- Une cantate de Bach
cette semaine M'sieur Claude, mais Pâques est passé, surement une belle œuvre cela
dit…
- Pas grave Sonia, la
cantate 21 a été jouée un troisième dimanche suivant la Trinité, elle-même fêtée une
semaine après la Pentecôte. Révisez votre catéchisme mon petit…
- J'avoue l'avoir souvent
séché et manque de repères dans le domaine théologique, un vide dans ma culture générale…
- Pas grave mais, même si
l'on est athée pratiquant, avoir des bases liturgiques est précieux pour
écouter la musique vocale de Bach surtout les cantates, passions et messes…
- Il paraît que le
compositeur baroque aurait composé plus de 300 cantates… C'est vrai ? Ça paraît
irréel !!!
- Oui, une pour tous les
jours de l'année et pour les offices luthériens. 200 nous sont parvenues, les
autres sont perdues à jamais. La BWV 21 est l'une des plus abouties…
Église Saint-Thomas de Leipzig |
Pour
la petite histoire, après le dédit de Telemann,
Bach obtint ce poste prestigieux sur
recommandation de Christoph Graupner (1683-1760),
retenu à un autre poste et auteur de… 1418 cantates ! (Un
petit maître tombé injustement dans l'oubli car éclipsé par le génie de Bach. On redécouvre petit à petit son œuvre
car les partitions originales se trouvent à l'université de Darmstadt – 2000 œuvres
quand même et quelques CD intéressants parus ces dernières années.)
Christoph Graupner |
Sur
le plan liturgique, la cantate est destinée à étoffer un office, le dimanche ou
en semaine. Rarement interprétée dans sa continuité, les pièces ou groupes de
pièces sont intercalés entre les moments de prières et les prédications. Ainsi,
la grande cantate
BWV 21 écoutée ce jour comprend deux parties qui devaient encadrer
le sermon principal.
Pour
identifier plus facilement une cantate parmi 210, celle-ci porte en sous-titre la
première préposition du verset initial. Une tradition. Pour cette cantate BWV 21,
l'une des plus imposantes et riches écrites par Bach,
son sous-titre en allemand est "Ich hatte viel
Bekümmernis" soit en français : "J'avais grande
affliction en mon cœur". L'emploi de l'imparfait indique que, loin d'évoquer
une grande détresse spirituelle, le propos sera celui de la rédemption : du sentiment
d'abandon initial l'œuvre évoluera vers la foi en la consolation. À propos de
texte, la connaissance sur la genèse de cette cantate est incertaine. Bien que
la partition autographe ait disparu, on sait qu'elle fut donnée en partie en 1714 à Weimar pour le 3ème
dimanche après la Trinité. Elle le sera de nouveau pour le même dimanche de
l'année liturgique à Leipzig en 1723
même si sa thématique généraliste lui permet d'être au centre d'une célébration
autre, en dehors des fêtes officielles (Noël, Pâques, etc.). La version choisie
par Philippe Herreweghe est a priori celle qui
précède 1723, date à laquelle Bach ajouta 4 trombones pour accentuer la
solennité.
On
attribue le texte à Salomo Vranck,
poète à la cour de Weimar qui a puisé dans la bible des extraits de psaumes et
de l'épitre du jour prévu pour l'exécution de la cantate. Avec une sinfonia introductive
suivie de 10 passages distribués en 2 parties, cette cantate se rapproche des œuvres
plus ambitieuses comme la passion selon Saint-Jean ou la Messe
en Si mineur.
La
cantate
est prévue pour trois solistes : soprano, ténor et basse, chœur mixte à quatre
voix et un orchestre assez complet : cordes, hautbois, basson, trompettes,
orgue positif et même timbales. Un continuo de rigueur à l'époque baroque
comprend le basson quelques cordes graves et la participation de l'orgue.
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Philippe Herreweghe - © Jean-Baptiste Millot |
Nous
étions déjà allés à la rencontre de Philippe Herreweghe
pour ses deux gravures (des références modernes) du Requiem de Fauré (les éditions 2 et 3 aux orchestrations
différentes).
(Clic). Résumons la carrière exceptionnelle du chef d'orchestre et
de Chœur belge né à Gand en 1947.
Après des études de médecine et de psychiatrie, il se tourne vers la musique,
baroque dans un premier temps en adhérant au renouveau de l'interprétation
"à l'ancienne" initialisé par Nikolaus
Harnoncourt et Gustav Leonhardt
dont il sera le disciple. Il participera à l'enregistrement de la monumentale
intégrale des cantates avec ces deux géants il y a quelques décennies.
Et
Herreweghe va conserver cette étiquette de
chef baroqueux, non sans raisons, grâce à ses enregistrements marquants dédiés
à Bach : les cantates, les passions
ou encore la messe
en si avec les ensembles La Chapelle Royale
et Le Collegium Vocale de Gand créés
en 1970. Il saura s'entourer dès
cette époque de chanteurs exceptionnels pour ses concerts et ses gravures. Barbara Schlick, Howard
Crook et Peter Harwey
pour la cantate
BWV 21, mais aussi, rien de moins que Gérard
Lesne et Peter Kooy
pour la cantate
BWV 42 qui complète cet album.
Pourtant
le répertoire du chef s'évade très largement de l'époque baroque, notamment depuis
la création de l'orchestre des Champs Élysées fondé
en 1991, un orchestre aux couleurs
romantiques plus allégées que celles de mise outre Rhin dans la première moitié
du XXème siècle et parfois bien après. Un catalogue immense : Schumann, Berlioz,
Bruckner, Franck,
Mahler… Et, bien entendu, des oratorios
comme Paulus
de Mendelssohn ou encore le requiem Allemand de Brahms…
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Luca Giordano (1632 – 1705) Marie-Madeleine pénitente (1660-1665) XXX XXX |
Partie 1 : 3 exemples
1 - Sinfonia : Bach commence sa cantate de manière peu
commune par un aria purement instrumental. Un chant du hautbois solo s'élève d'une
pulsation oppressante et cadencée du continuo et des cordes. L'un de ses airs
donc Bach avait le secret, opposant supplique et confiance. Marcel Ponseele, hautboïste, n'appuie pas
le trait, distille de manière élégiaque ce mystère à résoudre du conflit entre
le chagrin et l'espérance. En un peu plus de deux minutes, l'esprit de toute la
cantate est exposé : la douleur puis la réconciliation avec le Divin. J'ai lu
que cet aria remarquable pouvait trouver son origine dans un concerto jamais
terminé. Rien de surprenant. Bach,
comme tous les compositeurs de son temps, devait résister à la pression de leurs
commanditaires et pratiquait la "parodie", à savoir : réutilisait des
mélodies éventuellement réorchestrées d'œuvre en œuvre pour gagner du temps.
2 –
Chœur
: le premier chœur énonce en un verset les deux dimensions mystiques de la cantate : imploration et
louange, soit : "J'avais grande
affliction en mon cœur ; mais tes bienfaits rafraîchissent mon âme".
Les quatre voix du chœur s'entrecroisent dans une polyphonie très concertante. Rien de monotone dans ce passage. [5:42] Un accelerando aux deux tiers du chœur
souligne avec force la foi dans la miséricorde du Très Haut. Bach
dans cette période liturgique de l'après Pentecôte, plutôt joyeuse, semble ne pas
trop vouloir insister sur l'aspect lamentation. Philippe Herreweghe
équilibre avec magie ses effectifs masculins et féminins, voulus modestes et
lisibles, permettant ainsi aux instruments de l'orchestre de déployer leur
chant lumineux.
3 – Air (soprano) : Le rôle du
hautbois est exceptionnel dans cette cantate. La preuve en est par
l'introduction affligée qui précède et accompagne l'air de soprano "Des ruisseaux de larmes amères…". Barbara Schlick adopte un phrasé limpide,
sans aucun trémolo ou vibrato hors de propos dans cette page vouée à la prière
et à la supplication. Philippe Herreweghe assure une pureté dans la ligne mélodique et les timbres là où aucune mesure ne peut souffrir le moindre pathos romantique.
La première partie se termine par un récitatif et un air de ténor très développé, puis un chœur à la fois intimiste, réjoui, d'une grande variété musicale et dont le texte confié aux chanteurs s'interroge sur le fondement de cette angoisse métaphysique alors que Dieu devrait être loué pour son don du salut. 3 versets qui introduisent ainsi un sermon approprié sur la miséricorde divine lors de l'office.
Collegium Vocale de Gand |
Partie 2 : 2 exemples
8 – Air en duo (Soprano
& basse)
: La basse n'a pas d'air réservé. Comme écrit plus haut, une cantate n'a aucune
vocation théâtrale, donc prévoir un air de bravoure pour chaque chanteur est
dispensable. À noter que Peter Harvey
est britannique et baryton (pas basse). Spécialisé dans le chant baroque, il a
chanté avec quasiment tous les plus grands orchestres baroques de son temps.
Deux airs se succèdent pour les duettistes.
Cet
air se présente sous forme d'un dialogue entre l'âme (soprano) et Jésus
(basse). Les deux voix se répondent, intercalant l'expression des affres et des
espoirs de l'âme et les réponses réconfortantes de Jésus. L'orchestration se
limite au continuo très allant. Peter Harvey
incarne un Christ à la voix assurée mais non déclamatoire, a contrario d'un ton
olympien de prophète sévère. Le choix du timbre chaleureux de baryton est une excellente
idée de Philippe Herreweghe. Le
chant virevolte par des répliques courtes en une ritournelle très animée
("Hélas, je suis perdu" /
"Non, tu es élu"). Cette
fantaisie montre l'inventivité de Bach
dans cette œuvre (pléonasme ?). Les deux solistes rivalisent de ductilité dans
leur expressivité et de sincérité dans ce passage redoutable sur le plan
technique.
10 – Air (ténor) : Le second air
confié au ténor introduit la conclusion heureuse de cette cantate avant le chœur
final. Howard Crook, natif de l'Illinois,
est lui aussi un artiste qui a dédié sa carrière à l'art baroque. Le texte met
en avant la réconciliation et la réjouissance : "réjouis-toi mon âme, Réjouis-toi mon cœur".
Ce passage exige une souplesse diabolique de la part du chanteur : staccato
sans sécheresse et vélocité. Howard Crook
assure avec brio cette transition brutale d'atmosphère dans ce chant de
reconnaissance après les doutes et les souffrances qui sous-tendent les 9 passages
précédents.
La
cantate s'achève sur un chœur de louanges classique et très enjoué. Bach ajoute des trompettes à
l'orchestration pour colorer d'une once de solennité le propos.
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Cette
cantate bénéficie depuis longtemps d'une riche discographie. Il est de bon ton de
nos jours chez les critiques officiels de jeter aux orties l'enregistrement des années 60 de Karl Richter qui mit son talent au service
de Bach comme personne. Sa gravure était considérée à l'époque comme une référence avant
que le style baroqueux ne s'impose. Il y a une spiritualité et une fluidité
dans les interprétations de cet artiste qui font toujours le bonheur des
mélomanes qui ne s'habituent pas aux sonorités agrestes des instruments anciens
et qui aiment les chanteurs d'opéra et d'exception auxquels Richter faisait appel : Edith Mathis, Peter
Schreier ou encore Dietrich
Fischer-Dieskau. Daté ? Sans doute ! Exempt de spiritualité ?
Surement pas ! (Arkiv - 4/6)
Pour
les enregistrements sur instruments anciens et avec un style dit
"authentique", trois idées. Nikolaus
Harnoncourt bien entendu, le pionnier du genre, chanteurs
excellents avec des jeunes garçons pour les voix aiguës, orchestre au diapason,
orgue très coloré, mais prise de son un peu rugueuse. Une réussite (Teldec – 5/6).
Autre
interprétation de rêve, un voyage astral avec Ton
Koopman d'une légèreté sans appel avec The
Amsterdam Baroque Orchestra and Choir et de nouveau Barbara Schlick (Challenge - 6/6). Enfin,
depuis de nombreuses années, le chef japonais Masaaki
Suzuki et son Bach Collegium
Japan nous proposent des lectures animées et précises, offrant même dans son album des airs alternatifs de cette cantate BWV 21 (Bis – 5/6).
Part I.
1.
Sinfonia
2.
Ich hatte viel Bekümmernis in meinem Herzen (Chœur) 02:54
3.
Seufzer, Tränen, Kummer, Not (Air : soprano) 06:49
4.
Wie hast du dich, mein Gott (Récitatif : Ténor) 11:05
5.
Bäche von gesalznen Zähren (Air: Ténor) 12:41
6.
Was betrübst du dich (Chœur) 19:07
|
Part II.
7.
Ach Jesu, meine Ruh (Récitatif : Soprano, Basse) 22:34
8.
Komm, mein Jesu, und erquicke/Ja, ich komme und erquicke (Air : Soprano, Basse) 24:04
9.
Sei nun wieder zufrieden, meine Seele (Chœur) 27:58
10.
Erfreue dich, Seele, erfreue dich, Herze (Air : Ténor) 32:20
11.
Das Lamm, das erwürget ist (Chœur) 35:17
En complément : une cantate de l'avent de Christoph Graupner
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