samedi 2 mai 2015

Pumeza MATSHIKIZA - VOICE of HOPE (2015) – Par Claude Toon



- Dites M'sieur Claude, elle est bien jolie cette jeune femme Afro, mais pas de compositeur mentionné sur la jaquette, nous sommes bien dans une chronique classique ?
- Classique, jazz et chant traditionnel africain puisque cette soprano nous vient d'Afrique du Sud et chante indifféremment, et avec talent, Mozart Puccini ou des airs folk en zoulou, en swahili…
- Un disque qui ne s'adresse pas uniquement aux amateurs d'opéras purs et durs…
- Exactement ma petite Sonia, l'exemple même du disque pour écouter quelques beaux airs classiques et d'autres standards de la culture Afro…
- Voix d'Espoir si on traduit littéralement le titre. Cette chanteuse est restée fidèle à son pays qui a tant maltraité la majorité noire…
- Oui, un grand chemin parcouru pour Pumeza qui a connu les bidonvilles du Cap, la violence, les balles perdues… Mais qui n'a pas renié ses origines…

Visite dans l'école de son enfance...
C'est ma chère Maggy qui m'a fait découvrir cette soprano au répertoire éclectique grâce à un article paru dans la revue anglophone Vocable… La chanteuse n'a pour l'instant enregistré que ce disque mélangeant avec bonheur quelques airs d'opéras classiques de Puccini et Mozart et des chansons dans diverses langues africaines ou encore des standards jazzy en anglais.
L'histoire de cette chanteuse est romanesque (pas forcément romantique). Elle naît en 1979 dans un township du Cap alors que l'Apartheid atteint son paroxysme et que Nelson Mandela purge des dizaines d'années de prison. Deux lieux de survie : sa baraque et l'école au bout d'un chemin putride où, gamine, elle assiste aux règlements de compte dans une population méprisée et poussée à bout par la misère et l'injustice. Un soir une balle frôle son oreille, son visage se couvre de sang… De caractère volontaire, elle participe aux marches de soutien à Mandela.
Pumeza a une étrange passion dans son refuge : écouter la radio et rechercher les morceaux d'opéras occidentaux qui sont diffusés sur une chaîne Classic FM plutôt fréquentée par les blancs. Elle chante dans une chorale du ghetto : des chants traditionnels de son pays et dans les langues locales.
1989 : Frederik de Klerk devient président et fait libérer un an plus tard Nelson Mandela détenu depuis 27 ans ! L'Apartheid va se terminer et Mandela accède au pouvoir en 1994. Entre temps Pumeza, devenue une jeune femme, entre à l'Université. Sans formation musicale, on la dirige vers les mathématiques… Mais elle essaye de suivre les cours du music college du Cap, apprenant adulte le programme pour jeunes enfants ! Le compositeur sud-africain Kevin Volans repère sa voix chaude et miraculeuse. Il va la soutenir pour partir à Londres intégrer le Royal College of Music. En tout, sept longues années d'études et une carrière qui commence tard, oui, mais à Covent Garden, le temple de l'art lyrique (dans le cadre du programme pour jeunes artistes). Son premier rôle : une fille-fleur dans Parsifal de Wagner. En 2011, la chanteuse part rejoindre la troupe de l'opéra de Stuttgart. Elle retourne souvent dans son pays pour agir en faveur de l'éducation musicale de… TOUS !
Elle débute sur scène dans des rôles de plus en plus ambitieux : Nanetta du Falstaff de Verdi, Annchen dans Der Freischutz de Weber, Mozart bien entendu avec Susanna  des Noces de Figaro, et Zerlina de Don Juan. Enfin des premiers rôles : Pamina dans la flûte enchantée et Mimi de La Bohème de Puccini. Elle entreprend une tournée aux côtés de Rolando Villazón. Pour sa trentaine, Pumeza a atteint la consécration !! Pumeza, rescapée de l'enfer, rejoint la légende des cantatrices Afro-américaine : Leontyne Price, Katleen Battle, Barbra Hendrix, Jessye Norman et aussi Sumayya Ali pour la nouvelle génération…
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Rolando Villazón, Pumeza Matshikiza et le chef Guerassim Voronkov
Puccini et Mozart
Pour ce premier album de 15 titres, Pumeza a retenu trois airs célèbres de Puccini et un de Mozart. Deux compositeurs qui lui ont valu ses premiers succès sur la scène lyrique. Pumeza est accompagnée par l'orchestre d'état de Stuttgart dirigé par Simon Hewett.
Le premier air est extrait de  Gianni Schicchi, l'un des trois courts opéras du Triptyque : "O mio babbino caro" (Ô mon cher petit papa). Un air du personnage de Lauretta implorant son père de la laisser épouser l'homme objet de son amour. Quelle soprano ne l'a pas chanté ? Du Puccini le plus pur. La voix surgit d'une mélodie évanescente  des cordes et des harpes. Techniquement, rien à redire. Le phrasé est articulé, la voix d'une justesse parfaite tangente le mezzo, l'expression est bouleversante. Le rôle est un tantinet surjoué (mais moins que par la diva® Angela Gheorghiu) et peut encore gagner en tendresse juvénile (Ah Maria Callas…). Une intro très prometteuse de Pumeza par l'humanité et la chaleur de sa ligne de chant, qualités propres aux chanteuses d'origine afro…
Poursuivons avec un air de Turandot, dernier opéra du maître italien : "Signore, Ascolta". Un air chanté par Liu, la petite amie de Calaf, le prince qui va tomber amoureux de l'énigmatique et cruelle princesse Turandot (Clic). Un vibrato subtil de jeune femme meurtrie, Pumeza joue la carte de l'humilité sans maniérisme. Dernier air extrait de la Bohème "Donde lieta uscì" : un chant d'adieu. Encore cette voix limpide, Mimi accepte de se séparer de Rodolfo et la chanteuse incarne avec simplicité cette résignation sans accents déchirants qui seraient sans fondement.
Pour conclure le registre classique : l'air célèbre de Zerlina de Don Giovanni de Mozart "edrai, carino, se sei buonino". Un chant mozartien clair, sans emphase. Oui bien sûr, certains auront dans l'oreille la souplesse ductile d'une Lucia pop à la voix plus colorature, en un mot incomparable et jamais égalée dans Mozart. Je me dois même d'écrire "il n'y a pas photo". Mais je ne suis pas de ceux qui vénèrent le passé, se prosternent devant les grandes voix historiques. Sinon on n'enregistrera plus jamais rien et la musique deviendra un patrimoine de prouesses passées. Je l'aime bien moi cette petite Zerlina à la voix chaude et tendre !

Chants traditionnels
Dans les titres du folk sud-africain, Pumeza ne pouvait faire l'impasse sur les hits chantés par le passé par sa compatriote et aînée Miriam Makeba.
Petit retour sur une grande voix du combat contre l'apartheid : Miriam Makeba née en 1932 verra les nationalistes Afrikaners gagner les élections de 1948 et mettre en place l'apartheid. Pour les afros, le cauchemar absolu commence. Sa mère emprisonnée, son père mort, la jeune fille qui s'appelle encore Zenzi Makeba survit de petits boulots ingrats. Elle aime chanter et décide de mettre son talent au service du combat contre l'iniquité. Deux chansons vont la propulser sur le devant de la scène : Pata Pata et Thula baba. Elle tourne dans un film antiapartheid. C'en est trop. Elle va purger 31 ans d'exil de la Guinée à la France en passant par l'Algérie. La chanteuse continuera la lutte jusqu'au début des années 90, date à laquelle Mendela lui demande de revenir dans son pays natal. Miriam Makeba se fera connaître en occident dans un genre qui mêle jazz et folk. Pendant sa carrière d'exilée Miriam chantera souvent dans les langues autochtones telles le zoulou et le  swahili.
Après Puccini, Pumeza enchaîne sur Thula baba. Une berceuse en langue Xhosa et Zoulou. L'orchestre symphonique de Puccini laisse place à un accompagnement "de genre" : un orchestre allégé avec des arpèges cristallins de harpe. Un phrasé chaloupé, langoureux. Quelle douceur et quelle tendresse. Pumeza confirme son aptitude à produire des aigus d'une justesse et d'une finesse qui enchantent. Tout vibrato justifié dans l'art lyrique disparaît dans ce traditionnel où la voix se doit de rester naturelle, une voix du quotidien même si le timbre se veut magique…

À l'écoute, on admire cette fabuleuse capacité de Pumeza à changer de timbres suivant qu'elle chante Mozart ou des musiques plus africaines où un registre plus guttural et nasal est de mise. Sa tessiture étendue lui permet ainsi de descendre dans un registre de Mezzo dans des chansons folk (pour ne pas dire ethnologiques), là où la meilleure des sopranos coloratures risquerait de faire pâle figure (je parle de chanteuse d'origine caucasienne).
Merci à Decca de nous fournir le texte en phonétique accompagné de sa traduction en français (déjà que mon anglais est minable, alors le zoulou…)
Tout le monde a en tête Pata Pata, le succès planétaire de Makeba de 1950. Pour cette chanson très rythmée, un soupçon jazzy, les djembés et maracas et autres instruments d'origine africaine s'allient à quelques cordes, essentiellement des violons volubiles. Pata Pata est le nom d'une danse Xhosa qui en anglais peut se traduire par "Touch touch"… Tout un programme ! On retrouve ce chant détimbré, non opératique, et puis ces claquements de langues incroyables que peut produire la chanteuse sans interrompre sa ligne de chant. Une percussion vocale à elle seule. Il existe une vidéo dans laquelle, dans une franche rigolade, Pumeza apprend cette technique étonnante à Rolando Villazón. En professionnel pointu du chant, le ténor apprend en moins d'une minute à maîtriser au mieux, mais essayez sans arrêter de chanter… Ben, il y a un truc. Quel peps, on se prend à taper du pied ou, pour les plus aventureux, à se trémousser sans trop connaître les pas…
Une contrebasse en pizzicati, de nouveau des maracas… l'univers du jazz ? Oui ou de la grande tradition du chant afro US. The naugty little flea (la vilaine petite puce). Encore un succès, mais en anglais cette fois-ci, de Miriam Makeba et de 1950… C'est tout aussi farfelu que le "chant de la puce" dans la Damnation de Faust de Berlioz (La puce a un rôle important dans l'art musical !). Nouvelle langue dans cet album, nouveau style, nouveau moment joyeux.
Un album de 15 titres à découvrir pour ceux qui aiment la rencontre des genres, la volubilité de la musique africaine, l'émotion des mélodrames véristes. En un mot, une réussite totale.


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Thula baba puis O mio babbino caro, un air de Puccini. Après : l'extrait d'une émission de Arte dans laquelle Rolando Villazón a invité  Pumeza à chanter un traditionnel... Les claquements que vous entendrez viennent bien de la bouche de la chanteuse... si, si !




1 commentaire:

  1. Elle a tous pour elle, non seulement elle est très belle et en plus elle a une voix....magnifique ! Plus proche quand même de Barbara Hendricks que de Léontyne Price dans les cantatrices Afro-américaine que tu as cité. J'ai farfouillé dans ses vidéos et j'aurais bien voulus la trouver dans l'aria de Ännchen ("Einst träumte meiner") dans Le Freischütz de Weber, dommage, il n'y est pas ! un air qui lui va comme un gant vu sa texture de voix. Pour info que je viens de trouver, un deuxième album sort en juin !

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