samedi 16 avril 2016

BACH – Cantate BWV 21 - La Chapelle Royale, Collegium Vocale - Philippe Herreweghe – par Claude Toon



- Une cantate de Bach cette semaine M'sieur Claude, mais Pâques est passé, surement une belle œuvre cela dit…
- Pas grave Sonia, la cantate 21 a été jouée un troisième dimanche suivant la Trinité, elle-même fêtée une semaine après la Pentecôte. Révisez votre catéchisme mon petit
- J'avoue l'avoir souvent séché et manque de repères dans le domaine théologique, un vide dans ma culture générale…
- Pas grave mais, même si l'on est athée pratiquant, avoir des bases liturgiques est précieux pour écouter la musique vocale de Bach surtout les cantates, passions et messes…
- Il paraît que le compositeur baroque aurait composé plus de 300 cantates… C'est vrai ? Ça paraît irréel !!!
- Oui, une pour tous les jours de l'année et pour les offices luthériens. 200 nous sont parvenues, les autres sont perdues à jamais. La BWV 21 est l'une des plus abouties…

Église Saint-Thomas de Leipzig
Actuellement, le catalogue Bach-Werke-Verzeichnis alias BWV de Wolfgang Schmieder (1901-1990) répertorie 210 cantates sacrées. On en redécouvre depuis 1990 de manière plus ou moins fragmentaire. Si le classement n'est pas chronologique, on remarque que la plupart ont été composées à Leipzig entre 1723 et 1750, période pendant laquelle Bach occupe le poste de Cantor de l'église Saint-Thomas, église de confession luthérienne. 27 années pendant lesquels, le compositeur donnera le meilleur de lui-même : les passions, le clavier bien tempéré, l'art de la fugue, qui fut le sujet de mon premier article dans le Deblocnot, etc.

Pour la petite histoire, après le dédit de Telemann, Bach obtint ce poste prestigieux sur recommandation de Christoph Graupner (1683-1760), retenu à un autre poste et auteur de… 1418 cantates ! (Un petit maître tombé injustement dans l'oubli car éclipsé par le génie de Bach. On redécouvre petit à petit son œuvre car les partitions originales se trouvent à l'université de Darmstadt – 2000 œuvres quand même et quelques CD intéressants parus ces dernières années.)

Christoph Graupner
Pour rappel : une cantate constitue une suite de sinfonias, airs et chœurs illustrant un sujet religieux ou profane précis mais sans l'aspect théâtral d'un opéra. Les durées d'exécution sont de 15 jusqu'à parfois 40 minutes (une exception pour cette cantate BWV 21). L'oratorio de Noël BWV 232 réunit une suite de six cantates (Clic). La cantate est une forme typique de l'époque baroque, quasiment absente des périodes classique et romantique mais qui a connu un renouveau au XXème siècle. (La musique de Prokofiev pour le film Alexandre Nevski est une cantate pouvant être jouée en concert.) Si je puis me permettre une comparaison un peu simpliste, les oratorios comme les passions de Bach ou Le Messie de Haendel sont des cantates géantes…
Sur le plan liturgique, la cantate est destinée à étoffer un office, le dimanche ou en semaine. Rarement interprétée dans sa continuité, les pièces ou groupes de pièces sont intercalés entre les moments de prières et les prédications. Ainsi, la grande cantate BWV 21 écoutée ce jour comprend deux parties qui devaient encadrer le sermon principal.
Pour identifier plus facilement une cantate parmi 210, celle-ci porte en sous-titre la première préposition du verset initial. Une tradition. Pour cette cantate BWV 21, l'une des plus imposantes et riches écrites par Bach, son sous-titre en allemand est "Ich hatte viel Bekümmernis" soit en français : "J'avais grande affliction en mon cœur". L'emploi de l'imparfait indique que, loin d'évoquer une grande détresse spirituelle, le propos sera celui de la rédemption : du sentiment d'abandon initial l'œuvre évoluera vers la foi en la consolation. À propos de texte, la connaissance sur la genèse de cette cantate est incertaine. Bien que la partition autographe ait disparu, on sait qu'elle fut donnée en partie en 1714 à Weimar pour le 3ème dimanche après la Trinité. Elle le sera de nouveau pour le même dimanche de l'année liturgique à Leipzig en 1723 même si sa thématique généraliste lui permet d'être au centre d'une célébration autre, en dehors des fêtes officielles (Noël, Pâques, etc.). La version choisie par Philippe Herreweghe est a priori celle qui précède 1723, date à laquelle Bach ajouta 4 trombones pour accentuer la solennité.
On attribue le texte à Salomo Vranck, poète à la cour de Weimar qui a puisé dans la bible des extraits de psaumes et de l'épitre du jour prévu pour l'exécution de la cantate. Avec une sinfonia introductive suivie de 10 passages distribués en 2 parties, cette cantate se rapproche des œuvres plus ambitieuses comme la passion selon Saint-Jean ou la Messe en Si mineur.
La cantate est prévue pour trois solistes : soprano, ténor et basse, chœur mixte à quatre voix et un orchestre assez complet : cordes, hautbois, basson, trompettes, orgue positif et même timbales. Un continuo de rigueur à l'époque baroque comprend le basson quelques cordes graves et la participation de l'orgue.
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Philippe Herreweghe - © Jean-Baptiste Millot
Nous étions déjà allés à la rencontre de Philippe Herreweghe pour ses deux gravures (des références modernes) du Requiem de Fauré (les éditions 2 et 3 aux orchestrations différentes). (Clic). Résumons la carrière exceptionnelle du chef d'orchestre et de Chœur belge né à Gand en 1947. Après des études de médecine et de psychiatrie, il se tourne vers la musique, baroque dans un premier temps en adhérant au renouveau de l'interprétation "à l'ancienne" initialisé par Nikolaus Harnoncourt et Gustav Leonhardt dont il sera le disciple. Il participera à l'enregistrement de la monumentale intégrale des cantates avec ces deux géants il y a quelques décennies.
Et Herreweghe va conserver cette étiquette de chef baroqueux, non sans raisons, grâce à ses enregistrements marquants dédiés à Bach : les cantates, les passions ou encore la messe en si avec les ensembles La Chapelle Royale et Le Collegium Vocale de Gand créés en 1970. Il saura s'entourer dès cette époque de chanteurs exceptionnels pour ses concerts et ses gravures. Barbara Schlick, Howard Crook et Peter Harwey pour la cantate BWV 21, mais aussi, rien de moins que Gérard Lesne et Peter Kooy pour la cantate BWV 42 qui complète cet album.
Pourtant le répertoire du chef s'évade très largement de l'époque baroque, notamment depuis la création de l'orchestre des Champs Élysées fondé en 1991, un orchestre aux couleurs romantiques plus allégées que celles de mise outre Rhin dans la première moitié du XXème siècle et parfois bien après. Un catalogue immense : Schumann, Berlioz, Bruckner, Franck, Mahler… Et, bien entendu, des oratorios comme Paulus de Mendelssohn ou encore le requiem  Allemand de Brahms
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Luca Giordano (1632 – 1705)
Marie-Madeleine pénitente (1660-1665)
XXX
XXX
Partie 1 : 3 exemples
1 - Sinfonia : Bach commence sa cantate de manière peu commune par un aria purement instrumental. Un chant du hautbois solo s'élève d'une pulsation oppressante et cadencée du continuo et des cordes. L'un de ses airs donc Bach avait le secret, opposant supplique et confiance. Marcel Ponseele, hautboïste, n'appuie pas le trait, distille de manière élégiaque ce mystère à résoudre du conflit entre le chagrin et l'espérance. En un peu plus de deux minutes, l'esprit de toute la cantate est exposé : la douleur puis la réconciliation avec le Divin. J'ai lu que cet aria remarquable pouvait trouver son origine dans un concerto jamais terminé. Rien de surprenant. Bach, comme tous les compositeurs de son temps, devait résister à la pression de leurs commanditaires et pratiquait la "parodie", à savoir : réutilisait des mélodies éventuellement réorchestrées d'œuvre en œuvre pour gagner du temps.

2 – Chœur : le premier chœur énonce en un verset les deux dimensions mystiques de la cantate : imploration et louange, soit : "J'avais grande affliction en mon cœur ; mais tes bienfaits rafraîchissent mon âme". Les quatre voix du chœur s'entrecroisent dans une polyphonie très concertante. Rien de monotone dans ce passage. [5:42] Un accelerando aux deux tiers du chœur souligne avec force la foi dans la miséricorde du Très Haut. Bach dans cette période liturgique de l'après Pentecôte, plutôt joyeuse, semble ne pas trop vouloir insister sur l'aspect lamentation. Philippe Herreweghe équilibre avec magie ses effectifs masculins et féminins, voulus modestes et lisibles, permettant ainsi aux instruments de l'orchestre de déployer leur chant lumineux.

3 – Air (soprano) : Le rôle du hautbois est exceptionnel dans cette cantate. La preuve en est par l'introduction affligée qui précède et accompagne l'air de soprano "Des ruisseaux de larmes amères…". Barbara Schlick adopte un phrasé limpide, sans aucun trémolo ou vibrato hors de propos dans cette page vouée à la prière et à la supplication. Philippe Herreweghe assure une pureté dans la ligne mélodique et les timbres là où aucune mesure ne peut souffrir le moindre pathos romantique.

La première partie se termine par un récitatif et un air de ténor très développé, puis un chœur à la fois intimiste, réjoui, d'une grande variété musicale et dont le texte confié aux chanteurs s'interroge sur le fondement de cette angoisse métaphysique alors que Dieu devrait être loué pour son don du salut. 3 versets qui introduisent ainsi un sermon approprié sur la miséricorde divine lors de l'office.

Collegium Vocale de Gand
Partie 2 : 2 exemples
8 – Air en duo (Soprano & basse) : La basse n'a pas d'air réservé. Comme écrit plus haut, une cantate n'a aucune vocation théâtrale, donc prévoir un air de bravoure pour chaque chanteur est dispensable. À noter que Peter Harvey est britannique et baryton (pas basse). Spécialisé dans le chant baroque, il a chanté avec quasiment tous les plus grands orchestres baroques de son temps. Deux airs se succèdent pour les duettistes.
Cet air se présente sous forme d'un dialogue entre l'âme (soprano) et Jésus (basse). Les deux voix se répondent, intercalant l'expression des affres et des espoirs de l'âme et les réponses réconfortantes de Jésus. L'orchestration se limite au continuo très allant. Peter Harvey incarne un Christ à la voix assurée mais non déclamatoire, a contrario d'un ton olympien de prophète sévère. Le choix du timbre chaleureux de baryton est une excellente idée de Philippe Herreweghe. Le chant virevolte par des répliques courtes en une ritournelle très animée ("Hélas, je suis perdu" / "Non, tu es élu"). Cette fantaisie montre l'inventivité de Bach dans cette œuvre (pléonasme ?). Les deux solistes rivalisent de ductilité dans leur expressivité et de sincérité dans ce passage redoutable sur le plan technique.

10 – Air (ténor) : Le second air confié au ténor introduit la conclusion heureuse de cette cantate avant le chœur final. Howard Crook, natif de l'Illinois, est lui aussi un artiste qui a dédié sa carrière à l'art baroque. Le texte met en avant la réconciliation et la réjouissance : "réjouis-toi mon âme, Réjouis-toi mon cœur". Ce passage exige une souplesse diabolique de la part du chanteur : staccato sans sécheresse et vélocité. Howard Crook assure avec brio cette transition brutale d'atmosphère dans ce chant de reconnaissance après les doutes et les souffrances qui sous-tendent les 9 passages précédents.
La cantate s'achève sur un chœur de louanges classique et très enjoué. Bach ajoute des trompettes à l'orchestration pour colorer d'une once de solennité le propos.
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Cette cantate bénéficie depuis longtemps d'une riche discographie. Il est de bon ton de nos jours chez les critiques officiels de jeter aux orties l'enregistrement des années 60 de Karl Richter qui mit son talent au service de Bach comme personne. Sa gravure était considérée à l'époque comme une référence avant que le style baroqueux ne s'impose. Il y a une spiritualité et une fluidité dans les interprétations de cet artiste qui font toujours le bonheur des mélomanes qui ne s'habituent pas aux sonorités agrestes des instruments anciens et qui aiment les chanteurs d'opéra et d'exception auxquels Richter faisait appel : Edith Mathis, Peter Schreier ou encore Dietrich Fischer-Dieskau. Daté ? Sans doute ! Exempt de spiritualité ? Surement pas ! (Arkiv - 4/6)
Pour les enregistrements sur instruments anciens et avec un style dit "authentique", trois idées. Nikolaus Harnoncourt bien entendu, le pionnier du genre, chanteurs excellents avec des jeunes garçons pour les voix aiguës, orchestre au diapason, orgue très coloré, mais prise de son un peu rugueuse. Une réussite (Teldec – 5/6).
Autre interprétation de rêve, un voyage astral avec Ton Koopman d'une légèreté sans appel avec The Amsterdam Baroque Orchestra and Choir et de nouveau Barbara Schlick (Challenge - 6/6). Enfin, depuis de nombreuses années, le chef japonais Masaaki Suzuki et son Bach Collegium Japan nous proposent des lectures animées et précises, offrant même dans son album des airs alternatifs de cette cantate BWV 21 (Bis – 5/6).

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Part I.
1. Sinfonia
2. Ich hatte viel Bekümmernis in meinem Herzen (Chœur) 02:54
3. Seufzer, Tränen, Kummer, Not (Air : soprano) 06:49
4. Wie hast du dich, mein Gott (Récitatif : Ténor) 11:05
5. Bäche von gesalznen Zähren (Air: Ténor) 12:41
6. Was betrübst du dich (Chœur) 19:07
Part II.
7. Ach Jesu, meine Ruh (Récitatif : Soprano, Basse) 22:34
8. Komm, mein Jesu, und erquicke/Ja, ich komme und erquicke (Air : Soprano, Basse) 24:04
9. Sei nun wieder zufrieden, meine Seele (Chœur) 27:58
10. Erfreue dich, Seele, erfreue dich, Herze (Air : Ténor) 32:20
11. Das Lamm, das erwürget ist (Chœur) 35:17
En complément : une cantate de l'avent de Christoph Graupner



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