone, du triangle, ou
plus brutalement de la grosse caisse employée avec bonhomie.
Étrangeté
: le trio plus léger et valsant n'accuse pas une rupture de ton habituelle avec
le scherzo et sa reprise. Marcel Tyberg
souhaite que la fête continue… Six minutes d'une joyeuse folie. JoAnn Falletta dirige cette pantomime musicale
avec une élégance féline…
3 – Adagio : [20:35] Après ces agapes,
le ton de l'adagio se veut plus nocturne. De longues phrases aux cordes évoquent
des paysages embrumés. On discerne une pointe de nostalgie lors de
l'intervention des bassons et des arpèges de harpes. Pas de métaphysique
morbide cependant. Le développement offre au violoncelle un solo bucolique. On
pourrait parler de musique esthétisante, expression péjorative qui irrite par
une dérangeante synonymie avec hollywoodienne. Un autre tendre solo, au violon cette fois, des phrases langoureuses
aux cordes qui se lovent : l'univers sonore de Tyberg
montre une parfaite maîtrise de l'orchestration et surtout de la poésie. La conclusion laisse entendre
le son lointain d'un cor. Forêt ? Vous avez dit lumières mordorées d'une forêt ?
4 – Rondo Vivace : [30:32] Ah l'éternelle
difficulté de conclure une symphonie, la quadrature du cercle de tous les
compositeurs, Schubert en tête ! Marcel
Tyberg a la bonne idée de faire court avec
quelques motifs échevelés mais qui ne nous marquent pas vraiment. Le style champêtre
et cocasse prolonge évidement le climat des mouvements initiaux, mais de vous à
moi, ce n'est pas vraiment de la dentelle.
Un
ouvrage avec des imperfections et quelques banalités mélodiques et baisses de tension, mais la vitalité
qui s'en dégage et l'orchestration colorée justifiaient totalement la publication
de ce disque. Merci à JoAnn Falletta
et à l'orchestre de Buffalo d'avoir
relevé le défi de l'originalité. Le trio qui complète l'album s'écoute avec
plaisir, on y retrouve les intentions poétiques de l'adagio de la symphonie.
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Un mélange de Mahler, de Fauré, de Franck et de Bruckner (Surtout le 5e symphonie je trouves !). Agréable à l'oreille, regrettable que son destin ait été aussi tragique.
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerLa première symphonie est plus lourde, on la trouve aussi sur Youtube, j'hésite quant à un achat...
SupprimerJe pensais faire un article sur Hausegger, mais assez d'accord, à force ça me fatigue les tympans ;o) On verra...
Etrange, il ne semble pas que la première symphonie ait été enregistrée.
SupprimerOui en effet...
SupprimerPeut-être qu'un chef tentera l'expérience chez un label un peu aventureux comme Naxos, Ondine ou CPO, etc.
Le disque de JoAnn Falletta date déjà de 2010, à l'évidence une gravure isolée...
Sympathique, mais tout cela ne fait pas preuve d'une grande originalité. UN autre compositeur à la destinée tout aussi tragique me semble nettement plus intéressant, Hugo Distler. Son concerto pour clavecin (le second) est magnifique.
RépondreSupprimerJe partage ce point de vue, mais j'essaye de proposer de sortir des sentiers battus...
SupprimerMa chère et tendre adore le scherzo et a commencé à imaginer une chorégraphie moderne, à suivre...
Je ne connais absolument pas Hugo Distler, je pars aux infos...
Merci pour cette suggestion.